Remarques sur la polémique de l’autisme adressées à l’École Pratique des hautes Études en Psychopathologie (EPhEP) par Émile Jalley, Antony, décembre 2012
Remarques sur la polémique de l’autisme
adressées à l’École Pratique des hautes Études en Psychopathologie (EPhEP)
par Émile Jalley, Antony, décembre 2012
1. Un nouvel épisode dans la « Guerre de la psychanalyse », 1
2. Jacques Lacan un philosophe important du XXe siècle, 3
3. Les effets culturels de la révolution manquée de 68, 10
4. La critique du paradigme de la psychologie à visée scientifique, 13
5. Brève histoire des sens disparates de la notion d’autisme, 14
6. L’autisme proclamé Grande Cause Nationale 2012, 15
7. Un fonds de méthodes dérivé surtout de la psychologie animale, 19
8. Une marqueterie scientifique de propositions dépareillées, 21
9. L’antique question de l’union-disjonction du corps et de l’âme, 27
10. L’imposture politique du recyclage des assistantes maternelles, 28
11. D’autres symptômes d’une grave « maladie du siècle » ? 31
12. Utilité d’une formation philosophique et culturelle des psycho-thérapeutes, 33
13. In memoriam. Cave canem, 36
14. Bibliographie, 39.
1. Un nouvel épisode dans la « Guerre de la psychanalyse »
À la suite d’une invitation de l’EPHEP à participer le samedi 24 novembre à une Journée de recherche et de débat intitulée Études sur l’autisme, j’ai répondu qu’averti trop tard je ne pouvais y prendre part mais que je me réservais de faire parvenir à l’EPHEP un texte présentant des remarques et des réflexions.
Je préviens que je ne vais pas aborder la question de façon frontale, pour la bonne raison que je ressens personnellement cette situation de la polémique autour de l’autisme comme un nouveau piège à l’intérieur d’un contexte plus général dont l’ensemble des coordonnées planimé-triques reste en partie mal défini. Libre à chacun de penser autrement. Mais je préfère pour ma part tourner autour de la question, ce qui est une stratégie très valable pour mieux la cerner, au moins pour mon compte. Platon dit qu’il s’agit parfois d’en user à la façon métaphorique, déplacée, de la « mathématique » dont il pense qu’elle sait « rêver autour de l’être » (oneirousi péri to on).
La guerre de la psychanalyse intérieure à l’espace universitaire ne date pas d’hier, elle a commencé dès avant les années 68, à peu près avec la nomination de Paul Fraisse dans une chaire de psychologie expéri-mentale à la Sorbonne en 1957. Je ne suis pas le seul à avoir parlé du conflit ancien et violent entre Paul Fraisse et Juliette Favez-Boutonier lors de chaque session des examens de licence (Ohayon, 1999).
La guerre de la psychanalyse dans l’espace public, au cours de la « campagne de France », sauf qu’il n’y a plus de Napoléon comme en 1814, est plus récente : elle a été marquée par une succession de plus ou moins vives petites batailles dont le camp de la psychanalyse est sorti à chaque fois plus affaibli - « Es ist so » (c’est comme ça), comme disait Hegel devant ce qui lui paraissait la stupidité des montagnes suisses : les affaires du lamentable rapport INSERM en 2003, celle du calamiteux Livre Noir de la psychanalyse en 2004, celle de la querelle de l’évaluation en psychologie à propos de la nouvelle liste des revues à comité de lecture en 2009, celle du pitoyable livre d’Onfray en 2010, celle du décret scélérat du 20 mai 2010 sur la formation à la psychothérapie, puis celle de la loi non moins scélérate du 5 juillet 2011 sur l’asservissement de la psychiatrie. Cette année 2012, il s’est agi de la relance de la polémique sur l’autisme dans le contexte d’un sinistre rapport du 8 mars 2012 émanant de la Haute Autorité de Santé, juste à la transition de deux pouvoirs politiques, et aboutissant en fait à proclamer la mise hors la loi de la psychanalyse touchant le domaine des organisations psychotiques en matière de clinique infantile. Dit ainsi, cela paraît très gros, mais n’en est pas moins réel.
J’avais entrepris depuis les années 2004 le vaste projet d’une critique générale de la psychologie à visée scientifique dans l’idée naïve que les résultats pourraient en servir au camp de la psychanalyse dans son combat contre le camp de la psychologie scientifique et de ses allian-ces diverses. Ayant mené à peu près à bien cette sorte de périple autour de l’Himalaya sans y rencontrer à peu près âme qui vive - malgré 11 livres pour quelque 5 000 pages -, j’avais pris la décision de cesser mon entreprise d’écriture critique depuis l’année 2008 à peu près. Puis, malgré tout, j’avais repris et poursuivi la lutte en intervenant encore beaucoup, à partir de cette date, à propos de la querelle sur l’évaluation (octobre 2009), puis de l’affaire Onfray (Printemps 2010), puis du décret de mai 2010 et de la loi de juillet 2011, toujours en n’entendant pour écho que siffler le vent aigre et glacial « dans les steppes de l’Asie centrale », comme Borodine. Ce qui a aussi son charme.
Alors, lorsqu’est repartie au début de l’année 2012 l’affaire de la polémique autour de l’autisme, celle-ci ne m’est apparu de loin du haut de la falaise en face de la tempête (« suave mari magno », Lucrèce) que comme un nouvel épisode de la guerre de la psychanalyse dans sa bataille de France, à vrai dire de plus en plus difficile. Et j’ai décidé personnel-lement de suivre alors les choses sans intervenir par de nouveaux textes. Basta ! Vox clamans in deserto. Trop sans rien, que l’écho de sa propre voix, c’est plus que trop. Par ailleurs, je m’étais lancé dans une étude de la Crise de la philosophie au XXIe siècle en France en produisant des textes inédits de Louis Althusser, de même que dans une édition complète des textes non réédités d’Henri Wallon (3 000 pages en 6 volumes). J’avais donc de quoi m’occuper.
2. Jacques Lacan un philosophe important du XXe siècle
Par ailleurs, j’ai cru intéressant, toujours pour moi, dans cette situation de plus en plus défavorable pour le camp de la psychanalyse, de relire du Lacan, et encore du Lacan, et comme cela fait bientôt 10 mois que cela dure, à raison d’environ 8 heures par jour, j’en ai relu beaucoup. J’avais fait un peu la même chose en mai 68 : ayant compris au bout de quelques jours que rien de fameux ne sortirait de là, j’étais resté chez moi pour lire le Capital de Marx, parmi d’autres choses du même genre (la Dialectique de la nature d’Engels, les Cahiers philosophiques de Lénine sur Hegel, les textes de Politzer, etc.). C’est très marqué et cela marque.
Alors, je vais d’abord parler de ce qui ressort pour moi aujourd’hui de ma (re)lecture de Lacan.
Bien entendu, l’œuvre de Lacan est énorme : il y en a 13 000 pages, le double de l’œuvre de Freud (oui !), et plus de 80 % en parole. L’œuvre écrite proprement dite ne comprend guère que 2 000 pages environ, contre 11 000 de Séminaire et autres paroles, ce qui en soi est singulier. Il y a eu des précédents : les œuvres d’Aristote, de Plotin, d’Épictète, de Thomas d’Aquin, de Hegel pour une bonne part, de Lagneau sont les reliques d’un enseignement oral.
Le gigantisme de cette œuvre surtout parlée n’est comparable à rien d’autre. Sartre a-t-il produit autant de pages ? Piaget peut-être ? Derrida a fait 62 « livres », mais parfois très courts. En tout cas, les autres « philosophes » du XXe siècle n’en ont pas éjecté autant : Deleuze, Foucault, Lyotard, Levinas, Merleau-Ponty, Bachelard. C’est sans com-mune mesure, himalayesque. Quel arsenal de bataille si on savait bien l’utiliser.
Lacan n’écrit pas comme il parle. Son écriture est bien plus « nouée », resserrée que sa parole. Certains textes demeurent énig-matiques : Lituraterre, L’Étourdit, Radiophonie. Il aime le « gongorisme cristallin », comme on sait. Mais quand Lacan parle en direct, ce qui stupéfie, c’est la puissance du Verbe. Dans les retranscriptions aujourd’hui disponibles de Patrick Valas, aux points de suspension près, respiration comprise, on tombe parfois sur des phrases de 35 lignes, articulées de façon complexe, comme les méandres d’un fleuve, avec des subordonnées et des incises, et qui viennent se poser sur leur fin comme des colombes. On dirait parfois du Bossuet, du Chateaubriand, du Proust. C’est fascinant.
Par ailleurs, chez Lacan, la dimension théorique est toujours liée de près à une composante figurative. Sur le site de Patrick Valas, le volume formé par l’ensemble des représentations figurées diverses : lettres, réseaux, graphes, figures topologiques, mathèmes et nœuds borroméens ne forme pas moins de 635 pages. C’est inouï.
En outre, c’est, à mon sentiment, aussi difficile à lire et à comprendre que le plus difficile de tous les philosophes : Hegel. Mais le pire c’est Fichte, qui a voulu déduire le monde entier de son porte-plumes, comme disait un moqueur de l’époque. Sans parler du Parmé-nide de Platon, où Lacan aimait se promener, sans y avoir jamais rencontré beaucoup de monde, parmi des fleurs exotiques bizarres (cité au moins une dizaine de fois).
Or, mon sentiment général, c’est que La Pensée-Lacan a été très bien diffusée sous l’aspect clinique, mais beaucoup moins, et même pas du tout, assimilée - y compris par les « lacaniens », parmi lesquels je ne dédaigne pas de me ranger - à l’envisager cette fois dans sa perspective philosophique. Cette situation est selon moi aujourd’hui très gênante du point de vue de la lutte du camp de la psychanalyse contre ses adversaires du camp comportementaliste-organiciste.
De fait, au point où les choses sont arrivées, mon opinion est que l’on ne s’en sortira pas dans cette affaire par la confrontation de caractère seulement clinique. La polémique sur l’autisme, dans le cadre de la Guerre de la psychanalyse, comporte une composante indéniablement idéologico-politique, « politique » étant entendu en un sens large, au-delà de l’opposition entre « la droite et la gauche », dont on sait bien qu’elles peuvent en réalité sur bien des points mener la même politique.
Lacan n’est pas seulement le refondateur de la psychanalyse en France, il est probablement aussi le premier philosophe français du XXe siècle. Rien d’étrange à cela. Certains philosophes ont été aussi autre chose que des philosophes, par exemple des mathématiciens de premier plan : Platon, Descartes, Leibniz. Kant a inventé la force d’expansion propre à balancer la force de gravitation de Newton. Hegel est l’inventeur du paradigme des sciences humaines modernes (histoire, sociologie, psychanalyse). Que Lacan soit un philosophe de premier plan, qui finira par trouver sa place auprès des plus grands avec qui il dialogue, je ne suis pas le seul à le penser. Judith Lacan, sa fille, l’a formulé tout nettement dans le cadre d’une polémique (judiciaire il me semble) récente. Elle-même excellente philosophe, reçue première à l’agrégation dans les années 62-63, auteur de travaux d’épistémologie très estimables, et dont j’ai été le collègue un moment dans l’enseignement secondaire à Nancy. Elle pense que Jacques Lacan a sa place à côté de Descartes par exemple, et elle a raison.
Lacan, c’est de la psychanalyse, mais indissociablement mêlée à de la philosophie. Et cela est difficile à reconnaître aussi bien pour les psychanalystes que pour les philosophes.
Donc Lacan a été et reste encore mal compris en tant que philosophe. Il est passé par-dessus l’époque. Deleuze aussi. Même il faudrait plutôt classer Lacan dans la rubrique de l’ « antiphilosophie » (Badiou) : Augustin, Paul, Montaigne, Pascal, Rousseau, Kierkegaard, Nietzsche, Wittgenstein. Les antiphilosophes sont, comme on devrait savoir, les philosophes les plus subtils.
Les preuves que Lacan est aussi un philosophe ?
En dehors de Freud, les mentions d’auteurs les plus fréquentes par Lacan sont celles qui concernent des philosophes selon l’ordre suivant, une masse absolument énorme :
Platon (179), Aristote (165), Hegel (131), Descartes (102), Kant (88), Socrate (76), (Lévi-Strauss) (71), Marx (67), (Pascal) (62), Saussure (48), Heidegger (47), Hyppolite (31), Sartre (31), Spinoza (22), Foucault (21), La Rochefoucauld (18), Diderot (15), Wittgenstein (8), Deleuze (6),Husserl (5), Tocqueville (3), Derrida (2). Sans oublier Frege (34), Cantor (24) et Pierce (14). À côté de cela, Mélanie Klein est citée 53 fois, Winnicott 14 fois. À eux deux tout juste autant que Marx. C’est énormément significatif. De quoi ? C’est ce qu’il faudrait s’efforcer de dire, si les mots veulent sortir, et aussi se faire entendre.
