NewsLetter nº69 3 septembre 2009

LA LOI BACHELOT

L’été a été plutôt calme dans notre secteur.
Il est probable que le ministère va prochainement se plonger dans la rédaction d’un nouveau décret d’application de l’Article 91 de la loi nº 2009-879 du 21 juillet 2009.
Partant de l’hypothèse (plusieurs fois confirmée) qu’il est plus facile d’obtenir des modifications à un texte AVANT sa version définitive, nous avons décidé ne pas tarder pour envoyer aux deux ministères concernés (ainsi qu’au Conseil d’État) quelques suggestions de rédaction.

Le texte ci-après a donc été porté à Mme Bachelot et à Mme Pécresse le 10 août 2009.
Nous ne le diffusons sur notre site qu’en ce début septembre, afin de ne pas le transformer trop rapidement en “lettre ouverte” (plus agressive) et ne pas encombrer les boites à lettres pendant les vacances ; mais nous avons informé déjà nos collègues des autres organisations représentatives de la profession.

Paris, le 10 août 2009
à Madame Roselyne BACHELOT-NARQUIN
Ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative
14 avenue Duquesne. 75007 PARIS
Objet : décret d’application de l’article 91 de la loi HPST du 21 juillet 2009

Madame la Ministre,

Ainsi, malgré les réserves unanimes de l’ensemble des organismes représentatifs des professionnels concernés, et malgré les 11 amendements proposés par des Sénateurs de tous les partis politiques, l’art. 91 de la « loi Bachelot » (HPST), règlementant l’usage du titre de psychothérapeute, a été votée dans sa formulation initiale.
Ce texte ne tient pas compte des exigences des professionnels concernant une véritable formation approfondie à la psychothérapie. Il limite la demande d’une formation à la psychopathologie (diagnostic) et non à la psychothérapie (traitement).
Or, la psychopathologie proprement dite représente à peine 20 % de la formation à la psychothérapie, dispensée en 4 années minimum dans les instituts spécialisés.
D’une manière paradoxale, cet article propose, comme prérequis à l’entrée en formation le niveau master le même qui est obtenu… à la sortie de cette formation, habituellement d’une durée de 4 ou 5 années universitaires !

De plus, ce nouveau texte de loi éloigne la France des plusieurs règlementations européennes (Allemagne, Autriche, Finlande, Italie, Pays-Bas, etc.) qui autorisent les membres de diverses professions (médicales, paramédicales, éducatives ou sociales) à se former au métier de psychothérapeute, ou exigent, pour les psychologues et les médecins diplômés, une formation spécifique additionnelle de plusieurs années, en psychothérapie proprement dite, à effectuer dans des instituts privés agréés.
Les universités publiques n’assurent pas de formation professionnelle complète à la psychothérapie, car celle-ci implique une sélection sévère des étudiants, basée sur l’équilibre et la maturité de la personnalité, ainsi qu’une supervision étroite par des psychothérapeutes qualifiés, sur des lieux de stage où une psychothérapie effective est pratiquée.
Une procédure spécifique détaillée (voir document du TAC, Training Accreditation Committee), permet à certains instituts de haut niveau, de bénéficier du statut d’EAPTI (European Accredited Psychotherapy Training Institute), après contrôle par trois instances indépendantes et visite sur place par un comité d’experts internationaux (de pays et de méthodes différentes). A ce jour (juillet 2009), 49 instituts, de 18 pays d’Europe, ont obtenu ce label de référence, dans 9 méthodes agréées. En France, 10 instituts ont obtenu cet agrément, à ce jour.
Comme on le sait, la Commission européenne de Bruxelles étudie actuellement une « plateforme commune » pour harmoniser le niveau de formation des psychothérapeutes, plateforme largement inspirée du programme du Certificat Européen de Psychothérapie (CEP), instauré en 1997 à Rome par l’European Association for Psychotherapy (EAP) qui regroupe 120 000 psychothérapeutes professionnels certifiés, dans 40 pays d’Europe.
Par ailleurs, le texte français adopté n’offre guère de protection aux usagers puisque l’on sait que la possession de diplômes universitaires n’est en rien garante d’une stricte déontologie, ni d’une distance par rapport aux mouvements à caractère sectaire[1].

