« L’insanité psychologique ou la mélancolie d’une profession ».
« Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer les images. » Jean Cocteau
Un essai trés pertinent sur la situation de la profession
Communication de Patrick-Ange RAOULT :
« L’insanité psychologique ou la mélancolie d’une profession ».
Ce texte est la reprise de plusieurs publications sur ce thème paru soit en ouvrages (L’Harmattan), soit dans des revues (Psychologues et psychologies, Journal des psychologues, Pratiques psychologiques). Il comprend des redites dont vous m’excuserez. C’est une compilation.
1. Les filiations incestueuses de la psychologie*
2. Les paradoxalités de l’appartenance*
3. Le déni de la fonction sociopolitique
4. L’aliénation universitaire et la fascination du maître
5. L’insanité de la fonction psychologique*
6. Un objet incohérent et insaisissable
7. La valence dépressive ou la mélancolisation de la profession*
8. La conduite suicidaire
9. Dépolitisation, perte de sens et idéalisation des figures de pouvoir*
10. Le Collège absent ou le manque à être
11. La Fédération ou l’instrumentalisation des praticiens
12. Europsy, la labellisation normative des professionnels
13. L’appétence à l’aliénation ou le masochisme incarnée
I - UN CONTEXTE SOCIO-CULTUREL ET POLITIQUE
1. Les filiations incestueuses de la psychologie
Une mutation sociale
Situons d’emblée le psychologue comme un travailleur social en prise avec la demande sociale, agent délégué à des formes de régulation sociale, en proie aux idéologies dominantes, venant incarner les valeurs de son groupe social d’appartenance. De la création des tests sur l’intelligence aux questionnaires sur le repérage des troubles, en passant par l’instauration des dispositifs cliniques, il s’agit de réponses à des attentes sociales. De l’ingénieur d’application en psychologie prôné par Piéron au rééducateur comportementaliste visant à la réhabilitation de conduites normatives, en passant par le psychologue clinicien instauré par Lagache, il s’agit de l’émergence de fonctions intermédiaires dans un contexte sociopolitique. Chaque posture incarne des valeurs ou une axiologique, une conception de l’humain en même temps qu’une appréhension épistémologique des sciences humaines. La technique revendiquée n’est pas neutre d’une orientation politique, au sens du politique, et la fonction occupée traduit une option idéologique que la technicité ou la méthodologique ne peut méconnaître. A ce titre les luttes épistémiques entre les divers courants de la psychologie, en dehors des désarrois ou triomphalismes individuels ou corporatistes, traduisent des enjeux sociaux. De nombreux auteurs font état d’une mutation (évolution, changement, régression selon chacun) de la dynamique sociale qui modifie les conditions de la subjectivation ou de la structuration psychique en tant que le sujet (dont l’acception est historiquement récente) s’appareille sur des contextes socioculturels (Mauss, Elias, Kaës pour citer quelques références).
En 2002, après des réflexions en milieu hospitalier au cours des années 1990, j’avais tenté de souligner le possible « De la disparition des psychologues cliniciens » (L’Harmattan, 2002). En 2010, soit une dizaine d’années plus tard, on peut se demander si la psychologie clinique d’orientation psychodynamique tend à se voir éradiquer et conspuer. On posera l’hypothèse d’une mutation du champ de la psychologie française sous l’influence d’une mondialisation des modalités de gestion de la population en accord avec une transformation des approches scientifiques. Il y a une opération de normalisation ou d’harmonisation des cursus de formation, des standards de recherche et des pratiques au niveau européen. Ceci implique une recomposition des projets, des équipes et des objectifs de recherche en regard des nouvelles organisations des universités. Cela suppose un remaniement des contenus de formation. Cette normalisation répond aux conceptions scientistes dominantes, au modèle médicalisé de la régulation des déviances, aux projets politiques de santé publique et aux exigences budgétaires énoncées. Elle conduit à un formatage des jeunes chercheurs mais aussi des praticiens. Elle rappelle aux psychologues qu’il s’agit bien de les situer désormais comme des agents de gestion des populations selon les axes des politiques actuelles. Il y a de fait un recadrage des habilitations à délivrer des diplômes de la part des universités. Cette procédure dépendante du Ministère conduit à l’éviction des laboratoires non-conformes au nouveau diktat idéologique de la recherche (critères de publication, nouvelles orientations et objectifs de la formation universitaire). Les représentants du courant cognitiviste et/ou comportementaliste sont souvent en position d’être juges et parties. Représentés au sein des ministères et des universités, ils possèdent comme organes de diffusion aussi bien l’AEPU que la FFPP.