Un autre signe qui fait de Lacan un philosophe de premier plan n’est pas équivoque. Cette manière de dépasser-conserver les prédéces-seurs a toujours été le fait des très grands. Le contresens créatif et triomphant, c’est à cela que l’on reconnaît leur race, leur lignée : Aristote avec Platon, Spinoza et Leibniz avec Descartes, Hegel avec Kant, Marx avec Hegel, après c’est fini… Heidegger avec Husserl, Hegel, Kant ? Si peut-être : Deleuze avec Spinoza, Leibniz et Kant.
Lacan montre une virtuosité étourdissante, transcendante, dans ses relectures de la logique aristotélicienne (les deux propositions con-traires A et E peuvent être vraies ensemble), du cogito cartésien (je pense là où je ne suis pas et vice versa), de l’esthétique transcendantale kantienne (remodelée dans l’espace projectif de Desargues), de Frege (le zéro comme métaphore du sujet barré). Personne n’avait jamais osé faire cela.
Ce que Lacan pense de la « science » est complexe, et pas spécia-lement élogieux. Mais on reconnaît une tradition. La science pour lui se situe à peu près au niveau de la « doxa » platonicienne, de la connaissance du deuxième genre spinoziste, mais pas au niveau de dignité de la « mathesis » cartésienne, ni du « phénomène » kantien. La science ne touche pas à la vérité (S1), elle produit des savoirs (S2), dont procèdent des technologies d’où s’ouvre l’espace de vanité utile, d’utilité vaine de la gadgeterie postmoderne, sorte de monnaie en mille « rien » de l’évanes-cence irrémédiable et de la futilité essentielle propres à l’objet a. Vanitas vanitatum.
Cette perspective n’est pas si différente de celle du Heidegger de « Sein und Zeit » dans sa critique de l’(o)utilité (Zeughaftigkeit) et du bavardage quotidien (Gerede). Lacan accorde bien moins de crédit à la science qu’un Deleuze, en tout cas celui de la première manière.
Qu’avec Descartes s’invente le sujet de la science en même temps que celui de la psychanalyse, c’est clair. À condition de bien percevoir - dans le dos de Galilée - que le sujet inconscient s’élabore aussi chez des auteurs comme Pascal et les jansénistes (Bénichou, Les morales du grand siècle), mais aussi Corneille, Racine, La Rochefoucauld (voir Jalley PP1 ch 7).
Parmi les quatre (en fait cinq) « discours » décrits par Lacan, il n’y a pas de « discours de la science ». La science tient d’un mauvais côté du discours universitaire, et d’un côté meilleur du discours hystérique, celui de Socrate. Mais la place d’un « discours philosophique » par rapport à tous ces autres n’est pas très claire non plus.
Mais il est assez évident que le discours de l’analyste sert d’étalon sous-jacent à tous les autres, et se propose comme une sorte de « tribunal de la raison », un peu à la Kant, pour évaluer le droit de tous les autres discours.
La Pensée-Lacan, tout comme du reste la pensée freudienne, est parsemée d’un assez grand nombre de « paradoxes », voire même d’« an-tinomies » au sens kantien. Une bonne méthode pour y voir clair, consis-terait d’abord à en faire le relevé, quitte à voir ensuite si et comment elles peuvent être traitées et dépassées, supposé que ce soit possible. « Dépas-sement-relève » (Aufhebung), comme dit Badiou (1977), il le faudrait, mais cela fait trente ans que l’on essaie sans succès. Un jour quelqu’un peut-être saura le faire, mais pas dans le camp des archinuls du DSM. Commencer à dire par exemple que le langage d’où se génère le sujet fonctionnerait tout de même comme une sorte d’hyper-transcendantal, un peu mutatis mutandis à la manière de l’Être heideggerien. Celui qui le dira le premier ne sera pas forcément bien vu. Pour ne pas évoquer non plus le Verbe johannique. Car enfin c’est Lacan lui-même qui s’est auto-risé le rapprochement entre sa triade Réel-Symbolique-Imaginaire et le paradigme de la Trinité (Fils-Père-Esprit) (Les non-dupes errent, 1973-1974).
Un certain nombre de ces paradoxes, pas tous, tiennent au refus délibéré où Lacan se tient par rapport à certaines hypothèses freudi-ennes.
Par exemple Freud a toujours soutenu que la psychanalyse serait une « nouvelle psychologie », mais sans rapport avec la « psychologie universitaire », de même que (à Fliess), dans ce qu’il propose, tout est nouveau, cependant que tout a déjà été dit (Jalley GPC ch 2).
De cela, Lacan ne veut pas entendre parler, identifiant le para-digme de la psychologie en général à l’Egopsychology qu’il dénonce comme une psychanalyse abâtardie, dont il fait par ailleurs le symbole-clé du mode de pensée américain (american way), et d’une culture anglo-saxonne qu’il rejette (sauf Pierce, Winnicott et Klein, Bion également). Il existe là une condensation, un nœud gordien qui mériterait que l’on s’y intéresse mieux.
Dans la même optique de cet antipsychologisme, Lacan se gausse assez souvent de « la psychologie des profondeurs », alors que c’est une expression positive d’une occurrence vraiment très abondante sous la plume de Freud (au moins une trentaine de fois dans des textes fondamentaux, Jalley GPC ch 3).
La position de Georges Politzer à cet égard est intéressante à rappeler, qui considère que la psychologie est une science maudite qui a toujours failli dès ses origines historiques (idée de Lacan), sauf touchant la psychanalyse qui est la seule vraie psychologie qui ait jamais existé (idée bien plus proche de celle de Freud). Pour Lacan comme pour Politzer, Freud est un visionnaire génial et insurpassable, mais qui reste à certains égards empêtré dans un discours ancien qu’il dépasse. Il y a des textes amusants où Lacan se pose comme l’instituteur de son propre Père. C’est aussi quelque peu la manière dont Freud a approché Moïse.
Il existe encore bon nombre de thèses freudiennes dont Lacan ne veut pas entendre parler.
Cela est rabâché concernant la fonction adaptative du moi par rapport à la gestion de la motilité sous l’égide du principe de réalité.
Mais il y a bien d’autres choses encore à relever à cet égard.
Lacan préfère la première topique à la seconde, ce qui ne l’empêche pas de mettre l’accent fort sur la pulsion - ou l’instinct, ne chipotons pas - de mort. Il se gausse plus d’une fois du sac ou œuf malencontreusement, dit-il, emprunté à ce colporteur de passage que serait Groddeck.
Lacan n’aime pas du tout le modèle hydraulique des vases com-municants des deux libidos narcissique et objectale (repris par l’éthologue anglais Tinbergen à propos de son épinoche et de son oie qui roule l’œuf avec le bec).
Lacan rejette le fameux modèle de l’équation étiologique, soit encore des séries de compensations, comportant l’échelle génétique des stades du développement libidinal, articulée au double mécanisme de fixation-régression. Ce modèle où s’ajustent les différents moments de la « prédisposition » et de l’« événement » - Disposition/Erlebnis, de la « constitution » et de l’« accident » - Konstitution/Akzident (1915, 1917 Freud, 1915 GW, V, 141-143 ; 1917 X1, 376) - est tout de même l’un des temps forts (ce n’est pas le seul) : structure et genèse, où s’est cristallisée la pensée freudienne concernant l’étiologie des névroses et des psychoses. Et envoyer paître ce versant du « génétisme », incontesta-blement présent en regard du « structuralisme » dans la démarche freu-dienne, est un choix très lourd de conséquence.
Il y a encore d’autres aspects que Lacan n’aime pas chez Freud : le renforcement du moi comme visée de l’analyse. Pourquoi pas ? Dans certains cas, cela peut faire le plus grand bien au Sujet, par exemple quand sa consistance est celle des « montres molles » de Dali. Ne pas céder sur son désir serait une entreprise alors un peu vaine.
J’ai déjà insisté plus haut sur la modernité en même temps que l’isolement du paradigme de la Pensée-Lacan, envisagé du point de vue de sa perspective proprement philosophique. Mais j’y reviendrai encore un peu plus loin.
Par ailleurs, j’ai été amené à formuler, au cours de mes travaux, un certain nombre de critiques fondamentales contre la psychologie, les sciences cognitives et les neurosciences. (Jalley CPUF1 et 2 ; PPAF surtout ch 1, 13-18, WP ch 10-11 ; CRP, PP1 surtout ch 1, 5, 6, 11 ; PP2 ch 1-9), et à développer de nombreuses considérations dans le champ de la critique idéologico-scientifique-et-politique (AO1, AO2, AO3, DP1, DP2, SM1, SM2, SML). Celles-ci auraient être très utiles au camp « lacanien » dans sa lutte contre l’objectivisme. Mais il aurait fallu, il faudrait pour cela, au lieu de diaboliser d’emblée la psychologie et savoirs connexes, aller voir dans leur camp comment l’ennemi fonctionne, s’il peut y exister, même dans sa visée aliénée, le mi-dire d’un quelconque savoir à quoi pourrait valablement tendre par exemple le modèle idéologique d’un homme cybermachine. Que nous sommes ou serons - machinaux - plus ou moins un jour tous et pas-toutes. Car en bref nous ne sommes pas que des Sujets angéliques voletant en aube blanche par-dessus les landes de bruyères bleues.
De ce coté-là, Lacan n’a pas rendu un bon service en maintenant l’ignorance des analystes à l’égard des sciences cognitives. Les lacaniens découvrent le cognitivisme depuis à peine plus de 5 ans (L’Anti-livre noir de Miller, 2006). Pourtant le goût pour les sciences formelles intéressait Lacan de toute évidence au mécanisme des « machines logiques » (Écrits, 47-51, 54-57). Il reconnaît parfois qu’il y a des travaux intéressants à leur niveau dans le champ de la psychologie expérimentale l’homme-machine (j’ai coché quelques textes à retrouver et à reprendre sur ce sujet dans ma récente (re)lecture de nombre de Séminaires). Mais avec la psychologie, c’est, ainsi qu’on l’a dit, l’ensemble de la culture anglo-américaine qu’il rejetait - comme le faisait l’intelligentsia religieuse française des années 50, même si ce rapprochement paraît incongru.
J’ai dit plus haut avoir à revenir sur la modernité de la Pensée-Lacan.
Il est frappant que le collège des auteurs cités par Lacan s’organise selon la série historique de ce qu’il y a lieu d’appeler un paradigme de la pensée dialectique. Cette proposition n’est pas démontrable ici et sur le champ, outre le fait que le mot « dialectique » est un terme maudit dont la seule mention fait à l’occasion sourire dans telles Journées d’Études de l’EPhEP, où je me suis trouvé. En tout cas, Platon, Aristote, Descartes, Pascal, Spinoza, Kant, Hegel, Marx, Heidegger, Saussure, Lévi-Strauss, sont des penseurs de la contradiction, de l’opposition, du négatif, de la différence, dites même la différance (Derrida), de la répétition-différence (Deleuze), du différend (Lyotard).
3. Les effets culturels de la révolution manquée de 68
Cette situation doit être appréciée par rapport à ce que j’appellerai l’échec d’une révolution de 68 en France, étant entendu selon un certain nombre de ceux qui s’y trouvaient que le destin a pu balancer pendant quelques jours sur l’ouverture d’un changement de l’ordre établi à l’exergue d’un programme disons social avancé. Dans le film « Octobre » d’Eisenstein, on voit dans le Palais du tsar et à l’instant décisif de la bataille une horloge en forme de chouette tourner la tête alternativement d’un côté puis de l’autre. Je pense qu’il ne s’en serait pas fallu de beaucoup que la mayonnaise ait pu prendre, mais que l’échec subi par un peuple dans de telles ouvertures de la fenêtre de l’Histoire comporte toujours des conséquences ultérieures terribles dans le sens d’une sou-mission servile au Discours du Maître, d’une acceptation du pacte de servitude volontaire (La Boétie sur le Web). Nous y sommes encore plongés. Ces considérations ne sont pas nouvelles. Jadis déjà le manuel d’histoire de Malet-Isaac parlait de la soumission (in)volontaire des peuples à l’ordre établi, par exemple après les Guerres de Religion ou encore après le Directoire.
Or cet état de choses, pour revenir à nos moutons qui n’étaient pas loin, s’est traduit alors au plan de la vie philosophique en France par le raturage de tout intérêt pour la filière d’une pensée organisée selon un schème Hegel-Marx. Dès les années 50, Jean Hyppolite avait introduit un renouveau timide des études hégéliennes. En outre, à côté et en contraste avec de terribles pesanteurs de l’organisation politique d’un PCF caricatural, il existait une pensée marxiste pas nulle (Goldmann, Lefebvre, Sève), même si la France n’a jamais su engendrer des penseurs de la dimension d’un Lukács ou d’un Gramsci.
