Crise de la psychologie et devenir de la psychologie clinique.
P.-A. Raoult
Cet article révèle sans doute les racines de ce qui advient aux psychologues et leurs pratiques, article à relire
Pratiques psychologiques Volume 12, numéro 4 pages 483-500 (décembre 2006) Doi : 10.1016/j.prps.2006.07.002 Crise de la psychologie et devenir de la psychologie clinique Crisis of psychology and to become psychology clinic P.-A. Raoult a, b a Maître de conférences en psychologie clinique et pathologique, Centre de recherches en psychopathologie et psychologie clinique, IUFM de Chambéry, 49, rue des Fleurs, 73000 Chambéry, France b Université Lyon-II, France Résumé Le champ de la psychologie est traversé par un ensemble de lignes de ruptures qui l’instaure en situation de crise structurelle. Cette crise trouve son accentuation dans un contexte dans lequel se creusent les clivages. De ceux-ci, nous en retiendront quelques uns dont : 1) la dissociation entre la psychologie comme savoir, la psychologie comme exercice et la psychologie comme métier et profession ; 2) les dissociations entre les psychologies cognitive et clinique, entre la psychologie clinique et la psychanalyse, entre les modèles théoriques et les pratiques cliniques ; 3) les dissociations entre la nomination et le titre, entre le statut et les responsabilités, entre l’autonomie professionnelle et la soumission hiérarchique ; 4) les dissociations entre professionnalisation et formation universitaire, entre formation clinique et responsabilités cliniques ; 5) les dissociations entre transmission de savoir et transmission d’une identité professionnelle, entre le profil des enseignants recrutés et les nécessités d’une formation professionnalisante. En regard de ce contexte, diverses propositions sont avancées relatives à la constitution d’un corps d’enseignants praticiens, à la mise en place d’un clinicat débouchant sur un doctorat d’exercice, à la mise en place d’une organisation unitaire, à la préséance des professionnels dans la délivrance du droit d’exercice professionnel. Mots clés : Psychologie clinique, Université, Profession, Psychothérapie, Sciences cognitives, Psychanalyse Le champ de la psychologie est un espace vaste et conflictuel qui peine à trouver sa place dans le champ social. La psychologie clinique a trouvé une forte expansion au cours des années soixante-dix, s’insérant dans les diverses structures éducatives et soignantes en développement à cette époque et assurant une reconnaissance de la psychologie au plan social. Fortement étayée sur la psychanalyse, elle a produit un ensemble de praticiens qui ont donné consistance à la profession. Cependant, durant les années 1990, on a pu constater deux mouvements contradictoires : d’une part le déploiement d’un discours médiatique autour de la psychologie, dans ses aspects cliniques et humanistes, dont les psychologues ont été en grande part exclus au profit des psychiatres devenus représentants de la psychologie, d’autre part l’émergence d’autres orientations théoriques, volontiers référencées au discours scientifique et répondant au principe d’efficacité politiquement valorisé. Ce mouvement a été perceptible en milieu universitaire laissant craindre à certains la marginalisation de la psychologie clinique (Raoult, 2004) dans une dynamique contradictoire avec l’exigence de professionnalisation et en rupture avec la demande sociale. On peut dès lors se poser la question du devenir de la psychologie clinique à la fois dans l’espace formatif, mais aussi dans son insertion socioprofessionnelle. On peut s’interroger sur les transformations de la psychologie clinique référencée à la psychanalyse en cliniques psychologiques d’orientations théoriques multiples. On se retrouve dès lors avec les questions que soulevait D. Lagache au moment de l’instauration de la psychologie clinique, sauf que les termes du débat et les rapports de force en place se sont notablement modifiés. Lors des Journées de décembre 2003 sur la psychologie clinique à Chambéry nous avions questionné les aspects structurels, épistémologiques, cliniques et formatifs de la psychologie (Raoult, 2005), nous en avions exploré quelques aspects prospectifs. De ces questions, nous garderons quatre grandes thématiques : les rapports entre psychologie de la santé et psychologie clinique, ceux avec la pratique expertale, la formation clinique des psychologues et le souci éthique inhérent à toute praxis psychologique. Une revue des problématiques précédera ces interventions. Le champ de la psychologie pourrait se définir comme une suite de difficultés qui rendent délicates sa constitution même tant au plan professionnel qu’au plan de la recherche. J’en soulignerai juste quelques dimensions pour mettre en avant une situation de crise que traverse actuellement la psychologie (CIR, 2002), crise dont le dénouement est lié à la capacité des psychologues à prendre position dans le débat public et à dépasser, au-delà des intérêts immédiats et des narcissismes exacerbés, les conflits structurels, historiques, idéologiques et institutionnels. Crise d’ordres intellectuel, culturel et scientifique (Jalley et Tapia, 2004) crise interne à l’espace universitaire, comme s’exclamait P. Fraisse en 1976, sont les thématiques qui traversent l’espace de la psychologie (Samacher, 1989-1990a ; Andrey, 1978) et traduisent des points de conflictualité. Les revues de psychologie (Bulletin de psychologie, Pratiques Psychologiques , etc.) ont consacré plusieurs numéros à la dynamique de ses problématiques (Pithon, 1992). La question actuelle est probablement celle d’une nouvelle organisation, de nouvelles relations, d’une modification nécessaire du champ des psychologies et des rapports entre ses diverses composantes. Haut de page Construction historique des clivages Les clivages multiples qui traversent la psychologie sont, en grande partie, issus de l’histoire de sa construction. Trois oppositions principales sont soulignées : celle entre la psychologie expérimentale et la psychologie clinique, celle entre la posture scientifique et la posture praticienne, celle entre la formation et l’insertion professionnelle. Ces clivages ont favorisé les stratégies d’empiétement par les autres corporations et ont singulièrement affaibli les psychologues dans leurs rapports avec le champ psychiatrique. Ils ne leur ont pas permis de construire un territoire professionnel autonome (Paicheler, 1992). Le dépassement possible de ses clivages s’avère d’autant plus délicat en raison de la répugnance des psychologues à se pencher sur leur passé pour en relire l’inscription, le déploiement et son dévoilement (Paicheler, 1992). Cette élaboration d’une histoire de la psychologie, proposée par le Groupe d’études pluridisciplinaires d’histoire de la psychologie autour de G. Plas (Carroy, 1991 ; Plas, 2000), J. Carroy (Carroy et Ohayon, 1999), A. Ohayon, J.