Mathieu Bellahsen : « La santé mentale est devenue un outil du néolibéralisme »
Comment, du champ psychiatrique, la notion de santé mentale s’est-elle déplacée sur le champ économique ? Entretien vidéo avec le psychiatre Mathieu Bellahsen, auteur du livre La Santé mentale – Vers un bonheur sous contrôle (Éd. La Fabrique).
« Intriquer clinique et politique est une gageure », écrit le psychiatre Mathieu Bellahsen dans son livre La Santé mentale – Vers un bonheur sous contrôle. Il y parvient pourtant de façon convaincante en retraçant l’histoire du concept de santé mentale jusqu’à son utilisation aujourd’hui dans la « gestion des masses ». Ou comment, du champ psychiatrique, cette notion s’est déplacée sur le champ économique.
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L’originalité de cet essai réside aussi dans la personnalité de son auteur. Psychiatre des hôpitaux (ex-président des internes en psychiatrie et cofondateur d’Utopsy), il suit au quotidien les malades d’un secteur de la banlieue parisienne. Fort de cette pratique, Mathieu Bellahsen est allé voir aux sources du concept de santé mentale pour comprendre son évolution. Le décryptage de textes essentiels – émanant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’Europe ou du Centre d’analyse stratégique (service dépendant du premier ministre) – permet de saisir combien l’intention humaniste du milieu du XIXe siècle s’est muée, au début du XXe siècle et sous un vocabulaire positif, en norme impérative des comportements :
– « La santé mentale et le bien-être mental sont des conditions fondamentales à la qualité de la vie, à la productivité des individus, des familles, des populations et des nations, et confèrent un sens à notre existence tout en nous permettant d’être des citoyens à la fois actifs et créatifs », écrit l’OMS en 2005.
– « Une personne en bonne santé mentale est quelqu’un qui se sent suffisamment en confiance pour s’adapter à une situation à laquelle elle ne peut rien changer », estime le Centre d’analyse stratégique en 2010.
– La prise en compte de la santé mentale permet « d’améliorer la disponibilité des ressources économiques », peut-on lire dans le Livre vert de l’Union européenne, publié en 2005.
Ces définitions du bien-être ou du bonheur, vues à l’aune de la productivité des individus ou de leur soumission à une situation à laquelle ils ne peuvent « rien changer », influent forcément sur les pratiques soignantes. Les évaluations des traitements seront mesurées à la capacité des malades de se conformer à ces normes – « L’idée générale sous-tendue est celle de la possibilité d’une vie entièrement contrôlable par la force de la volonté », écrit Mathieu Bellahsen, soulignant combien ce discours évacue « la partie tragique de l’existence humaine » – et les efforts seront portés sur les individus capables de produire les résultats attendus. Exit donc les plus résistants et notamment les grands délirants que l’on voit de plus en plus dans la rue ou en prison.
Or « ce qu’il faut construire avec toute personne en proie au délire ou à la dépression, écrit Mathieu Bellahsen, c’est la possibilité d’une vie supportable selon ses propres critères plutôt que selon une norme dictée par autrui ». Ici réside l’autre intérêt de ce livre : proposer une résistance à ces normes, à ces pratiques. « La santé mentale standardisée se nourrit des statistiques là où une autre psychiatrie se nourrit d’expériences, de savoir-faire, de ficelles du métier, de monographie et d’histoire », rappelle ce psychiatre. On peut aussi choisir d’autres critères d’évaluation d’un traitement : les avis des familles, des usagers, de tous les professionnels qui interviennent. Mais cela nécessite de sortir du cadre et des protocoles standardisés, et d’écouter.
Mathieu Bellahsen, La Santé mentale – Vers un bonheur sous contrôle. Préface de Jean Oury. 186 pages, 13 euros. Éditions La Fabrique.
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