C’est cette ligne de pensée selon l’axe Hegel-Marx qui s’est alors trouvée condamnée pour les penseurs de l’époque, au moins les plus importants (Deleuze, Derrida, Foucault, Lyotard) qui ont alors inventé des trajets particuliers selon chacun pour contourner la montagne Hegel-Marx. Cela serait démontrable sans peine pour ces quatre grandes vedettes, même si ce n’est pas ici le lieu. D’autres (Barthes, Lévi-Strauss) ne sont pas sentis concernés de façon urgente par cette question. Ce que font les quatre vedettes ci-dessus, c’est chacune à leur façon repartir de Kant dans la situation à peu près où se trouvaient les disciples préromantiques de celui-ci (Fichte, Schelling, Hegel), mais justement cet appui sur Kant leur servant à contourner Hegel-Marx, en s’accrochant par-dessus leurs têtes qui à Bergson (Deleuze), qui à Nietzsche (Deleuze, Foucault), parfois même à Wittgenstein (Lyotard). On pourrait le montrer, sans en avoir le temps ici, répétons-le, justement à propos des dénommés Deleuze, Foucault, Lyotard, et même Derrida (lui plus pro-che de Husserl, Heidegger, Lévinas).
Or donc tout le monde abandonne le chemin balisé par les références à Hegel et Marx, tout le monde sauf justement Lacan. Sartre aussi, sinon tout à fait jusqu’à disparition.
Le rapport de Lacan à Hegel est déjà plus que connu (Écrits, Index, Catégories hégéliennes, p. 897), même si en réalité il n’intéresse plus personne, même si personne ne sait plus qu’en faire.
Je me suis amusé, on s’amuse comme on peut, au cours de cette (re)lecture de pas mal des Séminaires de Lacan à relever toutes les occurrences du terme « dialectique », pour voir. La somme en est énorme, « dialectique » est chez Lacan un mot presque courant - parfois 6 fois dans la même page (Les formations de l’inconscient, p. 358) -, ce que laisse passer complètement à travers l’Index référentiel d’Henri Krutzen, et qui fait aujourd’hui drelin-drelin à l’oreille de la plupart des cliniciens.
Or, pour en venir à Marx (67 références), il faut bien convenir qu’il est également pour Lacan un auteur d’une importance théorique et pratique absolument cardinale. Lacan écrit carrément que Marx est l’inventeur de la notion moderne de « symptôme », que sa plus-value, son plus-de-jouir n’est rien d’autre qu’une figure essentielle de son propre objet petit a. Bien plus, que la description marxiste de la mécanique sociale est correcte, à ceci près le fonctionnement de l’aliénation durera toujours et qu’il est vain de se leurrer de la sucette d’une révolution socialiste, qui installerait un jour un grand « Dimanche de la vie » (Queneau à propos du Hegel de Kojève).
J’ai parlé ailleurs du fait que Freud dans ses écrits « sociologiques » ne dit déjà à peu près rien d’autre, et je n’y reviendrai pas (Jalley LA2 ch 4). Que les modèles néolibéraux produits par les nobélisés nord-américains rendent illisible l’écheveau de la crise monétaire et économique mondiale, cela est aujourd’hui clair. Et tout autant que la grille d’analyse produite par Le Capital (l’avez-vous lu en entier ?) en rend le mécanisme clair comme le jour, quasi more geometrico : déséquilibre croissant du salariat et du capital, chute de la demande en proportion de la croissance de l’offre, baisse tendancielle du taux de profit dans l’investissement industriel, crise généralisé du système industriel, bascule de l’excès en reflux du capital dans un pur capitalisme financier, système de papier, dimension de la pure et simple valeur d’échange coupé de toute référence à toute valeur d’usage réelle, roue d’Ixion multipliant en spirale croissante les effets pervers, moloch échappant à tout pouvoir étatique au contraire en dette croissante à son égard. On entend encore la voix du grand Hegel en écho dans le lointain de ce discours, n’en déplaise à feu l’honorable Louis Althusser.
Rien à ajouter de plus. Même Alain Minc dit qu’il le sait. Que tout cela fonctionne comme l’excroissance monstrueuse d’un inconscient planétaire incontrôlable, tous les responsables le disent, à avouer qu’ils ne savent rien d’autre que faire du pilotage à courte vue, sans compré-hension globale d’un quelconque mécanisme de détail, mais toujours en empochant la monnaie.
Ce que la gentry des économistes et des journalistes sait faire de mieux à cet égard, c’est de déplorer l’intensification de la lutte des classes (le socio-chrétien Jacques Julliard), mais en substituant le nom de Toc-queville à celui de Marx, quitte à y ajouter pour faire bonne mesure ceux de Péguy, Bernanos, Simone Weil, Camus. Du côté des méchants sont aussi pour lui les copains de Hegel : Sartre, Heidegger. Freud est très méchant (Onfray). Lacan, personne n’ose vraiment s’y frotter in persona : trop long (13 000 pages…) et trop difficile. Même certain(e)s qui se disent du camp de la psychanalyse n’y comprennent que dalle, à prétendre par exemple qu’après les Écrits à peu près, la démarche de Lacan tombe déjà dans la sénilité, comme en témoigneraient la pente croissante vers les arguties logiques et les jeux de mots intempestifs.
Dans pareille « atmosphère » (Arletty), justement Tocqueville est très intéressant, mais ne saurait remplacer Marx, pas plus que la lampe à pétrole l’ampoule électrique. Mais ce qui est très intéressant chez lui, c’est l’idée que la démocratie moderne, dont l’enseigne est l’expansion inévitable de la « liberté », n’en reconduit pas moins par des mécanismes implacables aux pires tyrannies : la plupart des citoyens s’occupent de faire prospérer le commerce et le succès attenant de leurs affaires domestiques, cependant que les plus entreprenants, avides de pouvoir et d’argent, s’emparent du pouvoir pour duper et asservir les masses qui les ont élus.
La question n’a jamais été sérieusement discutée de savoir si les horreurs du socialisme réel ont partie liée intégrante avec le noyau de la Pensée-Marx, celui lié à l’analyse produite par Le Capital. Lyotard a beaucoup discuté cette affaire du discours monothéiste totalitaire, question intéressante en soi pour qui est doté d’esprit de finesse, avant que l’inepte d’Onfray n’en recycle pour lui le thème de la Bible comme source des camps de concentration. Qu’un ange passe.
4. La critique du paradigme de la psychologie à visée scientifique
Voyons à présent ce que l’on peut faire d’une critique approfondie du scientisme en sciences humaines et d’abord en psychologie.
Premièrement, le point de vue objectiviste du scientisme en psychologie est incapable d’identifier les contradictions existant dans le réel. Pourtant, il y en a de multiples exemples en psychologie expéri-mentale : par exemple les « conservations piagétiennes » qui marchent à 7 ans à Genève ou alors à 3 mois aux USA avec d’autres designs d’expérience. Personne ne sachant pourquoi ; ni si on parle de la même chose, ou d’autre chose et en quoi (différence d’objet ou d’approche ?).
Deuxièmement, le temps de la modélisation (hypothèse) en psy-chologie scientifique comporte souvent l’identification introjective du réel observé en simple possible, en catégories abusives d’extension vague et de compréhension pauvre, et à la limite vide - concept sans intuition (Kant 1781 : Begriff ohne Anschauung). Par exemple le facteur g de Spearman, les facteurs de personnalité de Cattell, la « résilience » de Cyrulnik, l’inflation galopante des nouvelles catégories imaginaires dans le DSM. Donc ce qui s’appelle prendre des vessies pour des lanternes.
Troisièmement, le temps de l’expérimentation comporte souvent l’identification projective d’un possible vide dans la vérification d’un « réel » inventé - intuition sans concept (Kant : Anschauung ohne Begriff). C’est le mécanisme bien connu de la prophétie auto-réalisatrice. Imaginez par exemple des expériences « pour » démontrer que le cerveau fonctionne « comme un ordinateur », alors il se mettra à fonctionner selon le design de telles expériences. Créez de nouvelles catégories DSM pour illustrer l’hypercatégorie d’autisme, alors on verra fleurir et se multiplier les observations d’autistes, soit que les observateurs en voient là où ils n’en voyaient pas encore (y avait-il déjà la même chose à voir ou alors une chose autrement nommée ?), soit que les sujets se mettent à fonctionner réellement de cette manière. Donc ici ce qui s’appellerait prendre des lanternes pour des vessies.
Dans le domaine d’application pas très éloigné de l’industrie pharmaceutique, le public commence à se familiariser avec l’idée que l’on propose au chaland, à partir d’un certain ressenti, des maladies nouvelles, pour être soignées par telles molécules nouvelles anticipées comme de bonne rentabilité commerciale. On connaît depuis longtemps le Docteur Knock de Jules Romain (1923), érigé aujourd’hui en sorte d’idéal du moi d’un large secteur de la planète commerciale.
D’autres difficultés se présentent couramment dans le champ « psy », et du reste dans ceux de toutes les sciences humaines. C’est que d’une part un même nom peut correspondre à des choses différentes, par exemple « représentation » en psychologie cognitive, ou encore, tiens !, « autisme » en psychopathologie. Ou alors à l’inverse qu’à un réel similaire correspondent des noms entièrement différents (perversions de Freud-Lacan, borderlines, inanalysables de Joyce MacDougall, pervers narcissiques de Racamier, etc.).
Ces deux aspects se rattachent à ce qui vient d’être dit plus haut sur le « Premièrement » touchant les avatars de la catégorisation.
Ceci encore, dans le champ « psy », ce qui est valable pour un individu ne l’est pas forcément pour tous. Et ce qui vaut pour beaucoup ne s’applique pas forcément à tous les cas singuliers.
Dans le champ « psy », il n’ya pas de vérité absolue, mais que des vérités relatives, susceptibles dans certains cas de se composer, de se compléter, mais dont chacune n’est qu’un mi-dire s’appliquant à pas-tou(te)s. Les objectivistes devraient savoir cela, eux qui parlent de « pro-babilités », mais sans en tirer la conséquence générale qu’il n’y a jamais de certitude absolue. Cela, on l’a su d’ailleurs à travers toute l’histoire de la philosophie (Héraclite, Sceptiques, Hume, et bien entendu Hegel).
5. Brève histoire des sens disparates de la notion d’autisme
Le terme d’« autisme » est un nom qui renvoie à des réalités anciennes et actuelles très différentes.
Il y a eu l’autisme de Bleuler, en double rapport selon lui avec l’au(to-éro)tisme de Freud et la schizophrénie. Ce concept est repris par Piaget pour envisager son « égocentrisme », et intervient dans sa polémi-que avec Wallon (Jalley WP ch 1, 2).
Le Manuel de psychiatrie d’H. Ey et col. (1967), ouvrage de réputation classique, parle d’amnésie autistique à propos du syndrome de Korsakov et des presbyophrénies et de délire autistique à propos des schizophrénies. Rien de plus. Il identifie le concept de « psychoses infantiles : états prépsychotiques, psychotiques, schizophréniques » (103, 129, 579, 646).
Donc en 1967 encore, pour le manuel français de référence fondamental et résultant des travaux d’une grande perspicacité poursuivis depuis 150 ans, l’autisme n’existe pas encore en tant qu’entité, en tant que syndrome : aurait-on manqué de l’identifier alors qu’il « existait » ? L’aurait-on appelé d’un autre nom ? Ou alors n’ « existait »-il pas en-core ? Questions pertinentes mais difficiles à résoudre.
Puis dans les années 70, l’autisme de Kanner 1943 est intégré dans le chapitre des psychoses infantiles (précoces, de latence, de l’adoles-cence), à côté des syndromes de Margaret Mahler, de Frances Tustin, de Meltzer, des expressions déficitaires, des dysharmonies évolutives, des prépsychoses, etc., dans le cadre du modèle de psychopathologie psychanalytique de l’Ecole de Lyon (Bergeret préfacé par Widlöcher, 1972), alors très moqué à l’Université, d’après mon souvenir, par des enseignants « lacaniens ».
Depuis sont arrivés, formant un véritable habit d’Arlequin, et en-cadrées dans un pénible et lourd contexte médiatico-politico-adminis-tratif, les TED, les « high functioning », Asperger, les tests de Baron-Cohen et CHAT, les « bonnes pratiques » de prises en charge compor-tementales (ABA) et cognitives (TEACCH, PECS), avec les recouvre-ments imparfaits et bricolés des CIM10 et du DSM.