Le désordre psychologique
La question venait aussi de la confluence de plusieurs facteurs : les coups de boutoir des universitaires cognitivistes, l’activité d’autres corporations s’appropriant théories et techniques psychologiques, la présence de champs professionnels mieux constitués visant à inféoder les psychologues, l’évolution des textes législatifs ou des projets de loi éradiquant l’autonomie professionnelle des cliniciens. Le constat de l’inconsistance professionnelle des psychologues, l’aggravation de la fracture épistémique dans le champ praxique, la démultiplication des associations, regroupements et autres fédérations en lutte entre elles, l’augmentation d’un mandarinat universitaire scientiste, l’éviction des psychologues des instances décisionnelles dans les institutions me rendaient particulièrement pessimiste sur la capacité de la psychologie à se constituer comme profession. Le champ de la psychologie se présentait comme un grand désordre.
Je n’étais pas sans relever l’individualisation inachevée et l’indétermination de la psychologie clinique qui entravait la construction d’une identité professionnelle spécifique. De surcroît, celle-ci se trouvait mise à mal par la soumission hiérarchique des psychologues en particulier au diktat médical, ce qui d’ailleurs ne fait que s’accentuer. Cette accentuation est le résultat de l’insuffisance des luttes professionnelles, du démantèlement des cadres d’exercice avec la démultiplication des emplois précaires soumis au bon vouloir des employeurs, du glissement de la fonction vers des postes de rééducateurs cognitivo-comportementalistes. La complaisance dans la dépendance hiérarchique que sont désormais prêts à revendiquer nombre de psychologues participe de cette dilution de la clinique. Celle-ci trouvait à s’alimenter dans la constitution de l’objet clinique : « La psychologie clinique se glisse dans les interstices des conceptualisations, des pratiques et des institutions ; elle s’inscrit en négatif et échoue à constituer sa positivité. Elle se trouve dès lors en relation paradoxale avec les champs et les corporations voisines et nourrit des conflictualités qu’elle n’assume guère » (p. 113, opus cité).
L’indétermination professionnelle et statutaire des psychologues
L’unité épistémique tant souhaitée par D. Lagache n’a de cesse d’être remise en cause révélant de nombreuses lignes de fractures : lien paradoxal entre psychanalyse et psychologie clinique, distinction problématique entre psychologie clinique et méthode clinique, clivage entre psychologie cognitive et psychologie clinique, confusion sémantique entre neuropsychologie clinique, psychologie cognitive clinique et psychologie clinique, collusion praxique entre psychologie de la santé et psychologie clinique. Ce n’est pas là un champ professionnel mais un champ de bataille où dans le plus grand désordre chacun tente de recouvrir le territoire d’autrui, d’éliminer un adversaire désigné, de s’arroger la suprématie. Ce conflit généralisé se retrouve tant dans l’espace clos de l’université, que dans les rapports entre une multitude d’associations. Il n’est pas sûr que règne une parfaite entente et unité. On peut supposer que les conflits de pouvoir entre leaders, que les conflits entre diverses orientations théoriques, que la lutte d’intérêts entre praticiens/cliniciens et universitaires occupent notablement le devant de la scène.
Le champ de la psychologie (Raoult, 2005, 2009) pourrait se définir comme suit :
par une série de clivages : expérimentale ou cognitive/clinique, recherche scientifique/travail de terrain, universitaire/praticien, multitude associative/organisation unique, individualisme/collège de psychologues, psychanalyste/psychologue, santé/clinique, conseiller d’orientation/psychologue, etc. Ces clivages sont constitutifs de l’instauration de la profession des psychologues : entre Piéron-Fraisse et Lagache-Favez Boutonier, entre Heuyer et Lagache, etc. (voir A Ohayon, E. Jalley). Le champ de la psychologie ne fait pas groupe, ni foule d’ailleurs, c’est un agrégat sauvage dans lequel les ravages des luttes narcissiques, des alliances opportunistes, des manipulations utilitaires, des vérités singulières autoaffirmées, des ambitions carriéristes, des retraits individualistes tiennent lieu de lien social. Peut-on assurer une crédibilité de la psychologie dans un tel contexte ?
