Un escorteur de la PAF raconte la violence ordinaire des expulsions forcées
Oui , c’est dans notre pays.
12 Octobre 2009 Par Carine Fouteau 1 2 3 4 Lire Aussi
Un policier de la PAF raconte : de bien jolis voyages pour un « système qui ne sert à rien »
Le manuel des policiers de la PAF pour « réussir » une expulsion forcéeLes reconduites à la frontière font partie de son quotidien. Il est agent de la police aux frontières (PAF), grade : gardien de la paix, en service à l’unité nationale d’escorte, de soutien et d’intervention (Unesi), basée à Rungis et chargée de « raccompagner » les étrangers expulsés dans leur pays d’origine. Bien noté par sa hiérarchie, il n’est ni syndiqué ni proche de l’âge de la retraite. Il n’avait pas, a priori, l’intention de parler à un journaliste. Un abonné de Mediapart nous a mis sur sa trace. Il a alors fallu convaincre ce policier de l’intérêt de détailler le fonctionnement, de l’intérieur, de la machine à expulser mise en place par Nicolas Sarkozy.
Il a accepté au nom de la « transparence », mais a souhaité rester anonyme afin de ne pas être identifié. Son récit est publié en deux volets. Des menottes aux sangles en passant par les plaquages au sol et les étranglements, la première partie est consacrée aux méthodes employées par les « escorteurs » pour contraindre les sans-papiers à monter et rester dans les avions qui les ramènent dans le pays qu’ils ont voulu quitter. Le recours à la violence est d’autant plus insidieux qu’il apparaît encadré et banalisé.
« On a une heure pour convaincre le mec de partir »
« Je fais une quinzaine de reconduites par mois. On nous appelle la veille du départ, ou le vendredi pour le week-end. On monte alors un dossier d’escorte, avec le routing [document décrivant l’identité de la personne expulsée et le parcours aérien], les ordres de mission qui remplacent notre carte de pêche [la carte de police] et les frais de mission. On arrive à l’aéroport deux heures avant. On a une heure pour faire connaissance avec le mec, voir qui c’est, s’il a un problème, par exemple médical, s’il y a un souci au niveau des papiers.
C’est ce qu’on appelle la prise en charge. Mais on a très peu d’infos. On a une heure pour le convaincre de partir et le monter dans l’avion avant les passagers normaux. Ça se passe à l’ULE, l’unité locale d’éloignement, de Roissy ou d’Orly, où les gens sont placés en cellule. C’est la zone tampon entre le CRA, le centre de rétention administrative, et l’avion. Pour les Afriques, on est trois escorteurs par reconduit, deux pour le reste du monde.
« On se bagarre dans l’avion »
Quand on se bagarre, c’est à l’ULE ou dans l’avion, parce que la plupart des mecs ne veulent pas partir. Nous, on considère qu’on est payés pour les ramener, pas pour les emmerder. Donc on leur explique, s’ils comprennent, ils comprennent, s’ils comprennent pas, tant pis pour eux. La règle officielle, la devise de notre service, c’est qu’il n’y a pas d’escorte à tout prix. Par exemple si un mec est malade, je ne le monte pas. Le pire, c’est quand ils vomissent ou se défèquent dessus. Là, c’est pas drôle. Ils crachent, ils mordent aussi.
Quand ce genre de chose arrive, on les descend tout de suite, on n’insiste pas. Sauf pour les ITF [interdictions de territoire], là on fait le maximum pour les faire partir parce qu’ils ont commis des crimes et délits graves. De toutes façons, ceux-là, s’ils ne partent pas, ils vont directement en prison, deux, trois mois, en fonction des violences qu’il y a eues sur le policier. Sauf s’ils sont reconnus en état de légitime défense par un juge de Bobigny, parce qu’à Bobigny, il y a des juges qui sont complètement anti-flics. C’est quand même spécial comme pays.
Pour les APRF [arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière], les mecs, on leur explique que s’ils ne partent pas, ça s’appelle un refus, ils vont être reprogrammés sur un autre vol à l’issue de la fin de rétention, on leur dit : “tu repartiras quand même”. Les mecs qu’on ramène, c’est des pauvres gars, on en est parfaitement conscients. Ce sont des mecs qui viennent chercher du boulot. On leur explique : “y’a pas d’entourloupe, je sais que ce n’est pas rigolo, mais t’es obligé de partir”, on a une heure pour leur expliquer cela. Le problème, c’est que la Cimade, toutes les associations, leur montent la tête, leur donnent des laxatifs éventuellement...