-P. Pétard (Pétard, 1999), etc. ou encore S. Nicolas (Nicolas, 2001, Nicolas, 2002a, Nicolas, 2002b, Nicolas, 2003a et Nicolas, 2003b) et quelques autres auteurs (Pewzner et Braunstein, 1999 ; Parot et Richelle, 1992 ; Samacher, 1993), permettrait non seulement de limiter les passions à l’oeuvre dans les conflits intra-/interdisciplinaires, mais aussi de saisir les enjeux des discords actuels. Le travail historique suppose une mise au travail des lignes de force épistémologiques qui viennent éclairer les continuités et ruptures. Cela suppose d’opérer la conjonction entre un lieu, une époque, l’existence de réseaux et de politiques et la professionnalisation d’une discipline (Carroy et al., 2006). Ce travail à propos de la psychologie clinique a été mis en exergue par A. Ohayon s’interrogeant sur le « rapport obsédant des psychologues à la psychanalyse » à partir d’une question d’identité professionnelle (Ohayon, 1999). Une approche généalogique des concepts, telle qu’a pu la développer P. Bercherie (Bercherie, 1980), serait tout autant nécessaire qu’une histoire des praxis psychologiques et de leurs modes d’inscription institutionnelle. Car après les praticiens psychologues formés par des universitaires en vue de l’application de théories et techniques élaborées dans les laboratoires (Guillec, 1993), au-delà de l’institutionnalisation de la psychologie clinique en regard de savoirs disparates et des références épistémiques hétérogènes revendiquant dès lors une autonomie disciplinaire et facultataire (Prévost, 1988), il demeure à saisir les modalités concrètes d’insertion des psychologues dans les institutions et le champ social. Le constat reste de l’impossibilité à défendre sa propre identité professionnelle qui caractérise la psychologie (Guillec, 1991-1992) et la carence d’études pratiques et opérationnelles sur le métier. On remarque une faible analyse et organisation des tâches du psychologue, l’absence de détermination de critères de compétence, le défaut de l’organisation du marché de l’emploi. La démarcation sociale de la profession, reconnaissance et différenciation, n’étant guère effectuée, elle rend compte des problèmes de délimitation rencontrés sur le terrain entraînant de fortes incertitudes statutaires et surtout fonctionnelles (Pithon, 1991-1992a). Une grande part des conflictualités qui traversent, voire nourrissent le champ de la psychologie sont d’ordre épistémologique, historique et institutionnelle. N’ayant pas trouvé un appui légal suffisant (Pithon, 1991-1992b) (ce que l’amendement Accoyer, la proposition Mattéi et l’amendement Dubernard réitèrent), la psychologie se trouve dans la position d’être très convoitée et aisément pillée tout en étant un métier déprécié (Pithon, 1991-1992c). Producteurs de savoirs et de connaissances, les psychologues sont dans l’incapacité de protéger leur exercice et de défendre la spécificité de leurs praxis, dès lors appropriées par les professions limitrophes (psychiatres, infirmiers, éducateurs, assistants sociaux, instituteurs, etc.) [Ghiglione, 1998]. On trouve là un premier registre de dissociation entre la psychologie comme savoir, la psychologie comme exercice et la psychologie comme métier et profession. Haut de page Émergence polémique de la clinique Le terme de clinique, polysémique, s’est avéré source de discordes, venant invalider la dénomination de psychologue praticien consacré par Piéron en 1963, ravivant les conflits territoriaux en milieu universitaire. Il prenait valeur symbolique d’autonomisation à l’égard du corps des médecins (Pithon, 1991-1992c) ce qui n’était pas sans provoquer une forte opposition du corps médical (G. Heuyer). La légitimité de la pédopsychiatrie tient, pour part, à cette minoration de la psychologie clinique émergente qui est vécue comme une potentielle concurrente. Différenciateur au sein du monde de la psychologie, déclencheur de désaccords profonds, le terme de clinique a été le promoteur de la psychologie dans le champ social (Garcin, 1997). Sa définition est cependant demeurée délicate, qu’on la réfère à Witmer, 1907 et la différencie d’une psychologie appliquée et d’une psychologie pratique (Guillaumin, 1968), ou qu’on l’origine dans la philosophie de Maine de Biran pour se poursuivre, au travers de T. Ribot, avec P. Janet, H. Wallon et D. Lagache (Samacher, 1989-1990a). Le récent ouvrage de R. Plas, A. Ohayon et J. Carroy, 2006, reconstruit de manière claire les jeux de filiation et situe la psychologie clinique, dans son émergence, comme un modèle intégratif. L’expression de clinique subira une forte inflexion, notablement perceptible avec D. Anzieu et J. Laplanche, en créant l’appartenance à la psychanalyse. Cette inflexion radicalisera l’opposition entre l’expérimental et la clinique, elle nourrira la fracture entre le monde universitaire à dominante expérimentaliste et le monde praticien à dominante clinique. Elle n’empêchera pas la dévalorisation de la psychologie par la psychanalyse (Lacan, 1953-1966 ; Prévost, 1994, Prévost, 1996, malgré la complexité de leur lien : Schopp, 1988 ; Assoun, 1997 ; Roudinesco, 1999 ; Schmid-Kitsikis, 1999 ; Lambotte, 1995 ; Séchaud, 1999 ; Mellier, 2003). « Ainsi, la psychanalyse est-elle la seule doctrine psychologique de la fin du XXI siècle à avoir associé une philosophie de la liberté à une théorie du psychisme » rappelle Roudinesco, 1999. Le conflit avec la psychologie expérimentaliste, principalement cognitiviste, tourne autour de la notion de scientificité (Matalon, 1995 ; Paicheler, 1992), considérée par les cliniciens comme une forme de fourvoiement (Guillaumin, 1968). Le récent rapport de l’Inserm (Expertise Collective, 2004) sur l’efficacité des psychothérapies a notablement ravivé le conflit dans des polémiques idéologiques et territoriales qui n’ont pas toujours laissé place aux discussions méthodologiques et épistémologiques (Fischman, 2005). La psychologie clinique ne peut se résoudre à une définition classique de la discipline par son objet, son domaine et sa méthode. L’objet clinique ne répond pas aux principes d’identité et de non-contradiction, soit à la rationalité totale de l’objet : d’une part, c’est un objet complexe ni ordonnable ni mesurable, d’autre part, il n’est pas un observable parfait. L’objet clinique conserve une irrationalité qui ne lui confère pas une existence discrète répondant au critère de l’instauration scientifique (Guillaumin, 1968 ; Dör, 1988). La subjectivité et les particularités intersubjectives de la situation psychologique (Guillaumin, 1968) demeurent centrales en tant que facteurs déterminants de la psychologie, faisant de la psychologie clinique l’élément