par une série d’empiètement et d’appropriation : ceux de la pédopsychiatrie, ceux des professions soignantes (médecins, infirmier, rééducateurs), ceux des ressources humaines, ceux de la médecine scolaire, ceux des professions éducatives et sociales, etc. Si le relationnel est avant tout du psychologique, il est l’objet revendiqué d’une pluralité de professions ou métiers. Il n’est pas sûr que les psychologues aient opéré le travail de délimitation socioprofessionnel, qu’ils aient pu se constituer comme une profession. Etre psychologue ne serait-il qu’une occupation ? Occupation qui au fond ne nécessite aucun diplôme pour en exercer les techniques ?
par une série de mises à l’écart : celle de la possibilité du remboursement en libéral, celle de l’accès à des postes de responsabilité, celle d’un salaire décent, celle d’une représentation médiatique, celle d’une autonomie réelle, celle des praticiens écartés du monde universitaire, celle des cliniciens d’orientation psychanalytique, pourtant majoritaires sur le terrain, éliminés de l’université à prévalence cognitiviste, etc. L’opposition de l’Ordre des médecins qui ont des représentants dans les ministères ou à l’Assemblée a permis l’invalidation et la marginalisation des psychologues. Le fait que les conseillers auprès des Ministères (Santé ou université) soient des cognitivistes, expérimentalistes développementalistes, des représentants de la psychologie sociale a participé de la minoration des cliniciens ou des modes d’habilitation des laboratoires. Que les présidences de la Fédération (FFPP) soient tenues principalement par des développementalistes expérimentalistes, enseignants chercheurs non psychologues, ne sont pas étrangères à l’introduction du terme de psychologie (donnant pouvoir aux universitaires non psychologues), à l’introduction du système Europsy, à une recomposition du Code de déontologie au profit des universitaires, à une réorientation cognitiviste de la psychologie française par des stratégies d’absorption de la clinique (glissement de la prégnance de la psychologie clinique – à éliminer -vers des cliniques psychologiques neuro-cognitivo-comportementalistes). Les psychologues n’existent guère au plan social, ne sont présents que par des institutions qui ne les représentent pas.
par une série de luttes : celles entre psychologues et médecins ou pouvoirs administratifs, celles entre praticiens et universitaires, celles intrauniversitaires entre quantitativistes et qualitativistes, entre expérimentalistes et psychanalystes. Ces luttes peuvent d’ailleurs donner lieu aux pires conduites perverses et manipulatoires qu’il m’est été donné d’entendre depuis longtemps (séduction, manipulation, instrumentalisation, désinformation, humiliation, disqualification, exploitation, soumission et lâcheté, compromission, etc.) ; comment peut-on parler de déontologie et d’éthique alors ? D’ailleurs, la remise au travail du Code de déontologie n’est pas étrangère à cette perversion ordinaire (J.P. Lebrun) qui infiltre le champ social. Le Code de 1996 était porté par une toute autre idéologie. Désormais l’affirmation de la déontologie est exemplaire des enjeux manipulatoires.
par une série de contradictions : l’indépendance revendiquée des psychologues dans un contexte de forte dépendance professionnelle, une présence médiatique forte de la psychologie avec une absence importante des psychologues, une haute idée professionnelle de soi conjoint avec un statut et un salaire faibles, une orientation de formation professionnelle décidée uniquement par des universitaires, une autonomie technique affirmée avec un asservissement aux prescriptions médicales, de très nombreux universitaires sans réelle expérience professionnelle censés formés des professionnels, etc. Les psychologues ne pourraient-ils pas prêter à sourire ?
par une série de dénis identitaires : le psychanalyste qui vit comme honteux son statut salarié de psychologue, le neuropsychologue ou cognitiviste qui affirme son mépris pour le clinicien et réciproquement, le titre de psychologue partagé par celui détenteur d’un Master Pro, celui évincé de ce cursus qui l’obtient par un Master recherche avec un stage, des D.U. voire Master, n’exigeant pas un cursus de psychologue pour effectuer une spécialité psychologique, des travaux universitaires effectués au service de diverses institutions ou professions conjoint à la rareté de travaux sur le métier lui-même, des professionnels recrutés sur leurs titres avec des statuts de recruteurs, formateurs, éducateurs, etc., des vacataires psychologues avec des contrats de trois à six mois renouvelables, des chargés de cours professionnels instrumentalisés pour donner caution apparente d’une professionnalisation, le jeune doctorant avec une expérience professionnelle exsangue, dépôt narcissique ou ustensilitaire d’un professeur, placer sur un poste universitaire de clinique pathologique, etc.
