Un paradigme dépassé

La Loi du 30 novembre 1892, organisant la médecine en France, a dessiné les contours de ce qui deviendra, au milieu du XXe s., le Code de la santé publique (CSP) ; son paradigme principal était la lutte contre l’exercice illégal de la médecine, extrêmement répandu à l’époque.

Cette origine historique du CSP induit en France un médico-centrisme qui empêche l’émergence d’une santé publique non médicalisée et ouverte sur le prendre soin (le care). Le système de santé français est hémiplégique, il ne prend en compte que l’aspect médical de la santé en paralysant les professions du soin ni médicales ni paramédicales, comme celle de psychologue.

L’évolution sociétale et législative va pourtant dans le sens de cette ouverture de la santé au prendre soin. En témoigne l’adoption de la loi sur le titre de psychothérapeute : les parlementaires y ont prévu un égal accès à l’usage du titre pour psychologues et psychiatres, en se centrant sur le soin psychique et la compétence en psychopathologie clinique, sans distinction entre professions, médicale ou non médicale. Position que le pouvoir réglementaire a eu beaucoup de mal à admettre, produisant un premier décret non conforme à l’esprit de la loi mais heureusement corrigé par la suite.

Plus de 120 ans après, ce paradigme d’une santé entièrement aux mains des médecins, issu des lois de 1892 et 19031, ne cesse d’organiser la santé publique française d’un XXIe s. aux prises avec des souffrances psychosociales encore inconnues dans un XIXe s. finissant, aux préoccupations principalement hygiénistes.
Cette absence de changement dans les fondements de la santé publique rend complètement caduque la volonté ministérielle, pourtant affichée, de sortir de ce système réducteur puisqu’elle conduit, in fine à confier cette sortie du tout médical à une haute administration médico-centrée !

On ne peut imaginer, dans ces conditions, une intégration de la profession de psychologue au CSP sans que ce Code ne soit fortement modifié. Il devrait abandonner son actuel paradigme médicocentré au profit d’un autre, humaniste, prenant en compte toutes les dimensions de la personne, biologiques et psychiques, sans faire dépendre les secondes des premières.

Seule une volonté politique forte et un mouvement interprofessionnel d’envergure des personnels non médicaux, permettront une évolution paradigmatique du système de santé français et du Code qui le définit. Nous avons beaucoup cru à la possibilité d’une inscription nouvelle de la profession de psychologue dans notre société grâce à cette loi de santé présentée comme novatrice. Force est de constater que la montagne risque d’accoucher d’une souris, voire d’un souriceau, tant le conservatisme du système est puissant. A moins que la profession ne se soulève unanime pour exiger la reconnaissance de la santé psychique au côté de la santé biologique !

C’est d’un combat plus large que celui de la profession dont il s’agit là : donner à la capacité à aimer, penser, rire ou jouir de la vie une vraie place dans le système de santé !

Jacques BORGY
Secrétaire général du SNP

 

1 Précisant la composition du Conseil d’hygiène publique et de salubrité de la Seine.