nucléaire du champ (Guillaumin, 1968). S’il s’agit de maintenir l’irréductibilité de l’incidence subjective, invalidée par le discours scientifique, il demeure une ouverture aux modèles théoriques, en tenant compte de leurs régionalités épistémologiques (Fua, 1997b ; Bourguignon et Bydlowski, 1995). Cependant, le rapport à la psychanalyse se révèle peu serein (Jalley, 1998), paradoxal (Sauret et Alberti, 1994), conçu sur le mode d’une « dépendance anaclitique » (Pédinielli, 1994), nécessitant un travail de clarification (Pédinielli, 1994 ; Le Malefan, 1999 et Le Malefan, 2000a), alors que le rapport à la psychologie cognitive décrit une violence en oeuvre renvoyée à la désubjectivation du lien social (Péruchon, 2003 ; Lecourt, 2003 ; Mellier, 2003 ; Tennebaum, 2003). Est alors évoqué un totalitarisme idéologique et méthodologique visant à l’éviction de la psychologie clinique de l’université. Cette crainte est accentuée par l’émergence de cliniques psychologiques inspirées des psychologies objectivistes. On pressent dès lors combien le quotidien des institutions devient le théâtre de conflits : conflits historiques et épistémologiques se dégradant en conflits territoriaux et interpersonnels. On comprend aussi le désarroi des praticiens en proie à des conflits d’idéalité, soumis à des pressions idéologiques, désignés sur un mode disqualificatoire de ne jamais répondre aux normes des modèles dominants. « Dans ce paysage intellectuel et institutionnel, l’unité de la psychologie devient problématique en un sens nouveau » (Carroy et al., 2006) et la cohérence de la praxis devient d’une complexité paradoxale. Car le clinicien sur le terrain est bien en peine pour clairement définir son objet (Mietkiewicz et Bouyer, 1999 et Mietkiewicz et Bouyer, 2003) aux prises aux multiples figures de la praxis (Samacher, 1999). La psychologie clinique disjoint le champ professionnel d’un modèle théorique prévalant et laisse ouverture à une extension des praxis. Elle est la rencontre « des réalités psychiques en prise avec le plus réel de notre société : le lien entre l’économique et la mort » (Douville, 2003), elle est aussi en prise avec la violence, la folie au travers d’une dynamique relationnelle dans laquelle le clinicien invente des dispositifs à symboliser. Sa préoccupation, comme celle de l’étudiant en voie de professionnalisation, est la congruence entre l’élaboration théorique et la perlaboration psychique (Ciccone, 2003). Elle est la quête d’une cohérence impossible entre des réalités psychiques et des modèles théoriques ou méthodes toujours réductrices. Son attente est celle d’un enseignant possédant une réelle expérience clinique (Bertrand et al., 2003) qui assure de travailler ces articulations. On pressent combien de nouvelles dissociations entre psychologie cognitive et scientifique et psychologie clinique, entre psychologie clinique et psychanalyse, entre modèles théoriques et pratiques cliniques viennent travailler le champ. On voit aussi pointer un changement soit le passage de la psychologie clinique à des cliniques psychologiques. Haut de page Marginalisation des psychologues et diffusion de la psychologie La préséance des clivages dans le champ a donc entravé la démarcation et la délimitation de la profession, incitant d’autres corporations à empiéter et s’approprier la praxis psychologique. Les conséquences sont non seulement le fait que nombre d’autres professionnels revendiquent et exercent des pratiques psychologiques, mais c’est aussi l’impact négatif de l’exercice de la pratique. C’est d’abord dans l’autonomination qu’on a pu en voir les premiers effets, d’aucuns s’affichant psychanalystes, et aujourd’hui cognitivistes ou neuropsychologues plutôt que psychologues, conjointement à une fétichisation de leur modèle théorique devenu expression identitaire et formulation idéologique. La stigmatisation des origines nourrit un clivage de l’identité professionnel, un vécu paradoxal de son identité et un positionnement statutaire contradictoire. Cette idéalisation d’un modèle n’était pas sans réaliser une fuite devant la misère du statut de psychologue (Clément, 1985), renforcée par son incapacité à assumer des positions de pouvoir et responsabilités (Dolto, 1984 ; Georges, 1990). Sans responsabilité institutionnelle, dépendant des décisions administratives ou médicales, s’illusionnant dans la position « d’expert excentré », ce leurre révélant la faillite éthique du psychologue, les psychologues ne venaient occuper qu’une place dérisoire (Raymond et Defives, 1982) et n’exerçaient que dans des conditions indignes de leur fonction et de leur mission (Navelet et Guérin- Carrnelle, 1997). Pourtant l’intégration des psychologues en de nouveaux domaines, l’autonomisation croissante, la professionnalisation a souvent été mise en avant ; ces avancées n’en masquent pas moins des problèmes récurrents. La soumission hiérarchique des psychologues a souvent été signalée, que ce soit sur le mode d’une paramédicalisation (Apfeldorfer, 1977 ; Paicheler, 1992 ; Samacher, 1993 ; Bereni-Marzouk et al., 1997 ; Navelet et Guérin-Carrnelle, 1997), que ce soit sous forme d’assujettissement au monde universitaire (Guillec, 1993), que ce soit sous la forme d’une infériorisation hiérarchique sous l’autorité de chefs de service éducatif ou social et administratif, fort peu compatible avec l’exercice professionnel (Navelet et Guérin-Carrnelle, 1997). Décrits comme insécures, démissionnaires, individualistes, en prise fréquemment avec des situations conflictuelles avec les hiérarchies ou avec les médecins, souvent isolés, pris dans des confusions de rôle et de fonction, alternant entre des attitudes de soumission équivoque et de revendication de partage du pouvoir, subissant des abus de pouvoir, dérivant au plan de la clinique ou de l’éthique en raison de positions institutionnelles difficiles, les psychologues ne parviennent pas toujours à prendre position. Ce malaise est évoqué depuis longtemps (Rauch de Traubenberg, 1968 ; Duflot, 1989-1990), et renvoie l’image d’une grande vulnérabilité. Celle-ci rend compte de nombreuses autres dissociations entre la nomination et le titre, entre le statut et les responsabilités, entre l’autonomie professionnelle et la soumission hiérarchique. Cette vulnérabilité, potentiellement présente pour des motifs structurels, trouve peut-être à se nourrir au décours du processus formatif. Les références théoriques des enseignants, leurs conceptions idéologiques de la fonction du psychologue, la pratique clinique exercée ou inconnue, la méconnaissance éventuelle du travail institutionnel impulsent la posture ultérieure du futur psychologue. Les stages auprès des professionnels, outils qualifiants au coeur du processus de professionnalisation (Caron, 