Ces six séries, interagissantes les unes avec les autres, ne sont pas tant le fait d’autres que des psychologues eux-mêmes : les psychologues auraient-ils, professionnellement des conduites suicidaires ou masochiques, auraient-ils une appétence singulière pour les conduites d’échec, seraient trop immatures ou infantiles pour trouver une insertion ? Les psychologues ont-ils choisi de faire imploser le champ de la psychologie ? Ceci est à comprendre dans l’histoire de l’institutionnalisation de la psychologie, mais cela montre que malgré l’aspect affûté de certaines théorisations, que malgré la rigueur de certaines méthodologies, les psychologues apparaissent beaucoup moins futés que d’autres corporations. L’illusion dans laquelle ils se tiennent maintient le déni des réalités sociales qui les soumettent.
Certes me direz-vous mais la profession s’exerce et est présente sur tous les terrains. Elle est même sollicitée apparemment sur de nouveaux lieux : harcèlement moral, expertise, injonction de soins, etc. Une profession se définit comme une activité nécessitant un long processus d’apprentissage d’un savoir abstrait, exigeant un contrôle scientifique de la formation et un contrôle éthique de la pratique. Admettons le processus d’apprentissage, questionnons le contrôle scientifique, doutons du contrôle éthique. Mais qui exerce la psychologie : principalement des non détenteurs du titre de psychologues : développement du potentiel personnel, psychothérapeute, coach, conseiller d’insertion professionnelle, recruteur DRH, psychanalyste, etc. Au fond nul besoin d’être psychologue pour exercer la psychologie. D’ailleurs il n’y a pas de statut de psychologue clinicien, mais un titre unique avec de multiples statuts particuliers des fonctions publiques. L’incapacité à protéger l’utilisation de ses techniques, qui va de pair avec l’absence de réflexions sur les pratiques réelles (organisation des tâches, détermination des critères de compétence, organisation du marché de l’emploi), soumet la psychologie aux champs de détermination sociale des professions en position de force. Pourquoi perdre son temps à obtenir un diplôme ?
Cette indétermination s’inscrit dans l’idéologie qui construit la psychologie : idéologie du sujet portée par les classes moyennes. Elle se soutient de la montée de l’individualisme et du narcissisme, en opposition aux valeurs autoritaires. Cette idéologie de la clinique va dès lors s’inscrire en décalage avec le néo-libéralisme qui tend à l’économie du lien. Les clivages, les contradictions, les luttes et les dénis identitaires traduisent les conflits internes qui vont alors s’accentuer. Une idéologie perd son sens premier face à l’évolution alors qu’une autre pense y construire sa réponse. D’aucun le perçoive tout en le déniant. C’est un mécanisme d’insanisation. Racamier désigne ainsi un mécanisme par lequel la représentation d’une donnée perçue avec justesse se conserve dans la psyché et se transmet dans l’échange, sous réserve d’être démarquée par un déni de sens, qui consiste en un jugement d’insanité, soit de non sens. Plus encore l’affirmation de la place du psychologue s’est faite au prix de dénis d’identité, et les recompositions actuelles entraînent l’invalidation des traits qui lui assuraient sa reconnaissance. L’exemple de la psychothérapie peut être ici cité.
Mais la psychologie ne s’inscrit-elle pas dans une dynamique sociale qui en alimente les contradictions.