Menottes métalliques et en textile, sangles et gant en cuir utilisés lors des expulsions.© Carine Fouteau
Menottes, ceintures abdominales et sangles
Donc on leur explique, s’ils comprennent tant mieux. Si on voit qu’ils s’agitent, on leur met les menottes sur le tarmac, avant l’embarquement à l’arrière de l’avion. On a notre formation initiale qui dure un mois sur ce qu’on a le droit de faire et tous les trois mois on est recyclés, c’est-à-dire qu’on refait une session de formation d’une journée, où on révise, en général sérieusement.
Pour les personnes dont on se méfie, on utilise des ceintures en velcro qu’on place autour de la taille. Le gars peut avoir les mains attachées devant [il montre son estomac]. Des ceintures en cuir, on en avait au commissariat. Nous, c’est un dispositif qui est un peu plus cool, assez inadapté d’ailleurs et qui vieillit mal, parce que ça se règle avec des scratchs, les mecs tirent très fort dessus et quand c’est un black de 110 kilos, il l’arrache. On peut aussi utiliser des sangles, au-dessus du genou, sur les chevilles et sur la poitrine. Et si le mec bouge vraiment beaucoup, on en tend une entre les chevilles et la poitrine, pour l’empêcher de donner des coups de tête. Parfois, on attache un coussin sur le dossier devant, s’il y a un écran, pour la même raison.
Pendant un certain temps, on avait interdiction d’avoir des menottes, tout simplement parce qu’ils disaient que ça coûtait trop d’argent. Donc ils avaient acheté des menottes jetables en textile, qui sont complètement inefficaces, ça ne marche que sur les mecs gentils. Je faisais un Asie, le type est monté tranquillement, il était même content de rentrer. En fait, c’était un bagarreur, on a dû se battre avec lui dans l’avion au bout de deux heures de vol.
On l’a maîtrisé, mais le problème, c’est qu’avec les menottes textile, on ne pouvait pas l’attacher, il était en train d’étrangler mon collègue, moi j’étais dessus, c’était très très sportif, c’était une mission de merde. L’avantage c’est que les passagers n’ont pas bougé. Si on avait été des bourrins dès le début, ça se serait mal passé. Maintenant, heureusement, on a récupéré des vraies menottes métalliques.
Si le gars est gentil, on évite tout moyen de violence, de coercition, les sangles, on en met le minimum. Et en général, ça part beaucoup mieux. Le manuel de GTPI [gestes techniques professionnels en intervention], c’est le même depuis 2003. Par exemple, la technique du pliage [à l’origine du décès d’un Éthiopien en janvier 2003], c’est strictement interdit, en tout cas, nous, on le fait jamais. Dans notre service, ça ne se fait pas non plus de mettre des bâillons. Mais moi je mets des masques pour les empêcher de cracher, vous savez des masques de peinture.
« L’étranglement, c’est parfaitement autorisé, c’est dans le manuel »
La contrainte la pire qu’on puisse faire, c’est un étranglement qu’on appelle la régulation phonique. C’est une sorte d’étranglement où on fait des pressions sur la gorge pour que le mec ne crie pas. C’est parfaitement autorisé, c’est dans le manuel. Sinon, ce qu’on fait plus souvent, c’est les mises au sol. On met le type par terre, on le plaque au sol. Dans nos gestes d’intervention, on a le rapport de masse, c’est-à-dire que le total du poids des flics doit faire le double du poids du mec. Le fait d’être à plusieurs et de le mettre au sol évite de devoir lui taper dessus.
Il y a des gens, ils sont tellement lourds et grands qu’on les appelle des Golgoth ou des Fléaux. Avec eux, on ne fait pas le poids. Moi, je ne frappe jamais, je sais que ça va énerver le mec encore plus. Avant, je repoussais au maximum l’usage de la force, maintenant quand quelqu’un est borné, on lui fait tout de suite comprendre que de toute façon on est plus forts que lui et une fois qu’il a compris ça, on peut discuter. Les Africains, des fois, sont assez machos et quand on leur parle gentiment, parfois, ils vous prennent pour un faible.
Une fois que le gars se retrouve par terre avec les sangles et qu’on lui dit : “tu fais moins le malin, maintenant, andouille”, là, il commence à te respecter un petit peu. J’ai fait ça deux trois fois, pas plus, sur les gens bornés, en général ils comprennent. Je sais qu’il y a des collègues qui ont la claque facile, qui sont un peu plus pénibles, mais des grosses brutes chez nous, il y en a très peu. La claque, c’est des coups de poing dans le ventre, puisqu’il ne faut pas que ça se voit.
