On a vu "En thérapie" avec le psychiatre Serge Hefez.Par Ophélie Ostermann • Le 11 février 2021

Parce que ce sont peut-être les psys qui en parlent le mieux, nous avons demandé au psychiatre et psychanalyste Serge Hefez son avis sur la série En thérapie. 35 épisodes crédibles, percutants, finement interprétés, qui pourraient bien permettre de démocratiser la psychothérapie, selon lui.

Lui non plus n’aura pas échappé au succès de la série En thérapie (1) d’Eric Toledano et Olivier Nakache, bien au contraire. Après avoir vu le premier des 35 épisodes de 26 minutes chacun, le psychiatre et psychanalyste Serge Hefez a été « pris dedans », et a dévoré le reste, suivant l’analyse et les confessions des cinq personnages joués par Reda Kateb, Clémence Poésy, Pio Marmaï, Mélanie Thierry et Céleste Brunnquell. Un visionnage « très jubilatoire », dit-il. Jubilatoire car proche de son quotidien, de ce qui se joue dans son propre cabinet depuis 40 ans.

C’est d’ailleurs une des questions que l’on peut se poser quand on est étranger à la psychothérapie : ça ressemble donc à ça, une séance avec un(e) psy ? On s’allonge sur un divan ? On contredit franchement son thérapeute ? Celles et ceux plus familiers s’interrogent sur ce que les professionnels de la santé mentale peuvent bien penser de la série. Quel effet cela fait, en tant que thérapeute, de changer de fauteuil, d’opter pour celui positionné devant sa télévision ou son ordinateur et d’écouter des patients qui ne sont pas les siens ? Réponses.

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Madame Figaro.- La série reflète-t-elle la réalité d’une consultation psy ?
Serge Hefez.- Oui et non. À mon sens, ça reflète l’essence de ce qu’est une consultation, à savoir l’implication émotionnelle, sensorielle du thérapeute, le fait qu’il s’utilise comme instrument pour soigner les gens. On voit aussi à quel point le rapport thérapeute/ patient n’est pas médical, neutre, mais affectif. Ceci étant, on est dans une fiction, donc on a besoin de suspens, de rebondissements. Or dans la réalité il y a de nombreuses séances qui seraient ennuyeuses, par exemple. Mais le plus important selon moi, reste que l’éthique même de la psychothérapie soit correctement montrée.

Dans la série, le psychiatre joué par Frédéric Pierrot, rebondit toujours avec le bon mot, la bonne expression, la bonne formule, à l’écoute des récits et des confidences du patient. Les psys sont-ils toujours si « justes » ?
Je ne dirais pas qu’il répond toujours correctement, au contraire, on voit qu’il tâtonne, il cherche, se trompe parfois. D’ailleurs, l’autre petit défaut de la série porte sur le fait que le psychiatre est très explicatif sur le plan théorique, c’est un peu « le petit Lacan illustré », il y a une volonté pédagogique. Les psys sont animés par des théories mais n’expliquent pas. On voit aussi qu’avec certains patients, c’est un match de boxe qui se joue, plus que ça ne l’est dans la réalité. La plupart sont combatifs mais plutôt pour maintenir une tension tout au long de la série. Dans notre pratique, il y a bien sûr des résistances des patients et certains nous renvoient dans nos cordes par moment, mais ils viennent quand même déposer leurs armes dans notre cabinet, ils font confiance.

En vidéo, la bande-annonce d’"En thérapie"
"En Thérapie", la bande-annonce
"En Thérapie", une série de Eric Toledano, Olivier Nakache, Laetitia Gonzalez, avec Frédéric Pierrot, Carole Bouquet, Mélanie Thierry. À voir sur Arte à partir du 4 février.
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On voit que la vie personnelle, notamment conjugale du psychiatre est impactée par sa vie professionnelle, et inversement. Comment se protège-t-on ? Comment garde-t-on une frontière ?
C’est bien là toute la difficulté de l’exercice. Comme on s’utilise comme instrument, ce qu’on appelle le contre-transfert, on est toujours sur le fil, on se met en péril. On se sert de nos propres expériences pour les transformer, les faire résonner avec le patient. Si l’on vit soi-même un conflit conjugal, ça résonnera. Le patient fait surgir des émotions, des sensations chez le thérapeute. Il y a sans arrêt un travail de dissociation à faire, et il est difficile de faire la part des choses entre sa propre histoire et celle qui se déroule devant soi. C’est en ça que la thérapie est intéressante. Et la série montre bien que l’on ne peut pas toujours garder notre sang froid, face à un couple par exemple, à une scène de ménage qui nous sollicite beaucoup, nous amène à prendre parti alors qu’on ne peut pas.