2. Les paradoxalités de l’appartenance
Introduction
Je ne suis pas sûr de tenir ma langue au risque de choquer les plus sensibles, ceux en proie aux certitudes identitaires ou ceux détenteurs ou servants des institutions. Mon propos d’un triple décentrement : décentrement par rapport au champ de la clinique institutionnelle que j’ai quitté après plus d’une vingtaine années d’exercice, décentrement par rapport au monde universitaire où je suis tenu dans une place marginale, partiellement en décalage avec mon parcours professionnel, dans une incertitude certaine et sans perspective de carrière, décentrement enfin par mon capital familial et culturel au sens de Bourdieu pour part hétérogène au groupe social des psychologues. Ceci m’invite à poser la question des formes de recrutement par cooptation avec ses discriminations larvées ou explicites et le faux semblant des arguments mis en avant dans des milieux fermés. Il y a à poser la question des discriminations que ce soit pour des motifs d’esprit critique, de choix syndicaux, d’appartenance à des paradigmes théoriques, d’origine sociale ou ethnique dans ces milieux. Après avoir exercé des fonctions cliniques, évaluatives, psychothérapiques, institutionnelles, consultantes, formatives, je continue des activités expertales et de supervision. Cette position d’extimité possède son intérêt. Par le relatif recul pris et par l’absence d’entraves liées aux dépendances, flagorneries, modérations et non-dits de ceux qui visent une ambition carriériste, ce triple décentrement, adjoint au fait d’être élément d’une population hors appartenance, sans accès aux institutions, m’offre une liberté de ton dont j’entends ne pas me priver. Les traits abrupts qui tailleront mon propos visent à mettre en discussion certains aspects de la profession. Quelle est l’avenir de la psychologie clinique ? Sera le fil de ce propos. Quelles sont les perspectives qui sont ouvertes ? En sera la trame. Peut-être annoncerais-je la mort possible de la psychologie clinique ? Mais aussi la fin des psychologues ? La plainte des psychologues est récurrente si ce n’est constitutive de la profession. On la trouve dès l’aube de la profession comme le trait d’une impossibilité qui marquerait sa construction identitaire. Marquée du sceau d’un destin tragique, les acteurs de cette profession en répète à l’envi l’impasse.
Disons le d’emblée : le titre de psychothérapeute, la disparition de la fonction FIR, la création d’Europsy et la tentative de son inscription dans les nouvelles licences, un nouveau code de déontologie contraire aux exigences cliniques, la fragmentation des postes de titulaires en vacation, la mastérisation des infirmiers doublée par leurs décrets de compétence, la nouvelle gouvernance hospitalière, et bien d’autres choses tendent à effacer la nécessité même des psychologues et à participer à leur disparition.
3. Le déni de la fonction sociopolitique
Le repli de l’idéologie politique
En 1981, Robert Castel, faisant le constat de d’une période marquée par la conjonction du psychologisme et du politisme, se donnait comme objectif de cerner les conditions d’une mutation contemporaine des techniques médico-psychologiques caractérisées par l’hégémonie des techno-psychologies. La réorganisation des pratiques médico-psychologiques s’annoncent au début des années soixante-dix au travers d’une ample gamme d’interventions diversifiées (travail social, expertise, action sanitaire, gestion des populations à risque et même thérapie pour les normaux). S’énoncent la décomposition de l’hégémonie de la psychiatrie et de la psychanalyse. La psychanalyse avait représenté la rampe de lancement d’une batterie de nouvelles techniques psychologiques qui viendront à la dépasser. L’enjeu est une nouvelle formule de gestion du social, du moins de traitement des problèmes sociaux à partir de la gestion des particularités de l’individu. On entre dans le double pôle de la gestion des risques sociaux et de celle des fragilités individuelles. La ligne de recomposition se fera, dit-il en 1981, selon trois directions : le retour en force de l’objectivisme médical, une mutation des technologies préventives subordonnant l’activité soignante à une gestion administrative des populations à risque, la promotion d’un travail psychologique sur soi.
La montée de l’expertise et la désintégration
Cette transformation des dispositifs médico-psychologiques, favorisant la dissociation radicale entre le diagnostic et la prise en charge, fait basculer la pratique thérapeutique du côté de l’activité d’expertise. On est dans une politique de gestion différentielle des populations. Et le déploiement de la notion de handicap constitue le règne de l’inégalité en faisant du manque un déficit et en rabattant la normalité aux performances requises à un moment historique donné. Cela induit une certaine dépsychiatrisation en orientant vers des modes non psychiatriques de prise en charge, vers un aiguillage pédagogico-technocratique. De même la transformation de la psychiatrie en santé mentale induit une prévention généralisée de celui qui représenterait un coût économique de part ses troubles psychiques. Psychiatre et psychologue deviennent les spécialistes d’une pratique généralisée d’expertise comme détermination de la compétence (G. Canguilhem, 1968) et comme repérage des anomalies (M. Foucault). Le savoir médico-psychologique procure un code scientifique d’objectivation des différences. Les professionnels sont des techniciens qui contribuent à l’extension du domaine de pratiques sans en contrôler l’organisation. On est dans le cadre d’une conception atomisante des problèmes d’assistance et de soin. On distingue dès lors les technologies d’intervention et les technologies de prévention répondant de logiques gestionnaires définissant des populations à risque.