Je ne vais pas compiler ici toutes les informations intéressantes mais approximatives que chacun peut consulter dans les articles de Wiki-pédia : Autisme, Autisme infantile, Méthodes de prise en charge de l’au-tisme, Trouble envahissant du développement ; Discussion : autisme in-fantile en psychanalyse.
J’ai lu les deux textes de Charles Melman et de Paule Cacciali sur la Convocation pour la Journée d’Étude du 24 novembre, qui me semblent dire l’essentiel. Enregistré aussi les participations sur des sujets cliniques très pointus de Dominique Janin Duc, Jean Jacques Tyzsler, Marie-Christine Laznik, Graciela Cullère Crespin et Annick Hubert Barthelemy.
6. L’autisme proclamé Grande Cause Nationale 2012
Depuis j’ai vu sur FR2 le mardi 27 novembre une émission sur « L’autisme un scandale français » - « Grande Cause nationale 2012 » (à l’initiative de François Fillon), émission présentée par Benoît Duquesne, journaliste d’un interventionnisme très partisan sur le sujet, avec la participation de trois personnalités officielles : Marie-Arlette Carlotti ministre déléguée PS, Marie-Anne Montchamp ancienne secrétaire d’État UMP, Frédérique Bonnet-Brilhaut professeur et directeur d’hôpital à Tours. La psychanalyse ce soir-là est déclarée publiquement par cette dernière, si mon souvenir est exact, comme une doctrine fausse, sans personne pour lui répondre. Puis un film montre un Asperger « remar-quablement joué » selon le Web par un acteur belge. Parmi les parents présents, aucun ne semble former la moindre idée qu’une psychothérapie personnelle pourrait - rien que pour voir - lui faire quelque bien et peut-être contribuer à détendre l’ensemble de son entourage - ce serait même une grande inconvenance que d’en faire la moindre suggestion. Des illustrations de couleur pastel montrent avec insistance en guise de « preuves » des forêts ombreuses de neurones reliés par des réseaux filamenteux parcourues de vives phosphorescences. On croirait saisir sur le vif le « trouble » cheminant à travers les synapses. Nous sommes en retard sur les « Américains » comme toujours, et comme l’était en 1945 le facteur campagnard pédalant à toutes jambes de Jacques Tati.
Dans la même période, je découvre à l’intérieur du nouveau numéro novembre/décembre 2012 (n° 281) de « Valeurs mutualistes », le très sérieux et très honorable magazine des adhérents MGEN, un dossier illustré par une gerbe de formules éjectées en caractères majuscules et en vrac à travers 8 pages de texte : « Valeur majeure ( ? !), Handicap ; Autisme : tout est à revoir ; Changement de perspective, Un accompa-gnement encore inadapté, Un coût social et économique à évaluer, Un dépistage à améliorer, Les autorités de santé donnent désormais la priorité aux approches éducatives et développementales, Mal accom-pagnées les familles souffrent énormément. »
D’emblée, ceux qui savent ce dont il retourne auront reconnu ici « le discours du maître ». Lacan n’en a jamais fait le rapprochement, mais il s’impose, avec les propos de Bion sur le surmoi archaïque, à l’enseigne de la triade arrogance-stupidité-curiosité obstinée.
Le maître Ubu Roi, brandissant alors son bâton à phynances, n’y va pas de main morte : l’autisme est « un trouble neuro-développemen-tal… un handicap cognitif, et non psychique. » C’est burlesque : il y a du cognitif qui ne serait pas psychique. Plus con, tu meurs.
Cependant la psychanalyse persiste à se faire remarquer par « l’absence de données sur son efficacité », la « divergence des avis exprimés », l’incapacité à répondre au besoin des familles d’ « obtenir un diagnostic ».
Ce dernier point est très frappant : les gens voudraient absolument que soit mis un nom précis et invariable sur la chose : par exemple, c’est une panne de carburateur. Cette hantise de la dénomination exacte est de l’ordre du symptôme obsessionnel collectif, et elle paraît aller de pair avec le déni de toute implication personnelle dans l’étiologie du trouble de l’enfant. Plutôt que d’y être impliqués, ce qui ouvre la possibilité d’une modification personnelle via une aide psychothérapique, les parents préfèrent en voir référer la source à une causalité purement externe, sous la forme d’un destin biologique, quitte à préserver l’espoir que les miracles de la science puissent le dénouer via des méthodes d’inter-vention purement techniques. Le diable du dedans, qu’il soit expurgé en un diable du dehors, plus facile en principe à exorciser, ce qui n’est en rien moins sûr. Ce raisonnement inconscient fonctionne dans l’ordre de la causalité magique. On est au niveau d’une forme de la mentalité primitive à la Lévy-Bruhl. Ce n’est pas nous, c’est l’Autre : le même type d’argumentation traverse toute la vie politique de la nation depuis soixante-dix ans. Pétain, l’Indochine, l’Algérie, etc., c’est pas nous, c’est les partis que nous avons élus.
Or on sait, mais on ne veut plus le savoir, en psychopathologie psychanalytique classique, qu’il existe une échelle de degrés variables entre le normal et le pathologique, le caractère et le symptôme, et qu’en outre telle pathologie singulière chez un individu déterminé se présente toujours comme un mélange, un cocktail où plusieurs composantes peuvent interférer sous l’égide d’une dominante - hystérie avec névrose obsessionnelle, mélancolie avec paranoïa, etc. (Freud passim, Bergeret 1974, Jalley PPAF).
Il faut une grande expérience et beaucoup de compétence pour savoir détecter l’idiosyncrasie propre à de tels mélanges cliniques. Et ces qualités, les connaisseurs en ce domaine savent parfaitement que les nouveaux praticiens - issus d’un CES de psychiatrie à formation rapide et sommaire en deux ans et à base du catalogue de quelque centaines de micro-descriptions éparpillées composant le DSM - ne les possèdent pas. Ce sont des nuls, des mécaniciens de petits vélos, sans culture des formes anciennes, enlisés dans la boue du présent, qui font semblant de faire face, et qui font peur. Ces nouveaux psychiatres, je les ai déjà rencontrés dans le tissu institutionnel de l’université, incapables de sortir de leur mutisme et de leur monolithisme essentiel, impropres à la moindre contre-argumentation et nous savons ce qu’en vaut l’aune.
De plus, la réalité de ces structures mélangées et complexes fait que la question de la mesure des entités pathologiques dans les cas sin-guliers a toujours posé des problèmes très difficiles et repérés depuis longtemps (MMPI, Minimult, Rorschach, TAT , Méthodes d’Études de la personnalité ; Jalley PPAF, GP2). Et il est fort douteux qu’il existe déjà aujourd’hui des instruments fiables (Baron-Cohen, CHAT, etc.) pour « mesurer les progrès des enfants » en ce champ si incertain, ainsi que l’avancent les calembredaines en cours. Cela fait presque un siècle (1920) que les Méthodes d’étude clinique de la personnalité normale et pathologique (Rorschach 1920) restent dans le bricolage plus ou moins savant, mais très averti, bien plus que le mode d’emploi des balistes à écraser des mouches que nous proposent les nouveaux psychiatres, qui n’ont jamais reçu une once de formation à propos du moindre atome de psychologie. Sauf l’idée barbare que l’âme n’est rien d’autre qu’une vague « humeur » sécrétée par le corps (Diafoirus, Cabanis), à la rigueur un micro-crépitement neuronique.
Certes, comme le concède au passage le texte que nous lisons, « les parents peuvent également avoir besoin d’être accompagnés par un psychiatre pour pouvoir être tranquillisés sur leur nouveau rôle » (p. 5). À la condition implicite qu’il s’agisse d’un psychiatre de la nouvelle et très sommaire formation du CES de psychiatrie, mais surtout pas d’un psychanalyste.
Du reste le repérage précoce dans des centres de dépistage, nous suggère-t-on, n’a pas spécialement besoin de la psychiatrie : la médecine de PMI pourrait faire l’affaire. On a donc déjà passé le témoin de la psychologie à la psychiatrie, et celle-ci pourra bien le passer sans in-convénient à la médecine générale. « Les médecins de ville suffiront à la reconnaissance des signes de l’autisme, dans le cadre du troisième plan » (p.7). Toujours le discours du maître !
À propos de l’interférence et de la composition des entités struc-turales dans chaque cas singulier se fait jour, pour les esprits bien formés, la tension latente entre les deux pôles d’une antinomie, deux formes de réductionnisme et de pensée simpliste, celle d’un structuralisme sans genèse et celle d’un génétisme sans structure. De ce point de vue, certains débats dans le double champ de la psychanalyse et de la psycho-pathologie n’ont pas été assez approfondis et même n’ont jamais pu aboutir. Il s’agit d’un débat philosophique essentiel dont l’enjeu insiste sous d’autres formes et formulations depuis les origines de la philosophie occidentale sur la disjonction-conjonction de l’âme et du corps (Platon, Aristote, Descartes), des rapports du mental et du physique (Cabanis), sur l’émergentisme, la relative autonomie du psychique et le réduction-nisme matérialiste. De ce point de vue, ceux qui en clament qu’ « il est temps de jouer les divisions entre les différentes disciplines - une certaine Christel Prado du Conseil économique et social et environnemental (Cese) - ont déjà choisi leur camp, celui du neurobiologiste réductio-niste. On y reviendra un peu plus loin.
Se trouve ici mis en cause non seulement un modèle « lacanien », de tendance majoritaire en France et tel qu’on en trouve la présentation dans le classique Dictionnaire de la psychanalyse de Roland Chemama et col. (Marie-Christine Lazick-Penot, Fabio Landa). Mais ce sont toutes les remarquables descriptions de l’École Anglaise que l’on jetterait au panier : le stade d’autisme normal de Margaret Mahler (1968), l’autisme primaire normal opposé à diverses formes d’autisme pathologique par Frances Tustin (1972), décrivant l’émergence d’objets autistiques précé-dant l’objet transitionnel de Winnicott. Enfin les états post-autistiques, où Donald Meltzer (1980) décrit les deux mécanismes de démantèlement et d’identification adhésive. Il faut être un barbare béant, un cyclope inculte - ce que sont ces gens - pour ne pas percevoir l’énorme intérêt non seulement clinique et métapsychologique, mais encore psychologi-que, comparatif et culturel de tels travaux anglais.
7. Un fonds de méthodes dérivé surtout de la psychologie animale
Un second volet du papier de la MGEN fait intervenir Marie-Ar-lette Carlotti, ministre déléguée chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion. « Nous avons les moyens d’agir », d’où « un zoom sur les approches éducatives », que l’on s’excuse de reprendre ici, mais il le faut pour bien comprendre que ces nouveautés sont des vieilles lunes.
« Les interventions éducatives recommandées par la HAS sont de deux types :
– comportementales : elles s’appuient sur l’analyse appliquée du comportement (ABA ou « Applied Behavior Analysis ») et ont pour objectif de favoriser l’apprentissage de comportements élémentaires (attention visuelle, langage…) par le biais de « renforcements positifs » (jouets, activités favorites, bonbons…).
– développementales : elles se fondent sur l’utilisation des intérêts et des motivations naturelles de l’enfant pour rétablir le développement de la communication. Les Programmes Teacch (« Treatment and Educa-tion of Autistic and Related Communication Handicapped Children ») consistent à structurer et adapter l’environnement à la personne autiste pour favoriser son autonomie. Ils recourent souvent à la méthode PECS (« Picture Exchange Communication System ») basée sur l’usage matériel visuel (photos, images, symboles…).
Je dis tout de suite que je n’ai a priori rien contre ces méthodes, « si ça marche » et si c’est ce que les associations de parents souhaitent, du fond de leur spontanéité démocratique. Mais cela risque bien de ne pas pouvoir jamais marcher étant donné le personnel d’un niveau de forma-tion très faible, des sortes s’assistantes maternelles rapidement recyclées, que le projet de la HAS envisage de préposer à une telle entreprise. On y reviendra plus loin.
Par ailleurs, tout cela nous le connaissons depuis longtemps, même si les « Américains » nous le renvoient sous de nouvelles formulations, ce qui a toujours été extrêmement fréquent de sources européennes remon-tant souvent au début du XIXe siècle, et que les modernes yankees se réapproprient avant de nous les revendre, sans que nous nous en soyons même rendu compte. Ce mécanisme est constant.
Le premier type de méthode nouvelle recommandée n’est pas autre chose que l’ancien paradigme pavlovo-béhavioriste : il avait déjà été repris après l’école russe (Pavlov) et américaine (Watson, Skinner) par le psychiatre anglais Eysenck (1947-1970) et appliqué à des situations telles que la rééducation de l’alcoolisme et l’accouchement sans douleur. Je n’ai rien à dire là contre. Au plan théorique latent, c’est tout l’attirail du traditionnel dispositif méthodologique des anciens laboratoires de psy-chologie expérimentale : stimulus-réponse-renforcement.