Si le mec se prend une raclée, c’est qu’il l’aura vraiment cherché, c’est déjà arrivé, attention, je ne fais pas la danseuse, mais y’en a qui le méritent. Par exemple, celui qui a mangé le doigt d’un policier, celui-là, il prend une raclée, c’est sûr, c’est un peu compréhensible. Ça arrive à partir du moment où il y a des violences contre nous ou contre le personnel navigant.
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Un policier de la PAF raconte : de bien jolis voyages pour un « système qui ne sert à rien »
Le manuel des policiers de la PAF pour « réussir » une expulsion forcéeLes reconduites à la frontière font partie de son quotidien. Il est agent de la police aux frontières (PAF), grade : gardien de la paix, en service à l’unité nationale d’escorte, de soutien et d’intervention (Unesi), basée à Rungis et chargée de « raccompagner » les étrangers expulsés dans leur pays d’origine. Bien noté par sa hiérarchie, il n’est ni syndiqué ni proche de l’âge de la retraite. Il n’avait pas, a priori, l’intention de parler à un journaliste. Un abonné de Mediapart nous a mis sur sa trace. Il a alors fallu convaincre ce policier de l’intérêt de détailler le fonctionnement, de l’intérieur, de la machine à expulser mise en place par Nicolas Sarkozy.
Il a accepté au nom de la « transparence », mais a souhaité rester anonyme afin de ne pas être identifié. Son récit est publié en deux volets. Des menottes aux sangles en passant par les plaquages au sol et les étranglements, la première partie est consacrée aux méthodes employées par les « escorteurs » pour contraindre les sans-papiers à monter et rester dans les avions qui les ramènent dans le pays qu’ils ont voulu quitter. Le recours à la violence est d’autant plus insidieux qu’il apparaît encadré et banalisé.
« On a une heure pour convaincre le mec de partir »
« Je fais une quinzaine de reconduites par mois. On nous appelle la veille du départ, ou le vendredi pour le week-end. On monte alors un dossier d’escorte, avec le routing [document décrivant l’identité de la personne expulsée et le parcours aérien], les ordres de mission qui remplacent notre carte de pêche [la carte de police] et les frais de mission. On arrive à l’aéroport deux heures avant. On a une heure pour faire connaissance avec le mec, voir qui c’est, s’il a un problème, par exemple médical, s’il y a un souci au niveau des papiers.
C’est ce qu’on appelle la prise en charge. Mais on a très peu d’infos. On a une heure pour le convaincre de partir et le monter dans l’avion avant les passagers normaux. Ça se passe à l’ULE, l’unité locale d’éloignement, de Roissy ou d’Orly, où les gens sont placés en cellule. C’est la zone tampon entre le CRA, le centre de rétention administrative, et l’avion. Pour les Afriques, on est trois escorteurs par reconduit, deux pour le reste du monde.
« On se bagarre dans l’avion »
Quand on se bagarre, c’est à l’ULE ou dans l’avion, parce que la plupart des mecs ne veulent pas partir. Nous, on considère qu’on est payés pour les ramener, pas pour les emmerder. Donc on leur explique, s’ils comprennent, ils comprennent, s’ils comprennent pas, tant pis pour eux. La règle officielle, la devise de notre service, c’est qu’il n’y a pas d’escorte à tout prix. Par exemple si un mec est malade, je ne le monte pas. Le pire, c’est quand ils vomissent ou se défèquent dessus. Là, c’est pas drôle. Ils crachent, ils mordent aussi.
Quand ce genre de chose arrive, on les descend tout de suite, on n’insiste pas. Sauf pour les ITF [interdictions de territoire], là on fait le maximum pour les faire partir parce qu’ils ont commis des crimes et délits graves. De toutes façons, ceux-là, s’ils ne partent pas, ils vont directement en prison, deux, trois mois, en fonction des violences qu’il y a eues sur le policier. Sauf s’ils sont reconnus en état de légitime défense par un juge de Bobigny, parce qu’à Bobigny, il y a des juges qui sont complètement anti-flics. C’est quand même spécial comme pays.
Pour les APRF [arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière], les mecs, on leur explique que s’ils ne partent pas, ça s’appelle un refus, ils vont être reprogrammés sur un autre vol à l’issue de la fin de rétention, on leur dit : “tu repartiras quand même”. Les mecs qu’on ramène, c’est des pauvres gars, on en est parfaitement conscients. Ce sont des mecs qui viennent chercher du boulot. On leur explique : “y’a pas d’entourloupe, je sais que ce n’est pas rigolo, mais t’es obligé de partir”, on a une heure pour leur expliquer cela. Le problème, c’est que la Cimade, toutes les associations, leur montent la tête, leur donnent des laxatifs éventuellement...