La nouvelle figure idéologique du discours théorique est celle de l’avancée scientiste (P.A. Raoult ). On voit réactiver le mythe à l’origine de la constitution de la psychologie expérimentale, nourrissant les sciences du comportement ; elle se définit comme science du fait psychique répondant de lois générales du psychisme humain selon des critères des sciences du vivant : observation, expérimentation à partir d’un principe de falsifiabilité (Popper). Cette option épistémologique a bien sût fait l’objet de nombreuses critiques pertinentes. Le principe de causalité convoqué relève d’une linéarité. Ce rabattement de l’humain vers le naturalisme est un réductionnisme qui va à l’encontre d’une vision anthropologique. L’humain se dissout dans une objectivation qui lui conférerait une entière transparence. Dans une confusion entretenue entre la mesure et la théorie explicative, elle s’acharne à confirmer le changement de paradigme ouvert par la mise en place du DSM III. La révision de la nosographie, mise en œuvre par Robert Spitzer, s’est appuyée sur l’argument discuté de la fiabilité et de l’évaluation statistique pour renverser l’orientation théorique de la psychiatrie. Le quantitatif, s’il réintroduisait les théories biologiques, le discours scientiste et la démarche descriptive-comportementale, répondait à la fois à des options économiques libérales et à une réaffirmation significative de l’identité médicale de la psychiatrie et de son appartenance à la médecine scientifique. Elle était extension aux malaises psychosociaux et existentiels d’une conception médicale : une médicalisation du social et du psychologique. Elle représentait une marginalisation et une inféodation des psychologues.
La discrimination instituée
C’est bien une vision politique qui soutient ce changement de paradigme appuyé sur le quantitatif. Il aura une extension mondiale qui se trouvera en convergence avec le développement et les avancées des neurosciences et la création du cognitivisme. En France ce mouvement rencontrera une psychologie expérimentale en voie de renouvellement qui avait pour caractéristique d’avoir une forte présence en milieu universitaire. Au-delà du paradigme, ce sont bien des changements de pouvoir, d’orientation dans les cursus et les pratiques qu’il est question.
L’idéologie scientiste, et non la démarche scientifique, se doit d’être évoquée dans ses figures historiques . Que d’ignominies n’ont-elles pas été soutenues au titre de la preuve scientifique comme y insistait M. Billig en 1981 ou M. Tort en 1974 ? De Galton à Jensen et Eysenck, le scientisme a avancé bien des idéologies de la discrimination. Que venaient faire les psychologues et psychiatres comportementalistes dans le camp d’Abou Gray si ce n’est affiner les techniques d’interrogatoires ? Pour reprendre l’expression de C. Desprats-Pequignot nous sommes dans des pratiques de la désintégration. Une idéologie scientiste récurrente tend à porter insistance sur la question de la validation scientifique à partir de dispositifs statistiques où la visibilité deviendrait le garant épistémologique et la certitude d’une théorisation. Il y a là une grave confusion épistémologique entre le dispositif de vérification et la théorie. Le dispositif ne fait pas théorie à moins de ne concevoir la démarche que selon une conception nominaliste dans laquelle la chose vaut le nom. Il n’y a pas lieu non plus de confondre la construction théorique avec son utilisation idéologique. Quand la confusion s’est produite, on sait que cela a pu produire les pires ravages. En ce sens les nombreuses démarches d’allure scientifique, d’ordre statistique ne suffisent pas au plan théorique, dénonçant dans leur énoncé même la vacuité intellectuelle dans laquelle on peut se tenir. L’idéologie de la discrimination et les pratiques de la désintégration rendent insupportable l’idée même du handicap. On en voit l’effet dans le discours ambivalent à propos du handicap, à la fois négativement appréhendé et annulé dans des procédures d’assimilation : on le nie en même temps qu’on en promeut la stigmatisation.