1999) structurent, au-delà de la compétentialisation acquise, la mise en oeuvre des responsabilités cliniques et institutionnelles dans un cadre déontologique. Le stage peut être opérateur de la construction symbolique de la profession ; il conduit à se confronter au réel de la clinique, à réaménager les représentations idéalisantes, à s’immerger dans la configuration institutionnelle dans la mesure où il est suffisamment conséquent, où il suppose l’exercice de responsabilités cliniques et où il procède d’un processus formatif sous la tutelle d’un référent (Caron, 2001). Wieder, 2003 désigne, au travers de l’exemple de la Tavistock Clinic , les attentes d’une formation clinique et les modalités adéquates. Elle énonce d’ailleurs la problématique formative sous-jacente : « Pour formuler le problème pédagogique d’une autre façon, si le but pédagogique est de produire des individus qui seront avant tout des cliniciens « de terrain », s’efforçant d’améliorer les souffrances de sujets en demande plus ou moins explicite, le processus pédagogique et l’individu ainsi formé seront différents de ce qui adviendrait si le projet est de former des individus sans intérêts cliniques mais qui veulent mieux comprendre l’activité psychique ». Or l’on sait les critiques portées à la formation clinique des psychologues en France (Hochmann, 1984 ; Bereni-Marzouk et al., 1997 ; Gely-Nargeot, 1996). On peut évoquer un double discord : d’un côté les praticiens n’ont de cesse de se plaindre des modes d’envoi effectués par l’université, du peu de prise en compte du stage et de l’absence des professionnels dans la validation du diplôme, du mépris supposé ou affiché des universitaires, d’un autre bord les étudiants tout comme les milieux professionnels évoquent l’insuffisance de la formation clinique, la trop courte durée des stages, la carence des réquisits attendus, l’insuffisante responsabilisation exercée, le défaut fréquent d’encadrement. La disparité des situations de formation laisse émerger une distance, une méconnaissance, un désintérêt de certains universitaires et praticiens, alors même que la demande d’une véritable professionnalisation est prégnante (Pithon, 1989-1990 ; Le Malefan, 1999). Il appert trois problèmes récurrents : la conception et les fonctions des stages, les critères de validation des stages, la formation des professionnels et des enseignants. Ce sont donc encore des dissociations qui sont repérées : celle entre professionnalisation et formation universitaire, celle entre stage et validation, celle entre formation clinique et responsabilités cliniques. Haut de page Césure entre universitaires et cliniciens La césure entre universitaires et cliniciens est celle d’une dynamique conflictuelle continuelle entre enseignants et praticiens (G. Pithon), elle est celle des luttes interdisciplinaires en psychologie donnant lieu à des bagarres sordides (Garcin, 1988) et révélant une coexistence difficile entre transmission de savoirs et transmission d’identité professionnelle (Le Malefan, 1999). C’est bien d’un quiproquo entre apprentissage de la recherche et compétentialisation professionnelle que résulte une part du drame (Pithon, 1989-1990), dans lequel les universitaires n’ont pas toujours conscience des enjeux professionnels et dont les étudiants ne sont pas sans pâtir. La logique universitaire ne répond pas d’une logique de professionnalisation, d’autant que la première avec son système de reproduction tend à recruter des enseignants dont beaucoup n’ont jamais exercé et qui se trouvent dans l’impossibilité d’aider les étudiants à s’insérer (Jalley, 2003). D’ailleurs nombreux sont les cliniciens qui s’étonnent des modes de sélection des enseignants en psychologie clinique (Jalley, 2003 ; Brusset, 2003) inadéquats aux nécessités d’une formation professionnalisante. De cet écart, résultent nombre de stratégies d’opposition, de recouvrement, d’appropriation (Brusset, 2003 ; Proïa-Lelouey, 2003) dans un contexte paradoxal : la psychologie clinique est majoritaire dans le domaine des pratiques professionnelles et minoritaires au plan de la structure universitaire (Jalley, 2003 ; Gori, 1985). Et l’université est gestionnaire des cursus d’obtention des diplômes professionnels ! (document Internet non daté, 1998 ?) portera critique au mode de gestion de la psychologie en soulignant l’incohérence qui consiste à rassembler dans une même institution une telle diversité et hétérogénéité de savoirs psychologiques et de pratiques. Il parle d’un contrat stratégique entre expérimentalistes et cliniciens, délétère à tout point de vue. Ces quelques remarques désignent les impasses dans lesquelles vont se trouver les futurs professionnels en les détournant de ce qui est attendu d’eux dans la vie professionnelle. Il y a risque de majoration du décalage entre les enseignants en psychologie et les praticiens, entraînant une rapide disqualification de la profession. Ainsi, Richeboeuf, 1999, souligne l’impasse conservatrice de l’université en opposition aux nécessités de professionnalisation et de la formation pratique. C’est dans ce cadre qu’il faut entendre la promulgation d’un statut d’enseignant-praticien, ou hospitalo-universitaire soutenu par certains (Samacher, 1989-1990c ; Samacher, 2004 ; Le Malefan, 2000b ; Bereni-Marzouk et al., 1997 ; Raoult, 2001, etc.). Pourtant la réforme LMD (licence-master-doctorat), en promulguant la professionnalisation, devrait constituer une base fondamentale pour traiter cet aspect. Cependant, deux points sont soulignés : d’une part, la réforme des cursus s’est effectuée sans de réelles concertations avec les milieux professionnels (comment penser une professionnalisation sans les professionnels ?), d’autre part, le master, ramenant le diplôme de psychologue, a un niveau de second cycle risque d’avoir des conséquences, non pas tant au plan universitaire en raison de l’harmonisation, mais sur celui des champs professionnels. D’aucuns ont déjà porté insistance sur la nécessité d’un niveau doctoral dans le registre de l’assise professionnelle. Institutionnellement, le titre de docteur modifie le registre hiérarchique à partir duquel on s’exprime. Un autre aspect est à souligner. Les masters offriraient une meilleure lisibilité en réduisant la balkanisation délétère des DESS sans pour autant spécifier un domaine de la psychologie. La diversité des spécialisations est peu compréhensible pour les tiers, employeurs ou clients. Si elle correspond à des enjeux universitaires, elle est une dispersion sur le marché du travail. Mais l’attente d’un titre unique sur lequel, viendraient s’adjoindre des spécialisations, risque de tomber sur un écueil face à la logique des champs de recherche. La réorganisation de l’université en appui sur des équipes de