Le second type n’est pas sans ressemblance avec les approches et les techniques qui se sont développées déjà depuis longtemps dans le cadre de l’École française de psychomotricité (Guilmain), au dévelop-pement de laquelle le psychologue français Henri Wallon avait jadis beaucoup contribué déjà dès 1935, ce que personne non plus ne sait plus.
L’usage des « bonbons » et aussi des « symboles » a été très popularisé dans les expériences en vogue dans une période remontant à plus d’une trentaine d’années sur l’apprentissage du « langage symboli-que » par les chimpanzés et les gorilles. Que ce soit de retour pour les enfants autistes, pourquoi pas ? Ces animaux presque humains sont du reste très émouvants. D’ailleurs, les méthodes de l’éducation familiale traditionnelle ont toujours pratiqué cette technique pavlovienne de la récompense.
Vous remarquerez que l’on a oublié en chemin la rigolade du « cognitif non psychique », de la margarine sans beurre. Mais ces Cadet Rousselle n’en sont pas à une inconséquence près.
8. Une marqueterie « scientifique » de propositions dépareillées
Mais voilà qui est plus grave : on avoue de manière contradictoire que l’on dispose d’un « bon socle de connaissances sur l’autisme » (Chris-tel Prado), cependant, à l’encontre, que (Marie-Arlette Carlotti) « les chiffres ne sont pas du tout les mêmes suivant que l’on parle de troubles du spectre autistique, de troubles envahissants du développement, d’autisme sévère, etc… L’absence de données chiffrées fiables révèle par ailleurs des difficultés dans l’établissement du diagnostic ». Tiens donc ! Comment peut-on alors affirmer avec l’accent de la certitude que « l’au-tisme affecte au moins 67 millions de personnes dans le monde (source HAS, ONU) » ? Ce n’est que pur bluff, pure rodomontade de statisticien. La fiabilité en ce domaine est en fait postulée comme de l’ordre du devoir kantien : « il faut s’assurer qu’une plateforme commune de savoirs spécifiques à l’autisme existe. » Oui, mais cela ne se fait pas sur com-mande avec résultat garanti avant les prochaines élections présidentielles.
J’ai parlé longuement ailleurs de l’agencement disparate de ce capharnaüm qu’est le DSM, en appui sur sa béquille d’appoint qu’est la CIM (Jalley SM1, SM2). On a démembré les anciennes catégories-clé de la psychopathologie classique : une douzaine, en quelques centaines de morceaux qui on été rebaptisés sous des vocables de couleur « sci-entiste », où l’œil du spécialiste bien exercé peut reconnaître sans trop de difficultés les organes dépecés des cadavres des anciennes entités.
On cassait donc en pièces détachées mais en même temps, par un processus inverse et paradoxal, on étendait de manière implicite le champ d’extension de certaines entités. C’est ce qui s’est produit pour la schizophrénie, que la psychiatrie américaine a toujours entendue, tout en la démembrant aujourd’hui, de manière plus extensive et plus vague que la psychiatrie de tradition européenne. Mais il semble que ce soit arrivé aussi pour l’autisme, qui représentait voici une trentaine d’années une ou déjà plusieurs entités à l’intérieur du cadre plus vaste des « organisations psychotiques infantiles » (Bergeret 1972). L’autisme serait devenu un grand sac fourre-tout où l’on jette pêle-mêle toutes sortes de choses sous forme de boudins plus ou moins gonflables - troubles envahissants du développement, troubles du spectre autistique avec autisme infantile, autisme atypique ( ? !), syndrome d’Asperger, syndrome de Rett (pour les filles), syndrome de Landau-Kleffner, trouble désintégratif de l’enfance, troubles envahissants du développement non spécifiés ( ? !) - ce qui n’empêche pas l’incohérence de prétendre les soigner par un petit nom-bre de méthodes contraignantes précises. Dans la nuit, tous les chats sont gris, toutes les vaches sont noires, comme disait Hegel pour se mo-quer des recherches aventureuses de Schelling sur les profondeurs de la Nature.
En dépit de cette pagaille empirique du système DSM-CMI, qui forme l’unique culture de base des nouveaux docteurs Knock issus du CES de psychiatrie, son usage est recommandé comme devant évincer la prétention regrettable à s’opposer à lui la « classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent », la C.F.T.M.E.A. du Pr. Roger Misés, qui est en cours de perfectionnement et de réactualisation par une équipe de spécialistes bien aussi compétents que les nouveaux prétendants à la gestion totalitaire du pouvoir médical.
Nous sommes là devant le mécanisme de ce que j’ai appelé plus haut, à propos des vices de la méthodologie scientifique en psychologie expérimentale, l’identification introjective du réel observé en simple possible, en catégories abusives d’extension vague et de compréhension pauvre, et à la limite vide - concept sans intuition (Kant : Begriff ohne Anschauung). Soit encore : prendre des vessies pour des lanternes. Mais si vide qu’il soit, un concept vide a vite fait, si la mode le fait entrer dans la stratégie d’un nouveau jeu de langage, de trouver de multiples confir-mations, par prophétie auto-réalisatrice, dans la réalité empirique. Cela s’est toujours vu. Les premiers usagers du microscope y voyaient se dé-battre des populations lilliputiennes de diables et de diablesses.
Nous sommes alors cette fois en présence du mécanisme inverse et complémentaire de l’identification projective d’un possible vide via la vérification d’un « réel » inventé - intuition sans concept (Anschauung ohne Begriff). Dans de telles conditions, il n’y a pas à s’étonner que « de tous les graves troubles du développement, l’autisme est celui qui connaît l’expansion la plus rapide, avec une prévalence en augmentation de 50 % ces cinq dernières années » (p. 6).
« Ma fille est une autiste Asperger », me dit un courriel reçu récem-ment. Suit la présentation d’un livre écrit par la fille en question dont je vais reparler. Les Asperger sont très à la mode, parce que leur haut niveau mental prétendu exerce une grande capacité de séduction qui permet de mieux captiver l’intérêt du public en faveur du marché de l’au-tisme, dont le discours du maître joint à celui du capitaliste, au prétexte d’économiser l’argent de tout le monde, escompte au contraire tirer à terme de grands profits. Or le citoyen sait par expérience que la priva-tisation des secteurs investis par l’argent public a toujours coûté bien plus cher par la suite à l’usager. C’est là l’une des dimensions latentes de la polémique de l’autisme. Celui-ci devant recevoir bien entendu « un envi-ronnement adapté, aussi bien thérapeutique que pharmacologique (c’est surtout en ce dernier point que « gît le loup », hic jacet lupus) » (Pr Thomas Bourgeron de l’Institut Pasteur).
Que l’on fomente « l’espoir de tester des médicaments », par exem-ple sur des souris baptisées « autistes », en vue « d’améliorer le bien-être des personnes autistes » (p. 9), on le veut bien, mais avec la réserve d’éviter d’ouvrir encore ici le terrible dossier des impasses actuelles tou-chant l’usage des psychotropes, ainsi que des malversations des grands groupes pharmaceutiques à propos de la diffusion de certaines poudres de perlimpinpin, censées soigner de « nouvelles maladies » inventées et aussitôt investies par les patients crédules du Docteur Knock, quand encore l’usage divagateur de telles drogues ne tue pas les gens, comme on en a déjà connu et que l’on en soupçonne encore de nombreux exem-ples, même en cours aujourd’hui.
Mais j’en viens à me poser un certain de questions personnelles. J’ai deux amis de mon âge, pères de fils qu’une quarantaine d’années, qui à l’époque ont été catégorisés comme « schizophrènes », et dont je dirai que cela n’a vraiment rien changé à leur existence. Je connais l’un de ses garçons, qu’une psychothérapie approprié a relativement stabilisé, qui se prépare à devenir intervenant dans le champ du soin psychiatrique, et dont la présentation quasi-normale, sauf qu’il est rapidement fatigable, s’offre comme celle de ce que l’on appellerait probablement aujourd’hui un « Asperger ». Et qu’est-ce que cela changerait, sinon de le conformer à la nouvelle nomenclature des classifications internationales ? Et avec quel gain ?
Imposera-t-on le diagnostic d’autisme à des enfants que des réédu-cateurs renommés comme Suzanne Borel-Maisonny classaient autrefois dans les « retards de langage » (Langage oral et écrit, 1985) ? La méthode phonético-gestuelle de Borel-Maisonny, basée sur l’association de gestes aux sons, a été présentée dans le Bulletin de la Société Alfred-Binet en 1949, et elle a été par la suite très utilisée.
Je connais un enfant de 13-14 ans dont le comportement général est disons « bizarre », mais de langage en tout état de cause très perturbé. Il a été intégré par une troupe scoute où il est parfaitement supporté par ses camarades.
En dehors du cas très célèbre de Dick de Mélanie Klein commenté par lui dans le Séminaire 1 (1953-1954), il ne semble pas que Lacan ait beaucoup insisté par la suite sur la question de l’autisme dans ses descrip-tions cliniques, du moins à ce qu’il m’en souvienne à la lecture récente que j’ai fait de beaucoup de ses textes. Tout de même, si l’on consulte le rapport de ses présentations de cas à Sainte-Anne (9 cas disponibles sur le site de Patrick Valas), on se demande si certains ne s’accommoderaient pas de la catégorisation d’autisme, notamment l’un d’entre eux caracté-risé comme « Psychose lacanienne ».
Le Président Schreber était-il un autiste ? Et l’Homme aux loups ? Mais pourquoi pas ? Et quel serait l’intérêt de les requalifier ainsi ?
Henri Wallon, le plus grand psychologue français, a travaillé toute sa vie et produit de nombreuses publications sur les enfants difficiles et très difficiles. Parmi eux, il y avait très probablement ce que l’on appel-lerait de nos jours des autistes de toutes espèces. Seulement lui les dé-nommait et décrivait, et les approchait aussi tout autrement. Ce dossier pourrait être repris et étudié compte tenu d’une nouvelle édition en cours de préparation de l’ensemble des textes jusqu’ici non republiée de Wallon (4 livres et 320 articles, HW). En réalité, ce genre d’études, en soi très difficile à contrôler n’a plus aucun intérêt pour nos parvenus de la nouvelle génération. Ce qui s’appellerait de nos jours un serial killer a pu être jadis un loup-garou, voire la bête du Gévaudan. Ces questions d’i-dentification et de dénomination variables à travers le temps pourraient avoir au moins l’intérêt d’inspirer un certain sens de la relativité, de la tolérance, et du pluralisme en matière de sciences humaines, cependant que leur négligence entretient au contraire le dogmatisme du minus habens.
Les choses se gâtent encore davantage si l’on aborde le domaine de la probation, disons plutôt de l’approbation, scientifique. Et les auteurs du papier de la MGEN se contredisent à nouveau sans vergogne en se demandant si « la recherche scientifique parviendra un jour à élucider le mystère de l’autisme », tout en avançant - deux pas en arrière, trois pas en avant - qu’« un consensus semble en tout cas se dessiner en faveur d’une origine biologique de l’autisme », depuis les « premières explorations du cerveau via l’électro-encéphalographie, dans les années 70, puis le séquençage actuel du génome humain. »
On voit à ce propos agir la rhétorique de persuasion consistant à emporter le crédit, la croyance, l’adhésion du public par le (ra)-collage de faits disparates dont la sommation ferait preuve. C’est l’aspect positif du type de pratique du langage que Beaumarchais avait décrit jadis sous le terme de « calomnie » : cela s’appelle aussi le boniment. C’est ainsi que dans l’espace judiciaire, les avocats les plus talentueux se vantent d’ « emporter l’adhésion » du juge, y compris jusqu’à l’erreur judiciaire flagrante, ce qui n’a jamais été rare.
Dans cette atmosphère de crépuscule - ou d’aurore - entre chien et loup, à l’heure de potron-minet, s’avance alors la réputation du Professeur Thomas Bourgeron, Directeur du département Neuroscience de l’Institut Pasteur, qui a été « le premier, en 2003, à identifier des mutations affectant certains gènes impliqués dans le fonctionnement des synapses », puis à mettre en œuvre une nouvelle stratégie à base de « cellules souches », sans parler des convergences venues du domaine de « l’imagerie cérébrale : cartographie cérébrale, électrophysiologie mesu-rant l’influx nerveux ». Sans rejeter les résultats de la recherche scien-tifique en ce domaine, l’usage médiatique qui en est fait, via une rhéto-rique mystificatrice basée sur le raccourci et le scintillement de certains mots-clefs, instaure ni plus ni moins que l’espace d’une langue de bois. Ce sont les tours de magie du prestidigitateur qui sort réellement le lapin de son chapeau, et le serpent de sa manchette. Mais le loup montre parfois son oreille quand on prête à la même sommité « la mise au point de modèles animaux (souris génétiquement modifiées) reproduisant un comportement de type autistique. » Un rire inextinguible, comme disait Homère, s’élève alors du banquet des divinités enivrées d’hydromel : on n’arriverait pas à faire parler ces souris autistes. J’ai parlé ailleurs du fait d’avoir lu jadis une thèse sur « la dépression chez le rat », qui a conduit son auteur au rang de professeur d’université. Si l’homme est quelque animal, tous les animaux ne sont pas des hommes. On devrait savoir cela depuis Aristote.
