PONTALIS, PRINCE DU RÊVE , écrivain, psychanalyste, philosophe, J.-B. Pontalis était le meilleur des hommes. Il vient de mourir à 89 ans. Jacques Drillon lui rend hommage.
Voilà que la mort nous a pris Pontalis. Elle ne se refuse rien. Il était le meilleur parmi les bons, le plus fin parmi les intelligents, le plus clairvoyant et le plus libre. Le plus doué aussi, sans emphase ni vanité, pourtant. Et enthousiaste, et rieur, et charmant…
Etait-ce d’avoir vu passer toute l’humanité dans son cabinet d’analyste ? Il semblait pouvoir tout comprendre, tout admettre. En parlant de choses et d’autres avec lui à la terrasse d’un bistrot, les larmes vous montaient aux yeux, sans prévenir, sans raison. Il y a des gens comme cela. Ils font remonter de vieilles émotions oubliées. Rien ne leur échappe, ils voient tout, ne vous jugent jamais. On fait comme on peut, voilà ce qu’il pensait. Et rien de sentimental, là-dedans, rien de pleurnicheur ! Il détestait l’effusion facile, se fâchait quand on faisait l’enfant. Le genre d’homme qu’on aurait aimé avoir pour père, en somme.
Il était de ces rares êtres qui font l’unanimité, et savent prendre ce que les autres ont de meilleur en eux : l’amour, l’intelligence, le talent. Le garçon de courses de Gallimard dans l’escalier, le prix Nobel qu’on croisait en sortant de son bureau, il s’en faisait aimer. Même dans le milieu analytique, c’est dire, on avait pour lui respect, affection. Affaire de fantaisie, de drôlerie, d’à-propos. Pas d’effort à faire, pour lui : une aptitude.
Voici une carte postale de lui. Un fusain d’Odilon Redon qui s’appelle « Prince du rêve » (c’est tout lui, ça) : l’écriture est absolument minuscule (il écrivait au Rotring ?), et même il est impossible d’écrire plus petit. Un peu penchée à droite, fine et délicate. Chaque lettre est détachée, posée à côté de la suivante comme s’il avait voulu être clair avant tout, ne rien laisser à deviner. Une sorte de politesse intellectuelle. Le mystère, oui, mais pas l’obscurité. Politesse ? Elégance, plutôt.
Il était un éditeur parfait : il lisait les manuscrits comme peu savent le faire, très affirmatif sur le détail, mais se contentant, quant à l’essentiel, de discrètes suggestions qui bouleversaient tout… Il avait lu tous les livres, avait tout retenu, il pouvait critiquer… Pour lui, les livres étaient des preuves, des indices, des dossiers. Les livres étaient dans sa pensée comme le sang dans les veines. Ni livres ni sang ne coulent plus, à présent.
Jacques Drillon
Le célèbre écrivain, philosophe et psychanalyste est mort cette nuit à l’âge de 89 ans. Il avait rassemblé en 2004, dans « le Dormeur éveillé », d’enivrants souvenirs. Jérôme Garcin les avait alors lus pour « l’Obs ».
Mots-clés : psychanalyse, Gallimard, J-B. Pontalis, Jean-Bertrand Lefèvre-Pontalis, Le Dormeur éveillé
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Né le 15 janvier 1924, Jean-Bertrand Lefèvre-Pontalis est mort ce 15 janvier 2013 à l’âge de 89 ans. Agrégé de philosophie, psychanalyste, éditeur et romancier, il avait notamment reçu le prix Valery-Larbaud pour « Traversée des ombres » (2003) et le prix Médicis pour « Frère du précédent » (2006). (SIPA)
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Les rêveurs impénitents ont la vie devant eux, surtout vers la fin. A 80 ans, J.-B. Pontalis n’a jamais éprouvé davantage de regrets. Il les appelle des « voeux non exaucés » mais ne désespère pas de les réaliser un jour. Rien ne s’oppose en effet à ce qu’il devienne médecin de campagne et accouche « une jeune femme aux joues roses », s’éclate au trapèze volant, interprète « le Misanthrope » sur la scène du Français, ou peigne comme Bonnard. Le grand avantage de la littérature sur la psychanalyse, c’est qu’il suffit de coucher ses fantasmes sur le papier pour qu’ils rejoignent, au réveil, la réalité.
Paresseux contrarié et autobiographe capricieux, J.-B. Pontalis observe son passé comme il envisage son avenir : sans jamais le gouverner, en le laissant au contraire surgir à l’improviste, au hasard des objets, des paysages, des rencontres, des lectures qui le favorisent. Ainsi place-t-il en évidence, sur les étagères de sa bibliothèque, des photographies et des cartes postales qui, mises bout à bout, dessinent le fil torsadé de sa vie.
Sartre, dont il fut le collaborateur aux « Temps modernes », continue de fumer sa gitane maïs au Flore ; Sylvie Germain, dont il a publié plusieurs ouvrages dans sa collection « l’Un et l’autre », est adossée à la Bible qui inspire ses personnages ; Paul Valéry, qu’il allait autrefois écouter au Collège de France et dont les énigmatiques « Cahiers » le fascinent, voisine avec un cheval de Géricault. Il convient d’ajouter son ami Claude Roy à Venise, Merleau-Ponty en short, et le portrait en petit Chinois que fit de lui, en 1929, le peintre japonais Foujita.
Et puis il y a cette émouvante photographie, prise un été à Cabourg par un inconnu. Jean-Bertrand a 9 ans, il est de profil, face à la mer grise. Pour décrire le garçon qu’il fut, tenter de traduire son jeune désespoir, Pontalis glisse du « je » au « il » :
Peut-être ne s’est-il pas consolé, ne se consolera-t-il jamais de la mort de son père. Peut-être espère-t-il sans y croire le voir apparaître, ce père très aimé qui l’a abandonné, le laissant sur le sable. »
Aussi loin qu’il se souvienne, et après la disparition de ce paternel qui raffolait des femmes, des casinos et des courses, l’auteur du « Vocabulaire de la psychanalyse » a été un enfant triste, renfermé et solitaire. Il lui a manqué de pouvoir partager ses secrets, ses douleurs, ses espoirs. Il lui a manqué d’être écouté. D’où la manière avec laquelle, élevant une science à la hauteur d’un art, il écoute aujourd’hui ceux qui lui confient des bribes de leur mémoire blessée.
La sienne se promène, tantôt mélancolique, tantôt allègre, dans ce livre d’une étincelante simplicité. Comme dans sa bibliothèque, où les mots imprimés ont besoin d’être éclairés, il a augmenté chaque chapitre d’images, de photos et de croquis. La reproduction du « Songe de Constantin », de Piero della Francesca, donne à ce puzzle intime son sens, son mouvement et son titre.
« Le Dormeur éveillé » qui garde le sommeil de l’empereur romain, c’est lui, J.-B. Pontalis, sentinelle des rêves, philosophe mélancolique, géographe de l’incertain, écrivain de l’entre-deux, toujours à errer entre la nuit et le jour, le sommeil et l’éveil, le silence et la parole, l’enfance et l’âge adulte, le rêve et la douleur, la psychanalyse et la littérature, Freud et Flaubert, les deux rives de la Seine. On se souvient de son roman intitulé « Un homme disparaît ». Voici qu’il apparaît dans le clair-obscur, et c’est très beau.
Jérôme Garcin
« Le Dormeur éveillé », par J.-B. Pontalis,