recherches suscite deux interrogations : l’appui sur un pôle recherche renforcé ne conduit-il pas à une déprofessionnalisation des équipes de formation, sollicitant d’une part, l’adaptation de la profession aux chercheurs et d’autre part, accentuant la rupture entre les professionnels et les universitaires ? Contrairement à l’intention affichée, le nouveau dispositif ne risque-t-il pas de majorer la dissociation antérieure ? Lecuyer, 2004, en fait l’occasion de remettre les problèmes à plat, en particulier en ce qui concerne la gestion et la régulation des flux des étudiants. Il promeut, dans le cadre de l’harmonisation européenne, une sixième année centrée sur l’exercice et la formation pratique et/ou clinique supervisée. L’harmonisation des formations se conçoit sous le contrôle de la profession par elle-même avec une qualification des cursus et une qualification des personnes. Cette dernière qualification vaudrait pour une période restreinte de sept ans en regard d’un minimum horaire effectué et de la formation continue démontrée. D’autres préconisent le doctorat d’exercice avec un résidanat ou un clinicat permettant d’exercer de réelles responsabilités cliniques. Le constat effectué d’une insuffisance d’encadrement lors de stages de DESS-Master 2, de la trop courte durée des stages, d’étudiants ne possédant pas les prérequis nécessaires à l’entrée en stage, de demandes universitaires inadéquates en termes de mémoire ou de régularités de présence sur le lieu de stage, et de l’insuffisance de jeunes diplômés à l’exercice professionnel favorise le principe d’une formation clinique conséquente. L’idée d’un clinicat est celle d’un exercice encadré avec des responsabilités cliniques, si possible rémunéré ; elle est la condition d’une appropriation véritable de compétences professionnelles qui trouveraient à être validées par des professionnels. Ce dispositif qui nécessite au moins deux années, clôturé par une thèse professionnelle articulée à la pratique, accentuerait la légitimité des praticiens. Elle supposerait des services de psychologie plus visibles et mieux structurés. Le niveau de doctorat, et les effets d’une reconnaissance institutionnelle de la formation, permettraient de se situer autrement dans les rapports entre les corporations, de postuler à des fonctions de responsabilités institutionnelles et de demander d’autres modalités de représentation dans les structures. Le modèle de formation par clinicat ou résidanat peut trouver son inspiration dans la formation médicale. Il est conjoint à la notion d’enseignant-praticien et à celle de validation professionnelle. Et les autres propositions qu’avance R. Lecuyer sont conformes à cette attente. Le principe du doctorat, seul niveau de validation universitaire contrairement à l’idée d’une sixième année, convoque l’exemple nord-américain dans lequel les psychologues occupent d’autres fonctions. S’il y a lieu de trouver des modalités spécifiques au contexte français, ces réponses résultent du constat de l’insuffisance de la formation universitaire. Ainsi, la dissociation entre logique universitaire et logique professionnelle se décline en dissociation entre transmission de savoirs et transmission d’une identité professionnelle, entre le profil d’enseignants recrutés et les nécessités d’une formation professionnalisante, entre la gestion du cursus et le milieu professionnel. Haut de page Fonction et position de la psychologie clinique La psychologie est une activité professionnelle protégée (titre) mais non réglementée, en même temps difficile à définir, sans unité statutaire, sans organisation unitaire, sans conseil disciplinaire, dont l’exercice des techniques est libre d’usage. Les domaines principaux de déploiement ont été la psychologie scolaire, la psychologie du travail et la psychologie clinique, celle-ci s’exerçant dans les milieux de la psychiatrie, du médicosocial, du social, de la protection judiciaire, de la santé, du pénitentiaire, etc. La psychiatrie a été un des points d’appui du développement de la psychologie clinique. Golse, 2002, dans son rapport de la MIRE, n’est pas sans rappeler le mode d’introduction des psychologues en psychiatrie. Elle décrit une insertion problématique pour une profession jeune mal assurée, en recherche de ses paradigmes de pratiques faiblement constituées, plongée dans une structure ancienne et close. Il s’en déduit tout un ensemble de stratégies d’intégration, allant de la marginalisation subie à l’autonomisation, de l’instrumentalisation par le médical à la défense offensive d’un territoire spécifique, de la pratique commandée des tests à la position distanciée institutionnellement de psychothérapeute. Tout d’abord, nous rappelle A. Golse, 2004a, les psychologues n’ont pas la connaissance de la maladie mentale, ni même de l’institution psychiatrique et sont confrontés à un espace qui n’a pas besoin d’eux. Cette dimension institutionnelle se trouve renforcée par l’objet de leur clinique, forgé par D. Lagache, soit la mobilisation requise de la subjectivité, ainsi que par la méthode, l’objectivation permise par le lien subjectif. Ces divers facteurs les mettent en porte-à-faux et sont source de fragilisation. L’évolution de la psychiatrie avec l’apparition du secteur, qui signe le changement des conceptions, la modification des populations prises en charge et la transformation des pratiques, permettra aux psychologues de se trouver plus en phase et de déployer leur présence en psychiatrie. Or cette évolution se poursuivant, la psychiatrie classique se voit défaite au profit d’une politique de santé mentale. Ce nouveau paradigme entraîne une réorganisation de l’institution psychiatrique, une transformation des fonctions des personnels, une prévalence de l’épidémiologie, l’apparition de nouveaux objets centrés sur la souffrance psychique et l’urgence. Les psychologues vont perdre rapidement du terrain, en particulier par la montée en puissance des infirmiers, qui inventent la notion d’« entretien infirmier ». Cela leur permet de s’approprier un nouveau territoire d’exercice, dont une bonne part aurait pu relever et relève de la praxis psychologique. Ainsi, on perçoit que la définition que la psychologie clinique avait pu se constituer en appui sur le secteur psychiatrique se voit en passe de s’adapter à un nouveau paradigme, entraînant des tensions et des incertitudes de l’identité professionnelle (Golse, 2004a et Golse, 2004b). Cette transformation est celle aussi qui se répercute dans l’émergence de nouvelles dénominations, telles celle de la psychologie de la santé ou le retour des techniques évaluatives en appui sur une psychologie cognitiviste. L’instauration de la psychologie clinique en France relève d’un parcours difficile en proie à une série d’oppositions