Menottes métalliques et en textile, sangles et gant en cuir utilisés lors des expulsions.© Carine Fouteau
Menottes, ceintures abdominales et sangles
Donc on leur explique, s’ils comprennent tant mieux. Si on voit qu’ils s’agitent, on leur met les menottes sur le tarmac, avant l’embarquement à l’arrière de l’avion. On a notre formation initiale qui dure un mois sur ce qu’on a le droit de faire et tous les trois mois on est recyclés, c’est-à-dire qu’on refait une session de formation d’une journée, où on révise, en général sérieusement.
Pour les personnes dont on se méfie, on utilise des ceintures en velcro qu’on place autour de la taille. Le gars peut avoir les mains attachées devant [il montre son estomac]. Des ceintures en cuir, on en avait au commissariat. Nous, c’est un dispositif qui est un peu plus cool, assez inadapté d’ailleurs et qui vieillit mal, parce que ça se règle avec des scratchs, les mecs tirent très fort dessus et quand c’est un black de 110 kilos, il l’arrache. On peut aussi utiliser des sangles, au-dessus du genou, sur les chevilles et sur la poitrine. Et si le mec bouge vraiment beaucoup, on en tend une entre les chevilles et la poitrine, pour l’empêcher de donner des coups de tête. Parfois, on attache un coussin sur le dossier devant, s’il y a un écran, pour la même raison.
Pendant un certain temps, on avait interdiction d’avoir des menottes, tout simplement parce qu’ils disaient que ça coûtait trop d’argent. Donc ils avaient acheté des menottes jetables en textile, qui sont complètement inefficaces, ça ne marche que sur les mecs gentils. Je faisais un Asie, le type est monté tranquillement, il était même content de rentrer. En fait, c’était un bagarreur, on a dû se battre avec lui dans l’avion au bout de deux heures de vol.
On l’a maîtrisé, mais le problème, c’est qu’avec les menottes textile, on ne pouvait pas l’attacher, il était en train d’étrangler mon collègue, moi j’étais dessus, c’était très très sportif, c’était une mission de merde. L’avantage c’est que les passagers n’ont pas bougé. Si on avait été des bourrins dès le début, ça se serait mal passé. Maintenant, heureusement, on a récupéré des vraies menottes métalliques.
Si le gars est gentil, on évite tout moyen de violence, de coercition, les sangles, on en met le minimum. Et en général, ça part beaucoup mieux. Le manuel de GTPI [gestes techniques professionnels en intervention], c’est le même depuis 2003. Par exemple, la technique du pliage [à l’origine du décès d’un Éthiopien en janvier 2003], c’est strictement interdit, en tout cas, nous, on le fait jamais. Dans notre service, ça ne se fait pas non plus de mettre des bâillons. Mais moi je mets des masques pour les empêcher de cracher, vous savez des masques de peinture.
« L’étranglement, c’est parfaitement autorisé, c’est dans le manuel »
La contrainte la pire qu’on puisse faire, c’est un étranglement qu’on appelle la régulation phonique. C’est une sorte d’étranglement où on fait des pressions sur la gorge pour que le mec ne crie pas. C’est parfaitement autorisé, c’est dans le manuel. Sinon, ce qu’on fait plus souvent, c’est les mises au sol. On met le type par terre, on le plaque au sol. Dans nos gestes d’intervention, on a le rapport de masse, c’est-à-dire que le total du poids des flics doit faire le double du poids du mec. Le fait d’être à plusieurs et de le mettre au sol évite de devoir lui taper dessus.
Il y a des gens, ils sont tellement lourds et grands qu’on les appelle des Golgoth ou des Fléaux. Avec eux, on ne fait pas le poids. Moi, je ne frappe jamais, je sais que ça va énerver le mec encore plus. Avant, je repoussais au maximum l’usage de la force, maintenant quand quelqu’un est borné, on lui fait tout de suite comprendre que de toute façon on est plus forts que lui et une fois qu’il a compris ça, on peut discuter. Les Africains, des fois, sont assez machos et quand on leur parle gentiment, parfois, ils vous prennent pour un faible.
