Cinq syndicats de psychiatres soutiennent une consœur poursuivie pour homicide involontaire
On aura tout vu !!!!
Jusqu’où un médecin peut-il être responsable des faits et gestes d’un patient souffrant de troubles psychiatriques ? C’est la question qui se pose dans l’affaire d’une psychiatre poursuivie pour« homicide involontaire », après que son patient, Joël Gaillard, assassine le 9 mars 2004 le compagnon de sa grand-mère, Germain Trabuc, un retraité octogénaire.
Le Dr Danièle Canarelli, psychiatre exerçant au centre hospitalier (CH) Édouard-Toulouse à Marseille, comparaîtra le 13 novembre devant le tribunal de grande instance de la cité Phocéenne.
Elle suivait de longue date Joël Gaillard, un psychotique qui alternait hospitalisation d’office et sorties d’essai depuis 2001. Pendant l’une d’entre elle, censée durer un mois (26 janvier-27 février), il s’enfuit d’une consultation de suivi alors qu’elle lui propose une réhospitalisation. Les membres du CH ne le retiennent pas. Il revient le lendemain, mais prend de nouveau la fuite à la vue de sa psychiatre. À peine deux semaines plus tard, il tue à coups de hache M. Trabuc. Il est reconnu irresponsable pénalement en 2005.
L’hôpital marseillais est condamné en 2009 à verser 15 000 euros à la famille par la cour administrative d’appel de Marseille, un jugement confirmé par le conseil d’État en 2010. La justice estime qu’un patient en sortie d’essai reste sous la surveillance et la responsabilité du CH. Elle épingle en outre « un fonctionnement défectueux du service », qui aurait dû davantage surveiller un patient aux lourds antécédents de violence.
En revanche, la responsabilité de l’État, incarné par le préfet des Bouches-du-Rhône, signataire de l’arrêté de sortie d’essai, n’a pas été retenue.
Procès de la psychiatrie ?
En novembre, c’est la psychiatre qui sera donc jugée pour « défaut d’assistance et homicide involontaire ». À lire les extraits de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal, publiés dans « le Parisien » de jeudi 13 septembre, les charges qui pèsent sur elle sont lourdes. La juge d’instruction évoque « des fautes multiples qui ont contribué au passage à l’acte violent » et « une erreur de diagnostic ». Selon l’expert Jean-Claude Archambault, le Dr Canarelli serait la seule à n’avoir pas diagnostiqué de schizophrénie chez Joël Gaillard, alors que tous les autres médecins ont conclu à « une psychose avec syndrome délirant de type paranoïde et vécu persécutoire ».
« Il y a un refus volontaire pendant 5 ans de traiter ce patient, c’est une obstination dans l’erreur thérapeutique », accuse de son côté Me Gérard Chemla, l’avocat du fils de la victime. « Le Dr Canarelli, contre l’avis de tous les experts, s’est enfermée dans un déni de la pathologie, alors que Joël Gaillard se comportait avec violence lors de ses sorties d’essai. Si elle lui avait administré un traitement retard, le crime aurait pû être évité », affirme-t-il.
« C’est facile a posteriori de dire que ce patient était dangereux », rétorque Me Sylvain Pontier, l’avocat de la praticienne. « Dans le respect de la loi et de la pratique dans la prise en charge de pathologies psychiatriques, le Dr Canarelli n’avait pas moyen de prévoir ce qui allait se passer », explique-t-il au « Quotidien ». Selon l’avocat, les épisodes violents de son patient n’avaient pas été portés à sa connaissance. Ils ne figuraient pas dans le dossier médical.
Il dénonce aussi « une méconnaissance de la manière dont fonctionne la psychiatrie », et un procès baigné dans un « imaginaire digne de "Vol au-dessus d’un nid de coucou" ». « Le Dr Canarelli n’était pas seule : elle a signalé la fuite, établi des certificats et avis de recherche, qu’a fait la police ? Le préfet a signé les arrêtés de sortie. Et en aucun cas l’hôpital est une maison d’arrêt. Si toutes les personnes potentiellement dangereuses devaient être enfermées, ça poserait un problème ! »s’exclame Me Pontier.
Inquiétudes des professionnels
Pas moins de 5 syndicats de psychiatres* ont publié un communiqué commun de soutien au Dr Danièle Canarelli. Ils dénoncent la « tendance à vouloir mettre en cause la responsabilité des psychiatres hospitaliers en exigeant d’eux une obligation de résultat et non plus de moyen, dans un domaine où la prédictivité et le risque zéro n’existent pas ».
Tout en attendant que la justice tranche, le Dr Jean-Claude Pénochet, président du SPH, déplore la « pression croissante qui pèse sur les psychiatres » dans un contexte de renforcement sécuritaire. « On nous accuse de ne pas prendre en compte la dangerosité de certains patients, mais notre pain quotidien, c’est bien de prendre en considération l’intérêt de la famille, de la société et du patient. Si on maintient un patient en hospitalisation contre son gré, on nous accuse de l’enfermer. S’il commet un délit, nous sommes coupables. Nous sommes toujours dans des appréciations subtiles », explique-t-il au« Quotidien ».
« Les médecins n’ont pas à s’inquiéter, le corporatisme est toujours une erreur : nous souhaitons que les psychiatres puissent exercer leur métier sereinement », assure Me Gérard Chemla.