dont celle entre psychologie scientifique et psychologie clinique (Etienne, 2003 et Guillaumin, 1968) qui se démultiplie ces dernières années : psychologie cognitive-psychologie de la santépsychologie clinique. En lutte avec les psychiatres, la psychologie clinique reste toujours menacée de paramédicalisation (Paicheler, 1992), et au-delà les psychologues. Les rapports récents Piel et Roelandt, 2001, Cléry-Melin et al., 2003, Pichot et Allilaire, 2003 montrent la tentation prégnante d’une inféodation des psychologues par certains courants de psychiatres (Sidot, 2004). E. Garcin fait la liste des points incriminés dans le rapport Piel/ Roelandt : contestation des compétences réelles des psychologues, conception très réductrice de leurs fonctions, technicisation de l’activité psychothérapique subordonnée à une prescription médicale, suppression de la répartition du temps de travail, compétence psychothérapique acquise par titre aux psychiatres et médecins généralistes, et par validation aux psychologues, infirmiers, travailleurs sociaux, sociologues, philosophes. C’est à juste titre qu’il peut intituler son article : Le rapport Piel-Roelandt : vers la fin des psychologues ? (Garcin, 2001). C’est aussi en regard de ces orientations que la nécessité d’un doctorat et d’un clinicat peut se justifier. La démarcation sociale de la profession est floue, tout un chacun utilise sans limite les techniques psychologiques. Techniques et savoirs psychologiques cessent d’être spécifiques : tests, méthodes d’entretien, techniques de traitement, modèles théoriques sont en fait plus présents et plus utilisés par des non-psychologues. Plusieurs facteurs sont alors soulignés : absence de protection de l’exercice, absence d’organisation unique, multiplicité de statuts, fragilité de la position sociale, rivalité avec d’autres corporations, position de formateurs des psychologues. L’extension des autres professions vers le psychologique restreint d’autant le champ d’action des psychologues. D’ailleurs dans un rapport d’étape récent Cléry-Mélin, Kovess et Pascal proposent sans hésitation que des professionnels non-psychologues fassent du « conseil psychologique » au sens du counselling déniant délibérément qu’il s’agit d’une spécialité commune des psychologues qui faisait d’ailleurs l’objet d’un DESS à l’université Paris-V il y a quelques années. Ils avalisent ainsi la dissociation entre pratique psychologique, savoir en psychologie et profession de psychologue. Haut de page La psychothérapie hors la psychologie ? Le débat autour de la psychothérapie, entamé lors des procès de C. Baudoin et M. Clark-Williams, relancé avec la polémique autour de l’amendement Accoyer ( ; Psychologues et psychologies, 2004), décrit un autre processus de dissociation et montre les enjeux territoriaux. L’adoption le 9 août 2004 de l’article 52 de la loi 2004-806 relative à la politique de santé publique sur l’usage du titre de psychothérapeute n’a pas apaisé le débat. Ce débat se tient entre plusieurs coordonnées : la réorientation de la psychiatrie en santé mentale au sein d’enjeux socioéconomiques marqués par les questions économiques de rationalisation et de prévention (Fourcher, 2004) ; la montée dans la société civile, depuis les années 1980, d’un fort mouvement de développement personnel inspiré par les théories libérales américaines ; une revendication de pouvoir et de gestion d’une corporation médicopsychiatrique subissant un double revers hiérarchique et démographique ; une demande sociale liée à des souffrances psychiques dans un contexte de désétayage social : l’émergence de courants neuroscientifiques et cognitivistes ayant construits des applications et répondant aux orientations sociétales de standardisation (Kirk et Kutchins, 1992) ; des préoccupations sociopolitiques quant à l’utilisation des techniques d’influence, en particulier d’origine sectaire ; des conceptions psychanalytiques, dissociées des pratiques psychologiques et psychothérapiques, suscitant une approche libérale de la formation et de l’exercice de la psychanalyse ; des psychologues cliniciens ayant acquis, sur le terrain, l’exercice de la psychothérapie au détriment d’autres techniques psychologiques d’entretien tombées dans l’escarcelle d’autres professions. La question de la psychothérapie s’avère un problème complexe, lieu de conflits cruciaux pour l’avenir de certaines corporations et pour l’organisation du champ de la santé mentale et celui du soutien psychosocial. Les psychologues se situent dès lors en position paradoxale. Certains ont dissociés le titre de psychologue de la fonction de psychothérapeute, et plus encore de psychanalyste, d’autres se sont associés avec les courants humanistes malgré les propos d’invalidation du titre de psychologue tenus par les fédérations de ces courants, d’autres réfutent la pertinence de certaines thérapies ne se sentant liés que par une option théorique, non par l’appartenance à un champ professionnel. Or le terme de « psychothérapeutique » lancé par H. Tucke en 1872 décrit au sein d’un rapport intra- et inter-individuel l’action du psychique sur le corps. Il trouve son déploiement dans le terme de « psychothérapie » (Van Renterghem et Van Eeden, 1889) et renvoie à la suggestion dans l’art de guérir. Et comme nous le précise J. Carroy : « Ce qui unit de toute manière les psychothérapies, qu’elles soient classiques ou non, c’est qu’elles se veulent psychologiques, rien que psychologiques (...) » (Carroy, 2000). Leur évolution conduit à l’épuration de toute suggestion, à l’exemple de la psychanalyse. La diversité des psychothérapies, dans leurs filiations et ruptures, ne laisse pas moins une définition large émergée : des moyens psychologiques dans une visée thérapeutique (Marc, 2000). Des paradigmes hétérogènes inspirent ces psychothérapies rendant problématique la cohérence épistémologique. Cependant, deux interrogations surgissent : d’une part, les psychologues s’attachent à un paradigme donné dans une confusion de type logique entre un champ professionnel et une appartenance conceptuelle, d’autre part, en raison de cette collusion, ils ne sont pas en mesure de construire une position explicite sur l’intégration de ces psychothérapies dans l’ensemble de leur exercice professionnel. Au fond, les psychologues ne peuvent s’avancer au titre de la profession, ce qui se voit renforcer par l’absence d’unité fédérative ou organisationnelle, représentative du corps professionnel (Dumarque, 2001). Pourtant, à côté des investigations et évaluations psychologiques, à côté des formes multiples de suivis psychologiques, à côté des diverses interventions institutionnelles, les psychologues avaient acquis, sur le terrain, la reconnaissance d’une fonction de psychothérapeute avec des