Une fois que le gars se retrouve par terre avec les sangles et qu’on lui dit : “tu fais moins le malin, maintenant, andouille”, là, il commence à te respecter un petit peu. J’ai fait ça deux trois fois, pas plus, sur les gens bornés, en général ils comprennent. Je sais qu’il y a des collègues qui ont la claque facile, qui sont un peu plus pénibles, mais des grosses brutes chez nous, il y en a très peu. La claque, c’est des coups de poing dans le ventre, puisqu’il ne faut pas que ça se voit.
Si le mec se prend une raclée, c’est qu’il l’aura vraiment cherché, c’est déjà arrivé, attention, je ne fais pas la danseuse, mais y’en a qui le méritent. Par exemple, celui qui a mangé le doigt d’un policier, celui-là, il prend une raclée, c’est sûr, c’est un peu compréhensible. Ça arrive à partir du moment où il y a des violences contre nous ou contre le personnel navigant.
« Les CRS gazent dans l’avion quand il y a un problème »
Quand on monte dans l’avion, il y a nous, la personne reconduite, les escorteurs nationaux qui viennent du CRA, le personnel de l’ULE, donc ça fait beaucoup de policiers. En cas de renfort, on appelle la CIP, c’est-à-dire la compagnie d’intervention d’Orly ou de Roissy, c’est-à-dire les CRS. Eux sont moins formés, c’est des bourrins, c’est eux qui gazent dans l’avion quand il y a un problème. En général, on les appelle quand il y a des interpellations à faire dans l’avion, quand on est obligés de faire sortir des gens parce qu’ils cherchent vraiment à faire dégénérer les choses.
Mais quand ils ferment les portes, on se retrouve tout seuls. Nous, on est toujours en civil, pas d’arme. En général, on arrive toujours à monter le mec dans l’avion, c’est notre boulot. Alors, ça crie, ça bouge, on casse des sièges des fois, les hôtesses pleurent, tout ça. Par contre, quand on voit que les passagers commencent à bouger, là c’est critique. Il y a eu les philosophes, par exemple, des mecs qui n’y connaissent rien mais qui viennent faire les nouveaux justes. Ils sont venus faire leur scandale parce qu’ils ont vu des Noirs avec des Blancs autour. Alors que la reconduite se passait très bien, ils ont levé tout le monde. Après, ils ont accusé Air France d’avoir donné leur nom à la police. C’est vrai, mais les gens d’Air France avaient été ulcérés de se faire traiter de nazis et de collabos.
Le « rapport de force » avec le commandant de bord
Juridiquement, le commandant de bord est maître dans son avion quand les portes sont fermées. Mais avant, c’est encore nous. S’il nous demande de descendre, le chef de mission dit : “non, tant que les portes sont ouvertes, je ne descends pas”. Et on appelle notre officier. Tant qu’il n’est pas arrivé, on ne bouge pas, ça embête tout le monde, c’est sûr, c’est un vrai rapport de force. L’officier arrive, la CIP arrive, l’avion loupe son créneau horaire, il ne peut pas décoller et l’avion est annulé. Ça, juridiquement, c’est le maximum. Si on descend, tout le monde est perdant.
Alors, les consignes, ça dépend des officiers. Le problème, c’est que la plupart ne veulent pas d’affrontements directs avec Air France. La Lufthansa, avant, dès que le mec toussait, ils nous débarquaient tout de suite, ils préféraient perdre un avion que faire une reconduite, Alitalia aussi, la Royal Air Maroc aussi. On ne fait plus les compagnies africaines, heureusement, parce que là, c’était tendu. Parfois, il y a des menaces d’interpellation sur les personnels de bord, parce qu’il y en a qui oublient qu’on est des vrais policiers et qu’on peut les interpeller pour outrage, rébellion, mais en général ça se passe bien.
Un commandant de bord nous a dit que, lors d’une reconduite, il y avait eu une émeute et qu’un gamin avait été piétiné. On en est parfaitement conscients. Mais s’ils veulent décoller, ils ont intérêt à nous laisser dans l’avion. Une fois qu’on est en vol, en général, ça se passe bien. Ça dépend de la coopération du bonhomme et aussi de la confiance que je fais à mon collègue et à l’équipage. Mais la plupart du temps, on détache le mec.
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Un policier de la PAF raconte : de bien jolis voyages pour un « système qui ne sert à rien »
Le manuel des policiers de la PAF pour « réussir » une expulsion forcéeLes reconduites à la frontière font partie de son quotidien. Il est agent de la police aux frontières (PAF), grade : gardien de la paix, en service à l’unité nationale d’escorte, de soutien et d’intervention (Unesi), basée à Rungis et chargée de « raccompagner » les étrangers expulsés dans leur pays d’origine. Bien noté par sa hiérarchie, il n’est ni syndiqué ni proche de l’âge de la retraite. Il n’avait pas, a priori, l’intention de parler à un journaliste. Un abonné de Mediapart nous a mis sur sa trace. Il a alors fallu convaincre ce policier de l’intérêt de détailler le fonctionnement, de l’intérieur, de la machine à expulser mise en place par Nicolas Sarkozy.