En tous cas, bonnes gens, malgré ce nuage d’incertitude, « l’identi-fication de centaines de variations génétiques permet actuellement de diagnostiquer près de 30 % des cas d’autisme, directement ou par une maladie associée », même si « les autres causes restent inconnues [donc 70 %] ». Cracbadaboum Seolforpraed Apringe Winstra !!!
Cette manière de traiter la certitude et l’incertitude en termes de pourcentages massifs (30% vs 70%) n’est pas crédible dans un domaine caractérisé par l’interaction de nombreuses variables. On a appris à savoir ce que valaient les prévisions économiques, de même que les sondages électoraux. Des recherches en cours ont repris aussi à propos de l’autis-me le schéma ridicule consistant à déterminer « la part héritée ou environnementale de l’autisme », même si cela contredit la proclamation initiale d’une origine postulée comme exclusivement neurobiologique de l’autisme. On devrait se rappeler ces polémiques de jadis entre psychologues où il était question de répartir en pourcentages les parts respectives de l’inné et de l’acquis - comme on disait alors, à propos du Quotient Intellectuel.
Les évaluations comportementales à partir de la soi-disant base gé-nomique comportent également un aspect particulièrement mystifica-teur dans le débat médiatique, où en général on considère le génome comme un sorte de piano mécanique, dont chaque touche isolée, voire tel accord de notes, produirait tel trait somatique ou mental. Mais ce modèle dogmatique d’un déterminisme endogène à sens unique se mélange aujourd’hui les pieds avec les nouvelles données concernant « la plasticité cérébrale » - autre bouteille à l’encre - qui exigerait la prise en compte des pressions environnementales sur le génome.
Il en résulte dans les étranges lucarnes de la télévision des débats ridicules, par exemple récemment dans le domaine de la paléontologie humaine. Le séquençage récent du génome de Neandertal autoriserait à postuler des croisements possibles avec l’Homo sapiens. Très probable-ment, Docteur Watson ! D’autant que des croisements sont possibles entre des espèces relativement différentes : le tigron résultant du lion et du tigre, le mulet du cheval et de l’âne. Il y a par ailleurs lieu de s’étonner que le chimpanzé et l’homme, qui posséderaient 98 % au moins de leur patrimoine génétique en commun, présentent des faciès psychobiolo-gique si différents, et ne puissent probablement pas se croiser. Mais on devrait essayer, on a dû peut-être essayer. Pourquoi n’en parle-t-on pas ? Que nous cache-t-on encore ? Du reste, si le chimpanzé ne parle pas, c’est qu’il lui manque « le gène », voyez-vous, du langage. Il est en cela comparable aux autistes, mais oui ! On reste atterré, confondu par cette exhibition médiatique grotesque de la « science ».
Il est possible que certains cas d’autisme, comme peut-être aussi de dyslexie, puissent être liés à une origine (tout ou en partie ?) neuro-biologique. Mais ce n’est pas pour autant la preuve que ce soit dans tous les cas. Et de toute manière on n’évitera pas ici un problème redoutable qui est un problème philosophique, et qui est celui qui a mobilisé toute la tradition idéologique du XIXe siècle, et même avant chez les philosophes cartésiens (Descartes, Spinoza, Malebranche, Leibniz), à propos de la question du parallélisme psychophysiologique (Fechner, Ribot, Mach, Höffding, Titchener, etc.).
9. L’antique question de l’union-disjonction du corps et de l’âme
Il est possible, probable, et même certain que tout événement psychique soit accompagné d’un corrélat neurologique, sous forme d’un événement cérébral aujourd’hui en principe repérable par toutes les méthodes sophistiquées de la neuro-imagerie. Mais de là à dire que le cérébral soit « la cause », ou encore « explique » le psychique, que le physique absorbe le mental, c’est tout autre chose, et le débat n’a guère avancé à ce sujet depuis la phrénologie de Gall et Spurzheim. Ce n’est pas pour autant lire la vie de l’esprit dans le cerveau, « comme à ciel ouvert » (Dehaene). Le même débat rebondit sans cesse à tout sujet, à propos de la dyslexie, du calcul mental, du rôle d’identification sociale des soi-disant neurones miroirs, touchant le type de connexion existant entre les deux séries des « choses » et des « idées » (res/ideae selon les termes de Spinoza) : connexion causale ascendante bottom-up du physique au mental y compris la réduction éventuelle de celui-ci à celui-là, ou simple concomitance des deux séries. Ce dont il risque bien de ne jamais y avoir de preuve expérimentale décisive.
Il y a aujourd’hui une forme de « passion de l’ignorance » (Lacan), consistant à ravaler l’âme au niveau du corps, à se faire de l’homme la représentation d’une machine animée, d’une sorte de Golem. À côté de la connaissance et de l’amour, Bion a fait également place à la haine, la haine de soi, une « émotion fondamentale ». Cette passion s’entretient d’une innovation du discours social, sous forme d’un style nouveau de « jeu de langage » (Wittgenstein, Lyotard). Kuhn a bien montré le rôle du consensus social, du crédit collectif, de la crédibilité imaginaire et de la crédulité publique, de la croyance fondamentale, dans la formation des nouveaux paradigmes idéologico-scientifiques. Ce masochisme social dans la représentation de soi recoupe en partie le dispositif de la pro-pension à la servitude volontaire dans les démocraties modernes. Cette double représentation de l’homme machinal et asservi procure incon-testablement au public une sorte de jouissance, entre autres mais pas seulement par son simplisme cognitif. L’enfant autiste lui-même est représenté comme une petite machine déréglée, souffrante quand même, qu’il y a lieu de bien reformater par des méthodes simples qui opèrent pour les animaux (souris et rats, singes). On ne peut rien là contre, que de crier dans le désert.
Le problème difficile, c’est que la recherche en matière de neuro-science est liée à des questions de pouvoir, de prise de pouvoir, de maîtrise de l’opinion qui entraînent automatiquement la position dogma-tique d’une théorisation totalitaire, dont le mécanisme principal consiste dans l’explication pars pro toto : ce qui vaut dans certains cas vaut pour tous. La vérité, au lieu du mi-dire, et de l’ordre du tout dire. C’est ce que Kant appelait déjà usage illégitime de l’entendement au service d’une raison méta-empirique, ou encore « subreption transcendantale ».
J’ai donc dit que je ne rejetais pas a priori le principe de la recherche en neuroscience ni son intérêt pour le point de vue de la psychanalyse - ce serait pure folie, mais que je ne voyais pas non plus d’objection de principe à l’usage des techniques du genre ABA, Teacch, PECS. J’ajouterais que je ne vois pas de scandale à la perspective que les psychanalystes puissent s’y intéresser, et même, pourquoi pas, s’en servir de façon bien délimitée et encadrée par leur propre discours. « Nous sommes automatiques dans les trois quarts de nos actions », disait Leibniz avec bon sens. Par ailleurs, la psychanalyse a un grand estomac, un solide appétit, et en aurait vu bien d’autres.
10. L’imposture politique du recyclage des assistantes maternelles
Cependant la question est de savoir si les « assistantes maternelles » prévues par le nouveau dispositif proposé par la Haute Autorité de Santé seraient à même d’appliquer les techniques ABA, Teacch, et PECS. Et c’est justement ce qu’il est impossible de croire, ce dont on abuse le public en lui mentant de manière éhontée, effrénée, en lui cachant qu’il ne s’agira en fait que de prolétaires de l’aide sociale, d’hilotes misérables du gardiennage enfantin. Nous connaissons tous l’institution honorable et utile des assistantes maternelles dans notre vie quotidienne : elles sont 400 000 à exercer en France, femmes en général de milieu social et culturel modeste, mais dont le dévouement à la cause de la prime enfance est connu.
Célia : « Une amie m’a parlé du métier d’assistante maternelle et j’ai trouvé l’idée géniale ! » Alors visite médicale, rencontre d’une assistante sociale, d’un psychologue et d’un médecin de PMI, vérification au domicile des normes d’hygiène et de sécurité, avant agrément accordé pour cinq ans renouvelables par le Conseil Général.
Célia suit une formation de 120 heures sur 2 ans - environ 2 heures scolaires hebdomadaires ! - dont la moitié avant l’accueil du premier enfant. « Cela nous donne des bases pédagogiques [C’est certain !]. Mais il ne faut pas s’en contenter [On s’en serait douté !] : j’ai lu de nombreux livres [Voilà qui est fort louable !], échangé des expé-riences avec d’autres assistantes [C’est toujours utile !]. C’est très enrichissant ! [Nul n’en douterait !] »
À ceci que ces malheureuses ne risquent pas de s’enrichir sur le plan pécuniaire.
« Combien ça coûte ? Leur salaire horaire brut ne peut être inférieur à 0, 281 fois le Smic horaire brut (9,40 € au 1er juillet 2012) - On vous en prie, ne riez pas ! - Mais il s’agit là d’un minimum… À ce tarif de base, il convient d’ajouter une « indemnité d’entretien de 2,97 € par journée pleine et des frais de repas si celui-ci n’est pas fourni. Le salaire doit être mensualisé… Vous devrez calculer la durée d’accueil sur l’année, y ajouter 5 semaines de congé payé [of course…] et diviser le total pas 12 ».
Les assistantes maternelles recyclées « manu technocratica » coûteront beaucoup moins cher que les policiers, les gardiens de prison, et même les gardiens de square et de musées - ce que l’on qualifie traditionnellement et par euphémisme d’emplois réservés. Mais de tout manière, avec un « éclat de rire » (sic !) : « C’est rarement l’argent qui nous motive ! » Les assistantes maternelles ne peuvent accueillir plus de trois enfants en même temps - y compris les leurs s’ils ont moins de trois ans. Elles font un apprentissage en douceur - ce qui contrevient d’une certaine manière à l’idée précédente d’une vraie formation technique, fût-ce en quelques misérables 120 heures. « Pour les parents, ce qui est difficile c’est de trouver la bonne personne… très souvent, des liens se créent entre les assistantes maternelles - de vraies « mamans bis » et les familles [Effets de transfert et de contre-transfert ? Holà, tout doux !] . »
En regard de cette sorte de garderie à domicile des enfants autistes, on aura évidemment plus haut moqué les détestables « thérapies psy-chanalytiques - dans les hôpitaux de jours [aux frais de la Sécurité Sociale et non des parents comme le seront les assistantes maternelles] - à base de contes [pouah !], d’ateliers pataugeoires [malpropres !] ou de mani-pulation de terre [beurk !)] qui font l’impasse sur les approches éducatives qui, seules [la vérité est totalitaire ou elle n’est pas], per-mettraient aux enfants un moyen de communication fonctionnel [Ren-forcement par bonbons comme pour les chimpanzés]. »
On a parlé de discours du maître (S1/$ : S2/a), auquel on sait que Lacan a rattaché, à titre de variante dure, encore plus « tordue », le discours du capitalisme ( $/S1 : S2/a). Le premier vise à produire une certaine « idéologie », un « savoir » sous la forme fréquente de contes à dormir debout (→S2), tandis que le second se laisse déterminer par le seul mobile d’accumuler la plus-value, le plus-de-jouir (Mehrwelt) (←a). On va y revenir plus loin. Or, dans l’ensemble du propos que l’on a rapporté, la composante idéologique est intimement liée à la composante économique, la question du savoir est toujours mêlée à celle de l’argent : chiffres clés, mauvaise utilisation de l’argent, coût financier, coût économique et social, coût comparatif des différentes méthodes. De toute manière, on a déjà compris, c’est le Public au sens majuscule de l’État qui doit se désengager, mais le public - au sens minuscule des particuliers, qui devra payer, bien entendu.
Ce nouveau projet social concernant les assistantes maternelles pour autistes n’a pas de couleur politique particulière, il n’est ni de droite ni de gauche, ou plutôt à la fois de droite et de gauche - comme pour bien d’autres choses, ceci beaucoup de benêts commençaient déjà à le savoir. L’autisme a été déclaré Grande Cause Nationale par François Fillon, le rapport de la HAS de mars 2012 est antérieur aux résultats des élections présidentielles, mais c’est une Ministre PS qui endosse entièrement l’ensemble de cette démarche. Rien de nouveau : la politique de Mitterrand comme celle de Hollande, c’est la même que celles de Blair, Schröder et Zapatero. Tant que l’on évitera de ponctionner à la base la capital financier, à distinguer du capital industriel, il en sera toujours de même, et rien d’essentiel ne changera, même pour les enfants autistes.
