De la libido à l’amour du prochain
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c’est pas mal
L’Année de l’éclipse de Philippe de La Genardière. Sabine Wespieser éditeurs, 490 p., 26 €
Basile est un homme à terre, qui là-haut soliloque, au sixième étage, sur son balcon parisien ; avant de trouver le septième ciel, puis de finir aux anges. À vue d’homme, l’argument de l’ample roman paraît mince. Pourtant, le récit aigu et profus rencontre l’universel derrière le nombril et bien d’autres détails anatomiques : par-delà moult pages lestes, turbulentes et lascives, se joue une recherche chimérique et cosmique de l’Autre.
Quinquagénaire qui n’en est toujours pas revenu, abandonné par femme et fille, dispensé de dispenser ses cours de philosophie par la grâce d’un arrêt longue maladie accordé par le redoutable docteur Floch, dans les rets psychanalytiques duquel il se débat tous les jeudis à 15h, Basile se partage entre déréliction et aboulie. Il vit dans une sorte de coma social. Son cerveau fonctionne et vitupère l’époque marchande, technophile, où s’imposent les impostures, où s’effondre la culture.
Un jour, un jeudi justement, sortant de chez le Dr Floch derrière la tête duquel il aperçoit un arbre, Basile pousse jusqu’au très proche jardin des Plantes et s’aventure dans la serre. L’étouffement y sera libérateur. En une scène à la fois biblique et mythologique, sur fond de grotte, de bassin et de plantes luxuriantes, lui apparaît une nouvelle Ève, une néaVénus en laquelle il distingue une Mélisande à la chevelure colorée d’invites. Le couple se laisse enfermer pour la nuit.
Basile éprouve l’amour et l’amour l’éprouve. La chair est un révélateur, qui le rétablit dans son humaine condition. Cette femme détient la jeunesse et la beauté qui le désertent. Leurs enlacements incessants répondent au besoin pressant de Basile d’être réconcilié avec l’humanité, d’accéder au vivant en tant que mortel, de repartir d’un bond pied en atteignant une énergie vitale capable d’impliquer le monde.
Mais cette épiphanie profane et sexuelle n’est qu’une histoire sans parole. Cette Shadi, de vingt-cinq ans sa cadette, qu’il possède et contemple tour à tour, cette Iranienne dont le père officier fut liquidé au début de la révolution islamiste, qui est-elle ? Qu’est-ce qu’être faits pour s’entendre ? En quoi cueillir le jour avec une frénésie extatique fait-il lentement remonter le trop lourd passé ? Comment s’agripper au corps du prochain rend-il disponible à la création ?
En se frottant à cette ardente énigme, avec laquelle, à défaut de communiquer, il communie dans le culte de Ravel et Fauré, Basile retrouve ses sens et le sens de la vie, qui, aussi giratoire soit-il, acclimate à la beauté et à la clairvoyance : « Oui, à cinquante ans passés, en ce soir de juillet 2006, que dans son délire il avait pris pour le grand moment d’élucidation de l’énigme humaine, il pleurait, comme avait pleuré l’enfant qu’il avait été autrefois, dans un monde lointain, et qui un demi-siècle plus tard enfin rendait l’âme. »
Roman sur le temps et l’espace, L’Année de l’éclipse est mené au passé, un passé tambour battant : la langueur cruelle de l’imparfait y est fouettée à coup de plus-que-parfaits, parfois tempérés par un participe présent. Le tout s’inscrit dans un Paris décrit avec le pouvoir évocatoire propre à ceux qui souffrirent d’être arrachés à cette ville. Il y a une pulsion topographique dans ce livre au lyrisme abouti, dont les phrases, longues et sinueuses comme des itinéraires, épousent les plis de notre vieille capitale, dont l’auteur offre un condensé en forme de triangle : Beaumarchais, Cuvier, Censier, trois noms d’artères parisiennes aux premières syllabes éloquentes…L’Année de l’éclipse de Philippe de La Genardière. Sabine Wespieser éditeurs, 490 p., 26 €
Basile est un homme à terre, qui là-haut soliloque, au sixième étage, sur son balcon parisien ; avant de trouver le septième ciel, puis de finir aux anges. À vue d’homme, l’argument de l’ample roman paraît mince. Pourtant, le récit aigu et profus rencontre l’universel derrière le nombril et bien d’autres détails anatomiques : par-delà moult pages lestes, turbulentes et lascives, se joue une recherche chimérique et cosmique de l’Autre.
Quinquagénaire qui n’en est toujours pas revenu, abandonné par femme et fille, dispensé de dispenser ses cours de philosophie par la grâce d’un arrêt longue maladie accordé par le redoutable docteur Floch, dans les rets psychanalytiques duquel il se débat tous les jeudis à 15h, Basile se partage entre déréliction et aboulie. Il vit dans une sorte de coma social. Son cerveau fonctionne et vitupère l’époque marchande, technophile, où s’imposent les impostures, où s’effondre la culture.
