Parution de La fabrique des enfants anormaux

Voilà une analyse pertinente, comment peut on accepter les diktats ce ceux qui veulent donner des médicaments et enfermer les enfants dans les cases du DSM ?
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La pédopsychiatrie est en crise, on commence à en parler, on en parle… enfin on en parle ! Quelle crise et pourquoi ? D’un côté on constate une croissance exponentielle des demandes, pas seulement liée à la crise de la Covid. Cette demande explosait déjà avant. Elle concerne d’une part la souffrance psychique des enfants dans leurs conditions de vie familiale, sociale et scolaire, d’autre part, un accroissement des normes d’apprentissage et d’adaptation dans le cadre de l’école. L’éducation nationale pousse les professionnels à pointer les différences et les difficultés comme des troubles qui sont nommés arbitrairement et abusivement « troubles neurodéveloppementaux » sans aucun appui neuroscientifique. Or, cette dénomination ne vaut que pour des cas, assez rares, qui relèvent de la neuropédiatrie, non pas de la pédopsychiatrie. Les instances administratives (HAS, ARS, DGS) et certaines associations de parents en mal de diagnostic et de traitement pour leurs enfants, se sont engouffrées dans la commodité de ce sac fourre-tout des troubles neurodéveloppementaux.

Face à cette crise structurelle et idéologique, la pédopsychiatrie est d’autant plus mise à mal qu’elle souffre d’une pénurie en moyens humains et matériels pour répondre aux attentes des enfants et des parents quant au diagnostic et à la prise en charge des troubles et pathologies. Face à l’afflux des demandes, il est trop facile, et pervers, de tirer à boulets rouges sur les professionnels de santé de la pédopsychiatrie qui font comme ils peuvent avec les moyens pauvres dont ils disposent. L’intention à peine voilée jusqu’alors, et maintenant ouvertement déclarée, est d’imposer la réponse déviante et inadaptée du tout trouble neurodéveloppemental promue par l’HAS, l’ARS, le ministère de la santé, le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées et soutenue par une veille agressive de certaines associations de parents.

Il n’est plus question de gérer la pénurie, que ce soit dans le milieu hospitalier, médico-social ou en pédopsychiatrie libérale, car il est devenu matériellement impossible de répondre à la multitude de demandes. Il est temps d’y mettre des moyens matériels, financiers et humains, non pas des sparadraps bricolés ou des cataplasmes, mais de vrais moyens pour permettre de répondre au moins partiellement à cette demande en pédopsychiatrie. Et plutôt que de mettre en concurrence une pédopsychiatrie clinique et psychodynamique avec des plates-formes d’orientation et de coordination pour dépister les troubles neurodéveloppementaux, il faut déployer des moyens, quoi qu’il en coûte, et non pas déshabiller Paul pour habiller Jacques.

Il est inacceptable, et même criminel, de retirer ou de tenter de retirer aux professionnels de la pédopsychiatrie, notamment pour les CMPP et les CAMSP, le soin psychique et la prévention à court et à long terme des pathologies psychiatriques que cette action thérapeutique précoce permet. Si des plates-formes de coordination et d’orientation peuvent s’avérer utiles, en aucun cas elles ne peuvent couvrir le champ de la pédopsychiatrie. La mode actuelle et l’idéologie du diagnostic précoce de prétendus troubles neurodéveloppementaux, gros sac fourre-tout qui ne fait que répondre au réductionnisme du DSM, au marché florissant des officines prônant le scientisme et à Big Pharma, ne peut que desservir la qualité du diagnostic et du soin prodigué aux enfants en difficulté, en souffrance ou différents.

Rappelons que le diagnostic est un acte médical qui ne peut en aucun cas être dicté par une administration ou par une association de parents. Cet acte médical complexe peut et doit être précoce, nous en sommes tous d’accord, mais ce n’est pas pour autant qu’il s’impose dans l’accueil et la prise en charge des enfants en difficulté. Nous avons tous, professionnels du soin, l’expérience qu’il suffit parfois de quelques séances bien conduites pour identifier un problème, un trouble, une souffrance qui, à terme, peut devenir une pathologie sévère si la perspicacité clinique et la liberté du soin proposé ne sont plus accordés aux professionnels de santé. Dans de nombreuses situations, ce n’est pas le diagnostic qui est prioritaire mais la qualité de l’accueil et de la rencontre qui permet d’identifier et de soigner tout à la fois un trouble. Celui-ci, même s’il est spectaculaire, reste la plupart du temps accessible à un soin psychique spécialisé sans mettre en place une rééducation, un traitement médicamenteux invasif ou autres propositions dont le pire est d’apposer sur l’enfant une étiquette de handicap comme une étoile jaune.

Le parcours de soin d’un enfant en difficulté, en souffrance ou présentant un trouble, relève du bioneuropsychosocial sans a priori écarter une des composantes de la problématique. Or, la tendance actuelle est d’écarter le psychosocial qui est encombrant car il oblige à soulever des questions épineuses, y compris sur le plan socio-politique. La manipulation perverse est de ne prendre en compte que le bioneuro en conditionnant le financement de prises en charge à la procédure handicap dans le contexte d’un diagnostic TND coordonné et orienté vers le handicap avec 3 grandes catégories : TSA, TDAH et DYS. Alors, que devient la dimension du trouble psychique, des conditions sociales et culturelles : elles sont banalisées en bobologie qui ne justifie pas un financement complet de la prise en charge. En agissant ainsi, on empêche de soigner, on pénalise gravement les enfants dans leur développement et leur épanouissement, mais aussi les parents, désarmés et en désarroi, et les enseignants qui perdent leurs qualités d’intuition, de perspicacité, d’humanité au profit d’une procédure de la norme, de l’adaptation et du handicap. Il ne reste plus qu’à faire rentrer cela dans des cases, au forceps, en affichant une inclusion qui relève du mensonge d’État, puisque les moyens ne sont pas alloués, tant au niveau de l’éducation nationale que des professionnels du soin.

Dans mon livre « La fabrique des enfants anormaux », Max Milo, 2021, je reprends toutes les composantes de cette déviance perverse dont j’ai constaté l’évolution en quarante années de pratique en tant que pédopsychiatre et psychiatre. Pour l’illustrer et le rendre accessible, je m’appuie sur des situations cliniques concrètes, anonymisées, bien sûr et sur des témoignages de parents et d’enseignants. Ce livre n’est pas juste un pamphlet, la dénonciation de dérives, il est émaillé de plusieurs propositions pour aider les enfants, les parents, les enseignants mais aussi tous les professionnels de santé qui sont concernés par le champ de la pédopsychiatrie.

Thierry Delcourt
http://www.thierry-delcourt.fr
http://www.thierry-delcourt.fr/page-3709033.html