La série montre bien que l’on ne peut pas toujours garder notre sang froid
SERGE HEFEZ, PSYCHIATRE
Dans la série, Ariane (jouée par Mélanie Thierry) déclare son amour au Dr Philippe Dayan (joué par Frédéric Pierrot). Comment faire la différence entre un transfert et un vrai coup de cœur ? Quelles sont les règles de déontologie dans les deux cas ?
Avec cette histoire, le psychiatre de la série franchit toutes les lignes, il est dans la transgression et on ne peut pas dire qu’il l’ignore ; il tente même d’éclaircir cette histoire pour lui-même. C’est bien montré dans la série : on voit tout ce que cela sollicite chez lui comme angoisse, peur, défenses, à quel point il est absorbé, le sujet est quasiment obsédant pour lui. Cela montre que tout transfert a une dimension amoureuse, de la part du patient et aussi du thérapeute, c’est une relation très particulière. C’est la force de cet amour qui permet d’effectuer le travail et c’est à différencier d’un amour « banal ». On peut tomber amoureux de son patient ou de sa patiente, mais toutes les règles sont là pour nous l’interdire. Le rapport est quasiment incestueux. Donc il y a plusieurs options : soit on arrête la thérapie et on fait ce que l’on veut ensuite, soit on le garde pour soi.

Fatigué, impacté par le climat anxiogène ambiant dû aux attentats de Paris en 2015, le psychiatre confie sa lassitude à une consœur. Il dit : « si mes patients étaient dans ma tête, ils partiraient en courant ». Vous vous le dites aussi parfois ?
Je peux le penser, ça peut m’arriver, oui ! Parce qu’il y a un peu comme un leurre dans la relation thérapeute/ patient. Pour que ça marche, le patient doit imaginer que le thérapeute a un savoir tout-puissant, alors qu’en réalité on ne sait pas grand-chose. On invente, on réinvente la théorie avec chaque patient, on tâtonne, on est même dans une position inversée : le patient sait et on va l’éclairer.

En tant que thérapeute, se dit-on d’ailleurs parfois que l’on ne réussira pas à aider la personne en face de soi ?
Il y en a certains pour qui on le sent très vite, oui. On peut se tromper mais on entraperçoit celui qu’on pourra aider et celui avec qui ce sera compliqué. Chaque thérapeute a des patients qui lui conviennent. Prenons l’exemple des personnes souffrant d’addictions : certains professionnels ont la fibre, une compréhension, sont comme des poissons dans l’eau face au sujet. Pour d’autres, cela va être insupportable. De la même façon, certains patients obsessionnels seront d’un ennui mortel pour certains thérapeutes.

Le patient doit imaginer que le thérapeute a un savoir tout-puissant, alors qu’en réalité on ne sait pas grand-chose
SERGE HEFEZ
On apprend dans la série que le psychiatre est censé voir régulièrement ce qui est appelé un « contrôleur ». De quoi s’agit-il ? Les psychiatres, psychanalystes, psychologues doivent-ils eux-mêmes consulter ?
C’est une analyse du thérapeute. De la même façon que ce dernier analyse les résistances du patient, le superviseur analyse celles du thérapeute. Il n’y a pas obligation mais la plupart le font, surtout au début de la pratique. La consultation offre un lieu de liberté dans lequel on peut exposer les difficultés auxquelles on est confronté. On s’assure que l’on va bien, aussi. C’est un vrai ressourcement. Dans la série, la superviseure jouée par Carole Bouquet est d’ailleurs très pertinente. Il y a simplement une confusion de niveau parce qu’ils se connaissent, on ne sait pas très bien s’ils ont eu une histoire.

Quand on est psy et que l’on regarde la série, c’est divertissant ou on a l’impression de sortir d’une journée de travail ?
Moi j’ai adoré ! J’ai commencé et j’ai été pris dedans. C’est très jubilatoire, très proche de ce que moi je suis, de ce que je fais, et je crois que ça concerne beaucoup de psys. On saisit la rigueur du travail quotidien, et en même temps c’est une fiction, ça ne correspond pas complètement à la réalité de ce que l’on vit chaque jour.

La série peut-elle permettre de démystifier la consultation psy selon vous ? La démocratiser ?
Oui, je pense qu’elle va susciter des vocations, tous mes patients m’en parlent. La série permet de familiariser les gens avec la thérapie, cela donne envie, surtout en ce moment, dans ce contexte où les individus vont plutôt mal.

(1) En thérapie, d’Eric Toledano et Olivier Nakache, en intégralité sur arte.tv jusqu’au 27 juillet et tous les jeudis à 20h55 jusqu’au 18 mars sur Arte.