Voilà à peu près l’ensemble de mes remarques d’amateur sur la polémique de l’autisme. Ce qui se passe à l’heure actuelle en France revient pratiquement à interdire de séjour la psychanalyse dans le champ, disons-le carrément, des psychoses infantiles. Alors, bonnes gens, il y aura d’autres étapes, où l’on verra interdire la psychanalyse dans l’ensemble des psychoses, des névroses et des états limites. C’est normal, le système DSM-CIM, associé aux campagnes publicitaires de l’industrie pharmaceutique, et au recyclage de la médecine générale (jusqu’à ce qu’elle disparaisse à son tour, ce qui n’a rien d’inconcevable), devrait suffire à tout. La psychanalyse n’est aujourd’hui pas très loin d’être déclarée indésirable, et même interdite en France, et cela se sera passé probablement sous un pouvoir socialiste, qui perdra immanquablement le pouvoir justement, en 2017. On se trouve dans une phase aiguë de « délégitimation » (Lyotard), qui aboutira bientôt à une diabolisation et même à une mise hors la loi de la psychanalyse. La situation sera alors la même pour la psychanalyse en France que ce qu’elle a été jusqu’à une date récente dans les régimes totalitaires. Même Hitler avait tout de même essayé de l’apprivoiser et de la domestiquer à son propre usage, d’une manière que l’on connaît (Institut Goering). Ceci, je l’ai déjà plus ou moins envisagé, et dit déjà plusieurs fois, et je ne suis pas non plus tout à fait le seul. Mais tout le monde s’en fout, nul n’en a cure. Adveniat regnum diaboli. Le siècle a toujours besoin de diables depuis qu’a disparu en France au moins le grand diable communiste, mais nous avions déjà le petit diable du terrorisme. Ayons celui de la psychanalyse.
11. D’autres symptômes d’une grave « maladie du siècle » ?
Je reviens sur le propos « Ma fille est une Asperger », dont la rencontre dans un contexte particulier sur le Web m’a beaucoup troublé. Cette personne formule, en même temps, que sa fille « a écrit un livre pour témoigner de sa vie et de ses difficultés ». Mais le plus intéressant est l’annonce de la parution de ce livre chez Angel Publications par son quatrième de couverture : « Résumé. J’ai seize ans et demi. Bientôt dix-sept. Je n’arrête pas de faire des efforts pour m’adapter aux gens normaux. Mais ça ne marche pas. Parce que l’effort ne vient que de moi. Et j’ai beau en faire, personne ne s’en aperçoit. Alors, j’en ai marre et j’ai décidé d’écrire le récit de ma vie. Pour faire comprendre à tout le monde ce que j’ai fait pour essayer de cacher que j’étais différente. Et pour montrer de quelle façon on m’a traitée. Alors laissez-moi retourner dans ma bulle. »
Asperger ? Un pareil texte atteste d’une lucidité, d’une conscience critique du cadre social, d’une capacité à le mettre en cause, et d’un même certain humour dans la détresse qui m’incitent personnellement à penser qu’il pourrait bien s’agir, tout aussi bien que d’ « un Asperger », d’un jeune talent littéraire à la recherche de soi, ce dont les nouveaux béotiens de la psychiatrie sont a priori totalement incapables de s’aper-cevoir à travers les lunettes pour myope de leur système DSM-CMI.
À ce compte, pourquoi ne pas ranger parmi les Asperger les Musset (Confessions d’un enfant du siècle), Baudelaire (Les Fleurs du mal), Maupassant (Le Horla), Nerval (Aurélia), Verlaine (Poèmes saturniens), Rimbaud (Une saison en enfer), Lautréamont (Les chants de Maldoror), Sartre (La Nausée).
Du point de vue de la psychanalyse, un praticien pas trop mala-droit pourrait faire comprendre à cette jeune fille par exemple que la question n’est peut-être pas de s’adapter à tout prix aux gens considérés comme « normaux », d’attirer leur perception sur le fait que l’on s’y efforce de façon méritoire, et que ce n’est pas en soi un crime de se sentir différent, de ressentir sa différance, pour l’écrire comme Derrida. Mais cela, une telle ouverture sur le « sentiment de personnalité » (Wal-lon 1934), ce n’est pas conforme à l’idéologie sociale régnante, et même ce ne peut plus être admis, de moins en moins. D’un point de vue laca-nien, ce qui importe, on a cité beaucoup le propos, c’est de ne pas céder sur son désir, et d’abord de le trouver. Supposez que le désir de cette jeune fille, ce soit par d’exemple d’écrire, d’adopter le métier d’écrivain. Mais cela, ce n’est pas prévu dans la grille du DSM.
Ajoutons que l’on peut comprendre très bien qu’un(e) adolescen-t(e) veuille rester dans sa bulle face à un monde moderne aussi peu attirant, pour ne pas dire repoussant. De fait, ce monde de l’omni-tech-nocratie repousse les jeunes, dont il a besoin pour se maintenir en l’état, mais dont il redoute la force potentielle croissante de contestation, même le mieux anesthésiée possible par ses soins.
Un phénomène en développement récent, qui va dans le sens de ce dégoût du monde qui envahit progressivement la jeune génération, est l’alcoolisme des jeunes, mais de plus en plus jeunes. Jusqu’ici, ces années dernières, on avait parlé des séances de beuverie dans les grandes écoles, plus ou moins « grandes » du reste, séances en général commanditées par de grandes marques d’alcool. Là, il s’agit encore de tout autre chose, qui ressemble à une forme de symptôme suicidaire, ce que réalisent déjà d’ailleurs et sans grand mystère des conduites telles que celles du registre de l’autisme justement ou encore de l’anorexie.
Dans l’hebdomadaire Ciné-Télé-Obs du 8-14/12/2012, l’éditorial de Richard Cannavo présente un film de Géraldine Zamanski : « Enquête de santé : Jeunesse en quête d’ivresse » (mardi 20 h 35, France 5) en ces termes : « Génération perdue. Comas éthyliques au collège, agressions sexuelles au lycée soirées étudiantes mortelles : l’alcoolisme des jeunes est un fléau préoccupant. En dix ans, la consommation d’alcool chez les moins de 16 ans a doublé. 13 % d’entre eux boivent aujourd’hui plus de dix fois par mois. »
Un responsable de la Croix Rouge : « On commence à voir les premières grosses alcoolémies vers 15 ans ; il y a une vingtaine d’années, c’était plutôt 21 ou 22 ans. »
Un interne du CHU de Toulouse : « L’alcool en trop grande quantité, ça altère les fonctions cérébrales et, pour faire simple, ça finit par les éteindre. »
Selon le docteur Philippe Batel, psychiatre-addictologue : « dans la tranche d’âge 15-30 ans, c’est la première cause de mortalité. » Notam-ment sur la route.
Rapports forcés ou non protégés, 30 % des jeunes vivraient leur première expérience sexuelle sous l’emprise de l’alcool. Les premières cuites sont de plus en plus précoces, et le phénomène marque tous les milieux sociaux : 60 % des enfants ont déjà goûté à l’alcool à l’entrée au collège. L’ivresse est une manière d’accéder à l’adolescence, de plus en plus tôt, parfois dès 11/12 ans. La fête - et il n’y a pas de fête sans alcool - est aussi un moyen de décompresser face à la forte pression scolaire ou à un avenir angoissant. Mais, fait nouveau, la consommation n’est plus seulement festive. Et le phénomène du binge drinking, ou biture express - boire le maxi¬mum d’alcool dans un minimum de temps -, fait des ravages. Plus d’un jeune sur deux de 17 ans l’a déjà pratiqué, et 45 % des adolescents s’y adonnent au moins une fois par mois (et 5 % plus de dix fois par mois) ! Une pratique qui provoquerait une altéra-tion des conne-xions entre les neurones et qui ferait planer une menace plus sourde :
« Ces expériences-là sont primordiales, explique Philippe Batel, elles vont déterminer les rapports du sujet avec l’alcool le reste de sa vie. Plus l’alcoolisation est précoce, et plus elle est émaillée d’accidents d’ivresse, plus on augmente son risque de développer une alcoolo-dépendance précoce, et sé¬vère, des années plus tard. C’est une bombe à retarde-ment... » Et encore : « Pour les jeunes, l’alcool va diminuer la notion de stress. C’est au final un produit - une drogue - facilement accessible, pas cher et qui, de surcroît, jouit d’une réputation sociale plutôt positive en France. Comment s’étonner que ce soit le produit le plus consommé par les jeunes ? » Alcool ou drogues en tout genre, ou même jeux vidéo, cette jeunesse qui cherche à s’étourdir dans des addictions multiples traduit bien le profond ma¬laise et les désarrois d’une génération hantée par une com¬pétition acharnée dès l’enfance et la peur du lendemain, dans une société décidément sinistrée (Richard Cannavo).
Alors les tout petits prendront déjà le parti de se taire, tandis que les plus grands s’enivreront. Et on ne chercherait à cela [rien qu’] une raison neurobiologique dans des « anomalies chromosomiques extrême-ment microscopiques » (Bourgeron). À d’autres !
12. Utilité d’une formation philosophique et culturelle des psycho-thérapeutes
Puisque l’EPhEP me fait l’honneur de me considérer sur son organigramme comme l’un des responsables de la recherche en matière de clinique et de méthodologie - perspectives impliquant également selon moi l’épistémologie et l’histoire, je voudrais qu’il me soit permis de faire quelques suggestions.
Il faudrait renforcer considérablement les enseignements en mati-ère de philosophie, de logique aussi et d’histoire des sciences mais si possible d’un point de vue lacanien, puisque c’est d’une telle orientation que se réclame l’EPhEP.
Premièrement, il s’agirait de faire un cours annuel sur les prin-cipaux philosophes cités par Lacan en reprenant de façon concentrée mais accessible ce que lui-même en a dit, et en faisant comprendre la manière dont il s’en sert : Platon (179 citations), Aristote (165), Hegel (131), Descartes (102), Kant (88), Socrate (76), Lévi-Strauss (71), Marx (67), Pascal (62), Heidegger (47), Saussure (48), Hyppolite (31), Sartre (31), Spinoza (22), Foucault (21), La Rochefoucauld (18), Diderot (15), Wittgenstein (8), Deleuze (6), Husserl (5), Tocqueville (3), Derrida (2). Sans oublier Frege (34), Cantor (24) et Pierce (14).
Cela demande un gros travail de synthèse et n’est pas facile à faire. Il y faudrait un jeune agrégé de philosophie très cultivé, ce qui n’est pas garanti, et en outre très motivé par l’œuvre de Lacan, ce qui risque également de se faire de plus en plus rare.
Deuxièmement, il faudrait que les étudiants conçoivent l’intérêt de se cultiver en philosophie contemporaine et classique, en lisant par exemple les petits ouvrages de la collection Figures du savoir chez les Belles Lettres, dont la qualité est variable, mais dont beaucoup sont excellents, entre autres : Hegel, Kierkegaard, Cantor, Hilbert, Nietzsche, Husserl, Heidegger, Wittgenstein, Russell, Bachelard, Ruyer, Sartre, Lévinas, Foucault, Lyotard, Deleuze, Derrida, Henry. La pratique régu-lière de la philosophie donne des instruments de répartie dans la lutte idéologique et la confrontation critique avec les adversaires de « thèses » opposées. Faute de quoi on est condamné à rester muet devant les combattants les plus effrontés et à l’envi introduits dans le discours médiatique ambiant. On se dit entre soi que l’on ne répond pas aux imbéciles. Ce qui est une erreur : il faut essayer de les écraser, de leur faire mordre la poussière sans honte ni remords. Ainsi faisait le chevalier Bayard sans peur ni reproche. Badiou se réclame du droit à l’insulte, et je lui donne personnellement raison, à condition qu’elle soit d’une certaine qualité rhétorique, disons homérique.
Troisièmement, il faudrait que soit envisagée l’exploitation possible pour la formation des psychanalystes de l’œuvre importante au moins en volume d’Émile Jalley. Je ferais peut-être un effort pour en présenter les principaux axes avec les références appropriées, si j’avais le sentiment que cela au moins intéresse, alors que la couverture d’aucun de mes ouvrages ne figure sur aucun site auquel serait censé se référer une telle formation. J’ai dit l’essentiel dans ma présentation personnelle sur La Re-cherche à l’EPhEP. Il aurait fallu que j’indique des références plus pré-cises à mes ouvrages. Par ailleurs, je ne me fais pas d’illusion, je sais que je suis assez difficile et long aussi à lire, bien que j’essaie d’écrire de la manière la plus simple possible, compte de la nature difficile en général du contenu.