Néanmoins, le décret d’application à venir pourrait, en partie, rendre cet article de loi plus conforme à la situation réelle, française et européenne. Nous nous permettons, à ce sujet, d’émettre quelques suggestions inspirées par le 7e projet de décret, daté d’octobre 2008, et qui avait entrainé des réserves du Conseil d’État.

1) Pré-requis : le décret doit préciser les conditions d’agrément des établissements autorisés à délivrer cette formation. Il conviendrait de prévoir une commission nationale ad hoc pour l’agrément des établissements d’enseignement privés accrédités par arrêté, après contrôle du programme et de la qualification des enseignants. Les équivalences du niveau master et les dispenses totales ou partielles doivent être précisées. La possession du Certificat Européen de Psychothérapie (CEP), attribué après 7 ans d’études (3 200 h) et un triple contrôle international, extérieur aux instituts de formation, pourrait constituer une équivalence (environ 500 CEP attribués en France en 10 ans, entre 1998 et 2008).

2) Dispense pour les psychanalystes régulièrement enregistrés : cette dispense devrait être étendue aux psychothérapeutes pratiquant une autre méthode reconnue, dont les critères de formation et de contrôle sont similaires. Cette disparité est inexplicable : les instituts de psychanalyse sont tous de droit privé, et aucun argument n’a jamais pu être avancé pour favoriser cette méthode par rapport à la douzaine d’autres, régulièrement pratiquées en France et en Europe ! Afin d’éviter des abus, nous suggérons de limiter l’agrément aux annuaires nationaux. Le texte pourrait se présenter ainsi : « […] pour les psychanalystes et psychothérapeutes régulièrement enregistrés dans les annuaires nationaux de leurs associations ».
Les fédérations nationales de psychothérapeutes regroupent indistinctement sur des annuaires communs des psychanalystes traditionnels et des psychothérapeutes, pratiquant ou non des psychothérapies d’inspiration analytique. De nombreux spécialistes ont d’ailleurs opté délibérément pour une pratique mixte, dite « intégrative », associant psychanalyse et méthodes plus contemporaines, après avoir suivi eux-mêmes une longue psychanalyse traitionnelle. En pratique, la mise à part des psychanalystes n’est pas gérable, comme nous ne cessons de le répéter depuis six ans. L’ECPP (European Confederation of Psychoanalytic Psychotherapy) ne représente qu’une des branches de l’European Association for Psychotherapy (EAP) ainsi que de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P).

3) Dispositions transitoires : « cinq ans de pratique avant la date de parution du décret ». Il ne serait pas opportun de préciser (comme l’envisageait le projet de décret d’oct. 08) « à temps plein ». En effet, la grande majorité des psychothérapeutes se sont formés (à un âge moyen de 40 ans), après une longue pratique d’une profession voisine (médico-psycho-sociale ou éducative) qu’ils poursuivent à temps partiel. Ils débutent donc généralement comme psychothérapeutes à mi-temps pendant quelques années. Il serait abusif d’exiger 10 ans d’une telle pratique ! Le texte de loi ne le demande d’ailleurs pas ! Que deviendraient, par ailleurs, ceux qui ont suivi une formation de 4 ou 5 ans, complétée par une pratique de moins de 5 ans ?

4) Jury des commissions régionales : compte tenu des rivalités corporatistes tenaces entre certains organismes de psychologues et de psychothérapeutes, il importe qu’au moins deux psychothérapeutes proposés par les organisations nationales professionnelles représentatives soient explicitement prévus dans chacun des jurys régionaux chargés de la validation des études et expériences professionnelles (VAE).

Nous vous remercions à l’avance de bien vouloir prendre en considération ces suggestions, conformes à la situation européenne, et susceptibles d’assurer une meilleure protection des usagers vulnérables. Nous vous prions de bien vouloir agréer, Madame la Ministre, l’expression de nos sentiments les plus respectueux.

Dr Michel Meignant, médecin, psychothérapeute, président de la FF2P
Isabelle Crespelle, psychologue, psychothérapeute, vice-présidente de la FF2P
Serge Ginger, psychologue, psychothérapeute, secrétaire général de la FF2P

[1] Les Renseignement généraux estiment à 3 000 le nombre de médecins, membres de sectes (dont certains, en tant que responsables) et les faits divers nous rappellent trop souvent les « dérapages » déontologiques, sexuels et financiers, de certains médecins (constituant, bien heureusement, une infime minorité).