Un jour, un jeudi justement, sortant de chez le Dr Floch derrière la tête duquel il aperçoit un arbre, Basile pousse jusqu’au très proche jardin des Plantes et s’aventure dans la serre. L’étouffement y sera libérateur. En une scène à la fois biblique et mythologique, sur fond de grotte, de bassin et de plantes luxuriantes, lui apparaît une nouvelle Ève, une néaVénus en laquelle il distingue une Mélisande à la chevelure colorée d’invites. Le couple se laisse enfermer pour la nuit.
Basile éprouve l’amour et l’amour l’éprouve. La chair est un révélateur, qui le rétablit dans son humaine condition. Cette femme détient la jeunesse et la beauté qui le désertent. Leurs enlacements incessants répondent au besoin pressant de Basile d’être réconcilié avec l’humanité, d’accéder au vivant en tant que mortel, de repartir d’un bond pied en atteignant une énergie vitale capable d’impliquer le monde.
Mais cette épiphanie profane et sexuelle n’est qu’une histoire sans parole. Cette Shadi, de vingt-cinq ans sa cadette, qu’il possède et contemple tour à tour, cette Iranienne dont le père officier fut liquidé au début de la révolution islamiste, qui est-elle ? Qu’est-ce qu’être faits pour s’entendre ? En quoi cueillir le jour avec une frénésie extatique fait-il lentement remonter le trop lourd passé ? Comment s’agripper au corps du prochain rend-il disponible à la création ?
En se frottant à cette ardente énigme, avec laquelle, à défaut de communiquer, il communie dans le culte de Ravel et Fauré, Basile retrouve ses sens et le sens de la vie, qui, aussi giratoire soit-il, acclimate à la beauté et à la clairvoyance : « Oui, à cinquante ans passés, en ce soir de juillet 2006, que dans son délire il avait pris pour le grand moment d’élucidation de l’énigme humaine, il pleurait, comme avait pleuré l’enfant qu’il avait été autrefois, dans un monde lointain, et qui un demi-siècle plus tard enfin rendait l’âme. »
Roman sur le temps et l’espace, L’Année de l’éclipse est mené au passé, un passé tambour battant : la langueur cruelle de l’imparfait y est fouettée à coup de plus-que-parfaits, parfois tempérés par un participe présent. Le tout s’inscrit dans un Paris décrit avec le pouvoir évocatoire propre à ceux qui souffrirent d’être arrachés à cette ville. Il y a une pulsion topographique dans ce livre au lyrisme abouti, dont les phrases, longues et sinueuses comme des itinéraires, épousent les plis de notre vieille capitale, dont l’auteur offre un condensé en forme de triangle : Beaumarchais, Cuvier, Censier, trois noms d’artères parisiennes aux premières syllabes éloquentes…
La musique perdure quand le langage s’affaisse
Philippe de La Genardière est un écrivain qui nous délivre de l’autofiction rabougrie propre à ceux qui n’ont pas assez à dire, qui nous épargne le prêchi-prêcha de ceux qui ont trop à déclarer. Il domine son intelligence et maîtrise son écriture, passant du bouillonnement et du souffle à la suggestion, à l’analogie, aux pointillés…
Basile est suivi de bout en bout, sur près de cinq cents pages, comme le ferait une caméra de surveillance, mais avec les armes et la puissance de la littérature. De même que la claustration charnelle renvoie à la métaphysique, que le moindre affluent de l’histoire annonce le delta final, les verres d’eau auxquels ont parfois recours les deux protagonistes signalent ce désert de l’amour, des âmes et des humanités dans lequel ils se débattent.
Il y a ce qui tient bon – et le roman ressemble alors à ces instruments qui mesurent la résistance des métaux –, en ce triomphe des « sphères de la communication ». La musique perdure quand le langage s’affaisse, l’émoi culturel et la disposition religieuse s’avèrent cruciaux pour faire face à la société de masse, inévitable, obligatoire : « C’était de ce côté-là que devait se tourner Basile s’il voulait s’essayer à repenser le monde : l’éclipse, il fallait aller la chercher dans ce concept désormais admis de citoyen-consommateur, asservi à la science et à la technique, lesquelles semblaient lui ouvrir les portes d’un monde sans limites, alors qu’elles signaient sa perte. »
Basile, rétabli dans ses facultés physiques et mentales, s’est remis à travailler sur un opus en chantier : Éclipse philosophique. Mais après avoir enfin établi la jonction avec l’Autre, en la personne d’une pauvresse crasseuse aux yeux bleus effondrée au pied d’un immeuble, après avoir entendu le « cri unanime » de la ville à l’occasion d’un but marqué par l’équipe de France de football, Basile, sur son balcon du boulevard Beaumarchais, se débarrasse de ses ultimes oripeaux à la tombée du crépuscule, tandis que des hirondelles, plus guillerettes que l’oiseau de Minerve cher à Hegel, prennent leur envol. Un homme est né. Il a plus de cinquante ans…
L’ANNÉE DE L’ÉCLIPSE
de Philippe de La Genardière
(Sabine Wespieser éditeurs, 490 p., 26 €)
L’adresse originale de cet article est http://www.psycho.lautre.net/spip.p...