Par ailleurs, il est prudent d’éviter le dogmatisme consistant à établir une correspondance trop étroite entre le niveau de la théorie et celui de la pratique. De ce point de vue, il n’y a pas forcément de relation rigoureuse entre la « vérité » à laquelle prétend un paradigme théorique et la qualité du « savoir » pratique qui s’en réclame.
Il y a de bons psychothérapeutes, même non freudiens, et il y en a de moins bons, et même de mauvais, y compris parmi les freudiens. Ce mystère tient aux arcanes et à l’idiosyncrasie de ce que l’on appelle l’ « art », la technê (Aristote).
Du reste, l’homme n’étant ni ange ni bête (Pascal), ou plutôt à la fois ange et bête, corps et âme, âme et corps, psyché-soma (Winnicott), sujet incarné dans une machine vivante, il convient d’admettre que souvent les choses peuvent se prendre par l’un ou l’autre « anneau de la chaine » (an einer anderen Stelle des Zusammenhanges, GW XI, 453), comme l’avance Freud lui-même dans l’« Introduction à la psychanalyse » à propos des relations entre la psychiatrie et la psychanalyse, avec un sens de nos jours assez surprenant de l’éclectisme et de l’interdisciplinarité.
Ce qui supposerait de part et d’autre de l’esprit de tolérance, dont il est vrai que c’est une denrée qui peut venir à manquer de plus en plus, surtout quand il s’agit du veau d’or.
L’argument très souvent invoqué de la non-prise en compte du « sujet » par les nouveaux parvenus peut devenir à la longue aussi mo-notone qu’agaçant - inopérant même - dans la bouche de leurs adver-saires, d’autant qu’il peut être manié par les plus avérées saintes nitou-ches, à moins qu’il ne s’agisse de vrais tartufes. Car il y en a aussi à l’occasion, à côté d’une majorité de gens de mérite, dans toutes les bon-nes causes et les bonnes compagnies. Après tout, même les singes, et peut-être déjà les vers de terre, témoigneraient d’une espèce de subjec-tivité (Leibniz, Ruyer). Comme « yad’lun », y a aussi, y aurait du sujet presque partout, mais cela va sans le dire toul’temps.
On peut parfois aider également le Sujet à mieux se ressentir en agissant rien qu’un moment sur la machine corporelle qui le porte. Cela fait partie des bizarreries de l’être-là, de l’être-jeté dans le monde, pour le dire comme Heidegger (Dasein, Geworfenheit, In-der-Welt-sein), soit encore de l’ « incarnation », comme cela a pu se dire en d’autres temps.
13. In memoriam. Cave canem
Honorer les défunts (in memoriam), on verra un peu plus loin ce que cela signifie, de même que faire attention au chien (cave canem, inscription fréquente sur le seuil des maisons romaines).
Il faudrait que la formation des psychothérapeutes s’intéresse aussi à développer leur esprit combattif à propos de tous les projets en cours et des contradictions de toutes sortes qui s’y décèlent au moindre exa-men. Il faut être à l’affut des prises pour empoigner l’adversaire.
On nous parle de « diagnostique pluridisciplinaire » - d’accord - mais sur la base monolithique d’un « consensus en tous cas en faveur d’une origine biologique de l’autisme » (pp. 6, 8). C’est là un exemple de langue de bois, sans en exclure d’autres.
De fait, « les bonnes pratiques » préconisées par les nouvelles auto-rités médicales sont opposées dans un esprit et un langage manichéens à la « mauvaise vision » entretenue par le diable de la psychanalyse (pp. 5, 7). Autre exemple de langue de bois.
On nous parle non sans hypocrisie de formation des enseignants, comme de « professionnels, notamment des médecins de ville », dans un contexte où tout ce qui existait déjà pouvant offrir une base consistante à pareil projet a été détruit jusqu’au fondement, en un climat délétère de crise de pente accélérée depuis des décennies de l’enseignement supé-rieur, en particulier pour la formation des maîtres, comme de l’ensei-gnement universitaire de la médecine. Voyons cela.
Que l’on nous parle de « classes utilisant la méthode PECS », de « SESSAD accompagnant la scolarisation », en vue de « permettre une scolarisation adéquate, si possible en milieu ordinaire », le tout encadré par des maîtres formés ad hoc, fort bien. Mais c’est la confiance publique qui manque face à l’oubli du passé couvrant de son manteau le nouvel étalage des boniments actuels. Les plus anciens se souviennent et savent.
Tout ce qui existait de l’héritage de la Libération en ce domaine a été détruit comme la création des diables communistes Wallon - le plus grand psychologue (et psychiatre) français - et de son disciple René Zaz-zo. C’est Zazzo lui-même qui a parlé de l’acharnement des pouvoirs de la droite contre les diables rouges à l’école (Jalley, GP2, 718). La « psycho-logie scolaire » d’abord créée par Wallon et Zazzo a été détruite jus-qu’aux racines, peu à peu comprimée puis ces années dernières trans-formée en RASED pour être presque aussitôt radiée sous cette nouvelle identité. Ont été supprimés également les diplômes spéciaux d’institu-teurs spécialisés dans toutes les formes alors identifiées de handicap (diplômes de sigles aujourd’hui disparus et oubliés), que recevait pour une formation approfondie en 2 ans le célèbre à l’époque Centre de Beaumont-sur-Oise, création lui aussi de la Libération. J’y ai enseigné moi-même les bases des psychologies de Freud, Wallon et Piaget (vous connaissez ?).
On donnait aussi des enseignements de psychologie du dévelop-pement et de l’éducation dans plusieurs Écoles Normales Supérieures qui ont été anéanties ou déportées.
Ont été napalmées corps et biens les deux Écoles Normales Supé-rieures d’Éducation physique pour garçons et filles (toutes deux installées à Chatenay-Malabry). Nul ne se souvient qu’elles n’aient jamais existé. Ont été déportées à Lyon - pour faire plaisir, à ce que je crois sans en être tout à fait sûr, à Raymond Barre - les deux Écoles Normales Su-périeures de Fontenay-aux-Roses (filles) et de Saint-Cloud (garçons) dans le cadre des grandes merveilles de la « décentralisation » - l’éternel mons-tre du Loch Ness que tout le monde a photographié, mais que nul n’a jamais pu saisir par la queue. J’avais enseigné plusieurs années également la psychologie éducative à l’ENS de Fontenay-aux-Roses.
Il a existé bien existé également un enseignement de psychologie dans le cadre des deux premières années de médecine, dont subsistent des manuels (Philippe Jeammet et col., Psychologie médicale, 1980), et au-jourd’hui en totale régression, ceci de façon paradoxale, à une époque où les médecins reconnaissent de plus en plus le rôle d’une composante psychogène fréquente en interférence avec le symptôme somatique. La médecine assume en fait l’imposture de prétendre investir et remplacer toute la psychologie professionnelle extra muros dans le même mouve-ment où celle-ci est totalement évincée du tronc général de l’enseigne-ment médical. C’est prétendre se hausser du col tout en se coupant l’herbe sous les pieds. Les spécialistes émoulus du CES de psychiatrie (2 ans) sont alors très loin de posséder une formation équivalente en niveau à celle d’un DESS (5 ans) et même d’une maîtrise de psychologie (4 ans). Qu’importe, leur préséance de droit est acquise comme une forme de privilège nobiliaire sur la plèbe, ni plus ni moins
Ce désastre, à partir de la fondrière duquel on nous promet de tout reconstruire, alors qu’on nous clame partout que l’argent manque - n’en déplaise au mensonge flagrant : « nous avons les moyens » (Carlotti, p. 7) -, ce n’est tout de même pas la « mauvaise vision » de la psychanalyse qui en en est la cause, mais bien la politique désastreuse de ministres de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement Supérieur liés aux pouvoirs de droite (Consultez Wikipédia à ces expressions « Ministres de… » et n’oubliez jamais leurs noms maléfiques), sans en exclure les deux PS Jacques Lang et Claude Allègre sous Mitterrand et Jospin, et qui seraient ce que l’on a connu quasiment de pire (Jalley CPUF1 et 2, GP1 et 2). Il y a lieu de ne pas oublier non plus, du côté de la dénommée « gauche », que la sottise crasse des gauchistes et des maos ne manquait pas au ren-dez-vous, qui militait à l’époque au sein même des Écoles Normales Supérieures pour la destruction de celles-ci.
Un autre aspect de la même forme de contradiction hypocrite du discours politico-médical régnant sur l’autisme est celle existant entre la prétention affichée d’affûter davantage la médecine générale (« de ville », sic !) et l’entreprise étalée au grand jour, depuis une vingtaine d’années, d’un véritable démantèlement des équipements publics de l’institution hospitalière. De fait, la grande fatwa lancée aujourd’hui contre la « mau-vaise vision » de la psychanalyse s’étend jusqu’à sa fille ainée, la psycho-logie clinique, dans la mesure où toutes deux investissent un large secteur de postes dans « 300 hôpitaux de jour » (p. 4-5), dont le coût jugé exorbitant par les « décideurs » motive évidemment la réduction jusqu’à la suppression de cet espace spécifique, ainsi éventuellement que du cadre plus général où il s’insère. Ce n’est pas que la psychologie clinique, c’est aussi la psychiatrie, et même d’autres spécialités médicales (obsté-trique, pédiatrie, gériatrie, etc.) qui sont appelées à disparaître du pays profond pour être plus ou moins relocalisées, après dépeçage et refaçon-nage, dans les bâtiments concentrationnaires de métropoles médicales régionales. Or c’est bien ce système démantelé de la Santé Publique que prétendrait directement remplacer, pour ce qui est de la psychiatrie infantile, le nouveau système paupériste où bricolerait l’attelage baroque de la médecine de ville, assistée d’on ne sait pas encore quelles AVS (auxiliaire de vie scolaire) et des assistantes maternelles recyclées. Mo-ney, money, money… C’est ici le discours du capitaliste qui vient en appui au discours précédent du maître, ce dont on a déjà parlé : la différence entre eux est que le premier affole la rationalité relative du second en le renversant les pieds en haut et la tête en bas ($/S1 au lieu de S1/$, ainsi que Marx prétendait avoir fait de la dialectique de Hegel. Cela, rappelons-le, s’écrit en mathème : $/S1/→S2/a.
On voit ici la folie du pouvoir médical en France, visant à étendre son espace tout en détruisant la base matérielle de son implantation. Oui, ces gens sont fous à lier. C’est Jarry, C’est Kafka. C’est la même sottise abyssale, toutes proportions gardées, que jadis « le grand bond en avant » d’un Mao. Que les gens le dénoncent donc sur le Web, car ils peuvent en principe le faire. J’ai déjà cité ailleurs le mot de René Zazzo : « Qu’est-ce que la connerie, madame ? » (Jalley CRP, 406, 420-421).
Enfin, je suis enclin à penser que la télévision est un fantastique révélateur de l’inconscient des locuteurs, et le maintien si bien composé des dames bécébégé que l’on y voit ces temps-ci, avec leurs mines ap-prêtées de Pierrot Lunaire, ne m’inspire a priori aucune confiance. Je ne parle pas des galéjades et patenôtres de leurs coadjuteurs masculins. Cave canem. Il s’agit en l’occurrence du chien de son maître, de celui qui tient un discours de nouveau maître, le discours capitaliste, caractérisons-le encore un peu mieux que ci-dessus, où l’agent opère d’une position (in)consciente ($), en tant qu’agi par le désir exclusif de l’accumulation de la plus-value (a), et en refoulant la Vérité (S1) et l’ensemble des savoirs qui en dépendent (S2). Nous l’avons déjà écrit : $/S1→S2/a, comme l’envers de celui de son aîné à l’endroit $/S1→S2/a. Ensemble, ils vont la main dans la main, cheminant de concert et se prêtant appui. À ceci près, rappelons-le, que le nouveau représente une torsion de l’ancien ($/S1 renversant les termes de S1/$/), donc que le nouveau maître est plus tordu que le précédent, avec un effet d’emballement de son discours, dû au fait que les quatre termes en sont montés en série le long d’une chaîne en boucle continue.
Bibliographie
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HW, Henri Wallon : Œuvres 1 : Délire d’interprétation, Psychologie pathologique, Principes de psychologie appliqué, Les mécanismes de la mémoire ; Œuvres 2 1903-1929 ; Œuvres 3 1930-1937 ; Œuvres 4 1938-1950 ; Œuvres 5 1951-1956 ; Œuvres 6 1957-1963 ; ibid., 2800 pages, à paraître.