Il a accepté au nom de la « transparence », mais a souhaité rester anonyme afin de ne pas être identifié. Son récit est publié en deux volets. Des menottes aux sangles en passant par les plaquages au sol et les étranglements, la première partie est consacrée aux méthodes employées par les « escorteurs » pour contraindre les sans-papiers à monter et rester dans les avions qui les ramènent dans le pays qu’ils ont voulu quitter. Le recours à la violence est d’autant plus insidieux qu’il apparaît encadré et banalisé.
« On a une heure pour convaincre le mec de partir »
« Je fais une quinzaine de reconduites par mois. On nous appelle la veille du départ, ou le vendredi pour le week-end. On monte alors un dossier d’escorte, avec le routing [document décrivant l’identité de la personne expulsée et le parcours aérien], les ordres de mission qui remplacent notre carte de pêche [la carte de police] et les frais de mission. On arrive à l’aéroport deux heures avant. On a une heure pour faire connaissance avec le mec, voir qui c’est, s’il a un problème, par exemple médical, s’il y a un souci au niveau des papiers.
C’est ce qu’on appelle la prise en charge. Mais on a très peu d’infos. On a une heure pour le convaincre de partir et le monter dans l’avion avant les passagers normaux. Ça se passe à l’ULE, l’unité locale d’éloignement, de Roissy ou d’Orly, où les gens sont placés en cellule. C’est la zone tampon entre le CRA, le centre de rétention administrative, et l’avion. Pour les Afriques, on est trois escorteurs par reconduit, deux pour le reste du monde.
« On se bagarre dans l’avion »
Quand on se bagarre, c’est à l’ULE ou dans l’avion, parce que la plupart des mecs ne veulent pas partir. Nous, on considère qu’on est payés pour les ramener, pas pour les emmerder. Donc on leur explique, s’ils comprennent, ils comprennent, s’ils comprennent pas, tant pis pour eux. La règle officielle, la devise de notre service, c’est qu’il n’y a pas d’escorte à tout prix. Par exemple si un mec est malade, je ne le monte pas. Le pire, c’est quand ils vomissent ou se défèquent dessus. Là, c’est pas drôle. Ils crachent, ils mordent aussi.
Quand ce genre de chose arrive, on les descend tout de suite, on n’insiste pas. Sauf pour les ITF [interdictions de territoire], là on fait le maximum pour les faire partir parce qu’ils ont commis des crimes et délits graves. De toutes façons, ceux-là, s’ils ne partent pas, ils vont directement en prison, deux, trois mois, en fonction des violences qu’il y a eues sur le policier. Sauf s’ils sont reconnus en état de légitime défense par un juge de Bobigny, parce qu’à Bobigny, il y a des juges qui sont complètement anti-flics. C’est quand même spécial comme pays.
Pour les APRF [arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière], les mecs, on leur explique que s’ils ne partent pas, ça s’appelle un refus, ils vont être reprogrammés sur un autre vol à l’issue de la fin de rétention, on leur dit : “tu repartiras quand même”. Les mecs qu’on ramène, c’est des pauvres gars, on en est parfaitement conscients. Ce sont des mecs qui viennent chercher du boulot. On leur explique : “y’a pas d’entourloupe, je sais que ce n’est pas rigolo, mais t’es obligé de partir”, on a une heure pour leur expliquer cela. Le problème, c’est que la Cimade, toutes les associations, leur montent la tête, leur donnent des laxatifs éventuellement...
Menottes métalliques et en textile, sangles et gant en cuir utilisés lors des expulsions.© Carine Fouteau
Menottes, ceintures abdominales et sangles
Donc on leur explique, s’ils comprennent tant mieux. Si on voit qu’ils s’agitent, on leur met les menottes sur le tarmac, avant l’embarquement à l’arrière de l’avion. On a notre formation initiale qui dure un mois sur ce qu’on a le droit de faire et tous les trois mois on est recyclés, c’est-à-dire qu’on refait une session de formation d’une journée, où on révise, en général sérieusement.