orientations fort diverses. Or la carence de défense unitaire du champ risque, avec l’introduction du titre de psychothérapeute, de conduire à l’implosion de la psychologie. D’une part, l’exercice de la psychologie pourrait se voir amputer de cette fonction de psychothérapeute, d’autre part, la demande formative tendrait à se déplacer vers la psychothérapie au détriment d’une psychologie devenue exsangue. Dans son intervention sur le rapport d’étape sur les psychothérapies, O. Bourguignon montre les débats contradictoires entre les modes de formation nécessaires (universitaires, post-universitaires, extrauniversitaires, spécialisation), alors que dans le cadre de l’exercice la reconnaissance de la fonction psychothérapique comme l’une des fonctions du psychologue est soulignée. Il est rappelé que l’existence d’un titre de psychothérapeute enlèverait toute une partie du travail effectué par les psychologues. Les recommandations de l’EFPPA (European Federation for Professional Psychologists Associations) sont utilement rappelées (Grosbois, 2001). Haut de page Cliniques psychologiques ou psychologie clinique ? La psychanalyse est devenue, pour suivre la formulation de D. Anzieu, un référent théorique, un modèle épistémologique, le paradigme d’une situation clinique, non sans paradoxalité (Jalley, 1998). Ce rapport s’est défini comme tangentiel (Sauret et Alberti, 1994), laissant les cliniciens dans une incertitude identitaire. Cette « dépendance anaclitique » (Pédinielli, 1994), permettant l’exportation de conceptions des entités pathologiques issues de l’expérience analytique, a favorisé l’inscription socioprofessionnelle de la psychologie clinique. L’émergence (ou le retour) de pratiques, dont les références s’appuient sur d’autres paradigmes considérés comme validés (psychologie de la santé, psychologie clinique cognitive), a troublé la lisibilité de la profession, fragilisé le rapport aux employeurs, a entraîné, principalement en milieu universitaire, de fortes rivalités. Cette modification sollicite tout un ensemble de questionnements : celui de la place de la psychanalyse (Pédinielli, 1994), celui des références de la psychologie (Le Malefan, 1999), celui des liens entre les divers courants de psychologie, celui de la formation, celui de l’exercice du psychologue. Ainsi, la formation au métier de psychologue praticien ne peut donc plus se penser dans un rapport direct avec la psychanalyse. Mais du lien fondateur à la psychanalyse l’on tend à passer à de nouvelles inféodations, promouvant, au titre d’une conception singulière de la scientificité, une certaine désubjectivation. Les conflits territoriaux intra-universitaires conduisent à des stratégies de substitution visant, parfois, à éradiquer le courant clinique d’orientation psychodynamique (Bertrand et al., 2003). À la diversité des références, inaugurées par D. Lagache, pourtant fréquemment revendiquée dans la formation des cliniciens (Fua, 1997a), l’on tend à une vision monothétique de la psychologie. Il s’ensuit une élimination de la démarche du psychologue, définie comme une approche globale centrée sur la personne dans une situation relationnelle et supposant un processus d’identification du psychologue à la personne concernée et à son environnement. Or, la psychologie clinique est d’abord un ensemble de praxis qui s’informent d’une multiplicité de champs théoriques, d’une diversité de théories psychologiques Raoult, 2001 et Raoult, 2004. Le clinicien se doit d’avoir à se confronter non seulement à une complexité des situations cliniques, mais aussi à une position explicite quant à la construction de ses références (Samacher, 1989-1990b). Par ailleurs, un praticien, fut-il neuropsychologue ou comportementaliste, ne peut s’extraire de la question relationnelle. Une telle dimension est d’abord déontologique, et ensuite éthique en tant que le psychologue ne peut se résoudre à promouvoir le pragmatisme, l’utilitarisme et l’immédiateté (Péruchon, 2003) pas plus qu’une rationalité intellectualisante coupée du registre affectif (Lecourt, 2003). La pratique clinique ne se réduit pas à une technique (Mellier, 2003). Le psychologue, quel que soit son orientation, n’étaye pas son intervention sur le déni de la souffrance psychique (Tennebaum, 2003). Le débat n’est-il pas mal formulé ? Les scissions mises en avant relèvent plus des conflits territoriaux historiquement constitués que de la raison pratique. Elles entraînent surtout la tentation de s’individualiser et de se professionnaliser dans une opposition directe avec la psychologie clinique d’orientation psychanalytique jugée trop subjectiviste. Ainsi, les revendications des courants cognitivistes, comportementalistes et neuropsychologiques peuvent surprendre le clinicien qui a pu avoir l’occasion de les mettre en oeuvre dans le cadre des rééducations ou des examens psychologiques, qui a pu les voir se développer dans le champ du handicap. Il n’y avait pas incompatibilité avec l’orientation psychanalytique mais complémentarité effective. Ainsi, la récente apparition de la psychologie de la santé d’orientation cognitivocomportementaliste centrée sur la promotion et le maintien de la santé, la prévention et le traitement de la maladie, l’identification des corrélats étiologiques de la maladie, dans une orientation objectivoquantitative, constate ne pas pouvoir se passer d’une orientation subjectivoconstructiviste (Santiago-Delefosse, 2003). D. Lagache incluait déjà ce qu’il nommait la psychologie médicale dans la psychologie clinique. Des psychologues cliniciens interviennent depuis longtemps dans le cadre de services médicaux non psychiatriques. Dans son intervention lors du colloque de Chambéry, M. Charavel, 2003, psychologue de la santé, en questionnant la place de l’homme face aux nouvelles technologies, en s’interrogeant sur l’éprouvé du sujet face à une expérience incompréhensible, nous situe effectivement dans une problématique classique de la psychologie clinique. Il est peut-être dangereux d’inventer de nouveaux titres professionnels pour des praxis qui se recouvrent. Il s’agit bien de créer un nouvel équilibre tout en conservant une cohérence dans le titre. D’ailleurs les masters sciences humaines et sociales, mention psychologie définissent trois spécialités (Siksou, 2004) : psychologie du travail, psychologie de l’enfance et de l’adolescence, psychologie clinique. Elles invitent à penser une psychologie clinique plutôt que des cliniques psychologiques. Elles supposent que soit largement maintenue une transmission de la pratique de l’écoute. Et le débat autour des psychothérapies en accentue la priorité. Haut de page Questions éthiques La profession suppose des engagements au niveau éthique et déontologique (Le Malefan, 1999). Elle nécessite, conjointement au savoir et au savoirfaire, un savoir-être articulé aux questions éthiques (Bourguignon, 2003). La première apparition de la déontologie est due, selon O. Bourguignon, à l’Association professionnelle des psychotechniciens en 1958, avant que ne s’élabore par la Société française de psychologie un premier code en mai 1961. Puis en 1987, l’Association nationale des psychologues (ANOP) propose un nouveau code de 30 articles, le Syndicat national des psychologues se penche sur la question en 1988. Devant l’évolution de la demande sociale et des pratiques, et suite à la loi de 1985, un groupe de concertation à l’initiative d’O. Bourguignon, réunissant des représentants de l’AEPU, l’ANOP et de la SFP se propose de réactualiser le code de déontologie. Après une longue procédure un nouveau code de déontologie a été adopté en 1996. La création d’une Commission nationale consultative de déontologie des psychologues a été instituée en juin 1997, ainsi qu’une Commission interorganisationnelle représentative. Le dispositif nécessaire que réalise la déontologie (ensemble de règles et de devoirs) s’appuie sur des engagements éthiques (choix concret et principes auxquels la conduite peut se référer) que rappelle O. Douville : demeurer attentif aux processus de subjectivation, dégager le dispositif et l’éthique de la démarche clinique du psychologue clinicien des postulats des sciences de la nature, refuser la réduction du sujet aux catégorisations et aux nosographies préalables (Douville, 1998). Cela implique une position spécifique dans le rapport institutionnel ; cela implique que les problématiques éthiques passent au sein des méthodes employées. O. Bourguignon pose comme conditions de l’éthique (respect, liberté, justice) et articule l’intervention psychologique autour de quelques axes : la présence et l’écoute, l’économie de parole, l’alliance de travail. Elle précise dans le texte le savoirêtre comme tentative de compréhension de sa propre action dans le respect de la personne. La garantie de l’éthique (et plus encore du code de déontologie) pose le problème de sa légalisation (Lyon-Caen, 2000) ainsi que d’une instance ordinale (Samacher, 1998). Elle porte question à l’absence de protection de l’exercice de la psychologie et à l’utilisation des savoirs psychologiques par les non-psychologues (Pédinielli et Rouvier, 2000). Inscrire légalement le psychologue et son code de déontologie apparaît comme une nécessité conjointe à la mise en place d’une structure représentative unique à laquelle tout psychologue aurait obligation d’adhérer pour exercer. Cette structure pourrait à ce titre garantir ce cadre déontologique et éthique. Cette structure organisationnelle unique, hormis les exemples européens auxquels faire référence, répond a minima d’une logique politique et stratégique évidente. Une telle organisation professionnelle pourrait acquérir une puissance politique et aurait les moyens de soutenir une véritable représentativité. La multiplicité des associations, syndicats ou autres sociétés n’ont guère pouvoir de représentation et ne possèdent parfois qu’une représentativité fictive. L’échec fédératif nous rappelle l’incapacité de la profession à se structurer. Cette organisation nécessaire n’aurait pas fonction de résoudre toutes les questions, mais de dégager, par un jeu plus démocratique, des orientations dominantes. Il ne s’agit pas d’éviter les conflictualités mais de leur donner un cadre à la fois législatif, déontologique et politique. Elle ne serait pas suffisante à résoudre les problèmes épistémologiques et conceptuels, mais elle pourrait définir un cadre d’exercice et de formation. Elle permettrait de délimiter plus efficacement le champ des pratiques psychologiques. Elle assurerait une prévalence professionnelle. On peut dire que, d’une certaine manière, la psychologie en France est demeurée universitaire, conceptuelle, idéologique et éparpillée. Ces remarques, initiées par un parcours de clinicien, devraient concerner aussi bien les psychologues du travail et ceux de l’éducation. Les conditions d’exercice, les problèmes déontologiques sont similaires ; les modalités de formation rencontrent des questions identiques. Haut de page Conclusion La psychologie se trouve devoir traiter un ensemble de dissociations qui viennent à rendre opaque sa fonction sociale et l’exercice professionnel. Il lui faut élaborer et dépasser un certain nombre de conflits à partir de leur constitution historique et des significations prises. Elle engage un remaniement structurel tant au plan de l’organisation de la profession que du fonctionnement universitaire. Elle pourrait réfléchir, en lieu et place d’un diplôme de second cycle éventuellement prolongé d’un an, à la réalisation d’un doctorat d’exercice permettant un réel clinicat et une spécialisation pertinente. Une telle orientation assurerait d’une articulation, d’une interpénétration entre le monde universitaire et le monde professionnel ; elle construirait une implication de la recherche dans les praxis et une pénétration des recherches sur le terrain ouvrant à une véritable formation continue ; elle s’appuierait sur des enseignants-praticiens possédant un statut de mode hospitalouniversitaire. Ceux-ci posséderaient un réel parcours de cliniciens, ou de praticiens engagés institutionnellement, complémentaire à celui des fondamentalistes. On pourrait penser aussi des Instituts de recherche en psychologie indépendants de l’université assurant des débouchés professionnels aux jeunes chercheurs. Un doctorat ne serait pas sans effet sur l’inscription statutaire des psychologues au plan professionnel. Il favoriserait clairement la possibilité de la responsabilité de services de psychologie et d’institutions. Cela renforcerait la position statutaire des psychologues au lieu de les laisser en proie à une grande vulnérabilité. Ce renforcement devrait trouver appui sur une organisation unitaire forte capable de défendre l’exercice professionnel des psychologues. Ces orientations supposent d’aller au-delà des conflits liés aux régionalités épistémologiques, aux luttes d’appropriation de territoires ou de postes, aux narcissismes des petites différences. Dans un contexte de mutation sociétale, il y a urgence pour la psychologie de ne pas se retrouver condamnée à mort par contumace et se retrouver entre parenthèses (Raymond, 2005 et Raymond, 2003) en raison de ses disputes fratricides. Haut de page Références Andrey, 1978 Andrey B. Quelle psychologie, pour quoi ? Pour quels psychologues ? Psychologie française 1978 ; 23 (1) : 69-75 Apfeldorfer, 1977 Apfeldorfer G. L’équipe thérapeutique en psychiatrie courante Connexions 1977 ; 22 : 97-114 Assoun, 1997 Assoun P.L. 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