Pour les personnes dont on se méfie, on utilise des ceintures en velcro qu’on place autour de la taille. Le gars peut avoir les mains attachées devant [il montre son estomac]. Des ceintures en cuir, on en avait au commissariat. Nous, c’est un dispositif qui est un peu plus cool, assez inadapté d’ailleurs et qui vieillit mal, parce que ça se règle avec des scratchs, les mecs tirent très fort dessus et quand c’est un black de 110 kilos, il l’arrache. On peut aussi utiliser des sangles, au-dessus du genou, sur les chevilles et sur la poitrine. Et si le mec bouge vraiment beaucoup, on en tend une entre les chevilles et la poitrine, pour l’empêcher de donner des coups de tête. Parfois, on attache un coussin sur le dossier devant, s’il y a un écran, pour la même raison.
Pendant un certain temps, on avait interdiction d’avoir des menottes, tout simplement parce qu’ils disaient que ça coûtait trop d’argent. Donc ils avaient acheté des menottes jetables en textile, qui sont complètement inefficaces, ça ne marche que sur les mecs gentils. Je faisais un Asie, le type est monté tranquillement, il était même content de rentrer. En fait, c’était un bagarreur, on a dû se battre avec lui dans l’avion au bout de deux heures de vol.
On l’a maîtrisé, mais le problème, c’est qu’avec les menottes textile, on ne pouvait pas l’attacher, il était en train d’étrangler mon collègue, moi j’étais dessus, c’était très très sportif, c’était une mission de merde. L’avantage c’est que les passagers n’ont pas bougé. Si on avait été des bourrins dès le début, ça se serait mal passé. Maintenant, heureusement, on a récupéré des vraies menottes métalliques.
Si le gars est gentil, on évite tout moyen de violence, de coercition, les sangles, on en met le minimum. Et en général, ça part beaucoup mieux. Le manuel de GTPI [gestes techniques professionnels en intervention], c’est le même depuis 2003. Par exemple, la technique du pliage [à l’origine du décès d’un Éthiopien en janvier 2003], c’est strictement interdit, en tout cas, nous, on le fait jamais. Dans notre service, ça ne se fait pas non plus de mettre des bâillons. Mais moi je mets des masques pour les empêcher de cracher, vous savez des masques de peinture.
« L’étranglement, c’est parfaitement autorisé, c’est dans le manuel »
La contrainte la pire qu’on puisse faire, c’est un étranglement qu’on appelle la régulation phonique. C’est une sorte d’étranglement où on fait des pressions sur la gorge pour que le mec ne crie pas. C’est parfaitement autorisé, c’est dans le manuel. Sinon, ce qu’on fait plus souvent, c’est les mises au sol. On met le type par terre, on le plaque au sol. Dans nos gestes d’intervention, on a le rapport de masse, c’est-à-dire que le total du poids des flics doit faire le double du poids du mec. Le fait d’être à plusieurs et de le mettre au sol évite de devoir lui taper dessus.
Il y a des gens, ils sont tellement lourds et grands qu’on les appelle des Golgoth ou des Fléaux. Avec eux, on ne fait pas le poids. Moi, je ne frappe jamais, je sais que ça va énerver le mec encore plus. Avant, je repoussais au maximum l’usage de la force, maintenant quand quelqu’un est borné, on lui fait tout de suite comprendre que de toute façon on est plus forts que lui et une fois qu’il a compris ça, on peut discuter. Les Africains, des fois, sont assez machos et quand on leur parle gentiment, parfois, ils vous prennent pour un faible.
Une fois que le gars se retrouve par terre avec les sangles et qu’on lui dit : “tu fais moins le malin, maintenant, andouille”, là, il commence à te respecter un petit peu. J’ai fait ça deux trois fois, pas plus, sur les gens bornés, en général ils comprennent. Je sais qu’il y a des collègues qui ont la claque facile, qui sont un peu plus pénibles, mais des grosses brutes chez nous, il y en a très peu. La claque, c’est des coups de poing dans le ventre, puisqu’il ne faut pas que ça se voit.
Si le mec se prend une raclée, c’est qu’il l’aura vraiment cherché, c’est déjà arrivé, attention, je ne fais pas la danseuse, mais y’en a qui le méritent. Par exemple, celui qui a mangé le doigt d’un policier, celui-là, il prend une raclée, c’est sûr, c’est un peu compréhensible. Ça arrive à partir du moment où il y a des violences contre nous ou contre le personnel navigant.
« Les CRS gazent dans l’avion quand il y a un problème »
Quand on monte dans l’avion, il y a nous, la personne reconduite, les escorteurs nationaux qui viennent du CRA, le personnel de l’ULE, donc ça fait beaucoup de policiers. En cas de renfort, on appelle la CIP, c’est-à-dire la compagnie d’intervention d’Orly ou de Roissy, c’est-à-dire les CRS. Eux sont moins formés, c’est des bourrins, c’est eux qui gazent dans l’avion quand il y a un problème. En général, on les appelle quand il y a des interpellations à faire dans l’avion, quand on est obligés de faire sortir des gens parce qu’ils cherchent vraiment à faire dégénérer les choses.
Mais quand ils ferment les portes, on se retrouve tout seuls. Nous, on est toujours en civil, pas d’arme. En général, on arrive toujours à monter le mec dans l’avion, c’est notre boulot. Alors, ça crie, ça bouge, on casse des sièges des fois, les hôtesses pleurent, tout ça. Par contre, quand on voit que les passagers commencent à bouger, là c’est critique. Il y a eu les philosophes, par exemple, des mecs qui n’y connaissent rien mais qui viennent faire les nouveaux justes. Ils sont venus faire leur scandale parce qu’ils ont vu des Noirs avec des Blancs autour. Alors que la reconduite se passait très bien, ils ont levé tout le monde. Après, ils ont accusé Air France d’avoir donné leur nom à la police. C’est vrai, mais les gens d’Air France avaient été ulcérés de se faire traiter de nazis et de collabos.
Le « rapport de force » avec le commandant de bord
Juridiquement, le commandant de bord est maître dans son avion quand les portes sont fermées. Mais avant, c’est encore nous. S’il nous demande de descendre, le chef de mission dit : “non, tant que les portes sont ouvertes, je ne descends pas”. Et on appelle notre officier. Tant qu’il n’est pas arrivé, on ne bouge pas, ça embête tout le monde, c’est sûr, c’est un vrai rapport de force. L’officier arrive, la CIP arrive, l’avion loupe son créneau horaire, il ne peut pas décoller et l’avion est annulé. Ça, juridiquement, c’est le maximum. Si on descend, tout le monde est perdant.
Alors, les consignes, ça dépend des officiers. Le problème, c’est que la plupart ne veulent pas d’affrontements directs avec Air France. La Lufthansa, avant, dès que le mec toussait, ils nous débarquaient tout de suite, ils préféraient perdre un avion que faire une reconduite, Alitalia aussi, la Royal Air Maroc aussi. On ne fait plus les compagnies africaines, heureusement, parce que là, c’était tendu. Parfois, il y a des menaces d’interpellation sur les personnels de bord, parce qu’il y en a qui oublient qu’on est des vrais policiers et qu’on peut les interpeller pour outrage, rébellion, mais en général ça se passe bien.
Un commandant de bord nous a dit que, lors d’une reconduite, il y avait eu une émeute et qu’un gamin avait été piétiné. On en est parfaitement conscients. Mais s’ils veulent décoller, ils ont intérêt à nous laisser dans l’avion. Une fois qu’on est en vol, en général, ça se passe bien. Ça dépend de la coopération du bonhomme et aussi de la confiance que je fais à mon collègue et à l’équipage. Mais la plupart du temps, on détache le mec.
« Il faut savoir se débrouiller à l’étranger »
Il y a pas mal de bilingues chez nous car il faut savoir se débrouiller à l’étranger. Souvent l’interface avec la police locale ne se passe pas de façon idéale. Ils peuvent nous embêter avec les papiers, ils peuvent refuser le reconduit. Dans certains pays d’Afrique, les autorités ne nous aiment pas, ils font preuve de mauvaise volonté.
En général, quand on arrive, il y a le SCTIP, le service de coopération technique internationale de la police qui nous accueille, ce sont des policiers basés aux ambassades. En Amérique du Sud, c’est Interpol qui vient nous chercher quand on ramène des trafiquants de drogue ou des mules. Dans la plupart des autres pays, on prend nous-mêmes contact avec les autorités locales. On leur transmet le dossier avec ce que le mec a fait. S’il a été correct dans l’avion, on expurge son dossier, on enlève par exemple tout ce qui a trait à la prison.
En Tunisie, systématiquement, les gars font trois jours de taule. En Algérie, ils sont plus sympas, même avec les reconduits. Le Maroc, ça se passe bien, aussi. Ça nous est déjà arrivé de ramener des crapauds de cité, des racailles, ils font les malins en France, mais quand ils arrivent au bled, ils connaissent tout de suite la politesse, ça fait plaisir. On devrait faire ça plus souvent, les stages au bled. »
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