4. L’aliénation universitaire et la fascination du maître
Longtemps en proie à l’idéalisation de l’universitaire et du psychanalyste producteurs de sens, le psychologue se trouve dans une dépendance contrainte à l’universitaire scientiste, producteur de preuves. L’on trouvera une ou deux universités en poste avancé dans cette dynamique : l’enseignement psychanalytique n’est plus que du semblant, l’emprise cognitive est majeure, la référence technique est de l’ordre des rééducations comportementales. On en sort des réadaptateurs, agents sociaux de la gestion des populations, légitimés par les faux-semblants de la preuve dite scientifique sur le modèle de l’Evidence Based Medecine, porteurs d’un titre de psychologue. Ils deviennent avec les neuropsychologues l’avant-garde des nouvelles générations de psychologues. Experts de la norme, l’on craint qu’ils ne se transforment en chiens de garde de l’ordre social. Il n’y a pas débat, et les refus des praticiens de prendre en stage les étudiants nouvellement formatés sur ce mode ne changent rien à l’obtention d’un diplôme dont la seule garantie ne peut être qu’universitaire dans le système actuel. La psychologie clinique instaurée par Lagache et Favez-Boutonnier est en risque d’éradication par l’idéologise scientiste, la clinique n’ayant plus guère de défenseurs au sein même de l’université et ne pouvant compter sur la mobilisation des praticiens. Une pensée opératoire, impersonnelle et opérationnelle, tient lieu d’espace théorique et la clinique se réduit à des substrats techniques dans lesquels la métonymie est prégnante : on traite l’obsessionnel par des rituels obsessionnels, l’abuseur sexuel par des techniques de masturbation, etc. Il y a déni de l’intime qui se redouble d’un déni de l’altérité. L’entretien clinique devient investigation, l’aveu supplante la confidence, la manipulation remplace l’accompagnement, l’agir verbal, perlocutoire, se substitue à la densité de la parole. L’entretien n’est plus un colloque singulier dans un lien intersubjectif mais une enquête voire un interrogatoire, affiné par les techniques psychosociales de la manipulation. Le questionnaire remplace l’entretien clinique. Il n’y a plus de transfert, et encore moins de contre-transfert, puisque l’un, déficitaire, n’aurait qu’à suivre les directives et suggestions de l’autre. Une clinique sans épaisseur dans laquelle la psychopathologie est ramenée à une nosographie descriptive. L’exploration sémiologique n’est plus la recherche d’une signifiance inscrite au creux de la symptomatologie mais un questionnaire impersonnel validé statistiquement. La narrativité et l’histoire du sujet n’est plus qu’un recueil de signes dont le catalogue suffit à donner raison. Il n’y a plus de sujet mais un individu dans son rapport à la norme. Il n’y a plus de clinicien mais un évaluateur doublé d’un avide remédiateur, nouvelle figure du technicien, chien de garde de la norme édictée par une nouvelle technocratie, celle des universitaires. Une psychologie déshumanisante, coincée entre techniques de la torture et camps de rééducation d’un côté (voir les comptes-rendus sur Guantanamo et la fonction des psychologues), l’aliénation persuasive d’un marketing séducteur et les certitudes paranoïaques de la science de l’autre. Une pratique sans éthique se drapant dans une déontologie d’apparat qu’on veut imposer comme une norme. Une psychologie sans ordre mais fédérée sous le diktat de nouveaux mandarins autoproclamés. C’est là que se trouve la précipitation de ces nouveaux chefs de clans à vouloir faire légiférer un code renouvelé de déontologie, au service de leur propre pouvoir, en se passant d’une représentation démocratique des psychologues.
Incapacité, impossibilité, déqualification
A un moment de la mutation de la psychiatrie, on aurait pu attendre une augmentation du nombre des psychologues mais aussi la possibilité de responsabilité accrue dans les directions cliniques des unités fonctionnelles. Or d’un côté le corps médical a tenté d’asseoir sa position, de l’autre le corps infirmier a accru son pouvoir, les psychologues sont restés en retrait, silencieux et passifs. Isolés dans leur service, individualistes dans leurs démarches, ne possédant guère les notions minimum d’identités professionnelles, les psychologues ont été singulièrement absents des débats en cours. Les collèges, quand ils fonctionnent, n’ayant qu’une valeur d’animation, n’ont que peu de poids et ne rassemblent pas l’ensemble des psychologues. De la même manière, voit-on nombre de jeunes recrutés sur des contrats de vacataires sans que la corporation ne se soucient réellement ni du statut de précarité de ces jeunes gens, ni du détournement des modes de recrutement : les plus anciens les ignorent, les plus fragiles s’en détournent, les plus récents titulaires compatissent. Pareillement, possédant un temps une représentativité possible a minima dans la Commission technique d’établissement en Centre Hospitalier, ils s’en sont vus déloger par l’arrivée des cadres infirmiers dont le statut a été remanié, le salaire revalorisé au-delà de celui des psychologues. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui avec l’accès pour les infirmiers au statut de Cadre A. Les psychologues n’ont plus de représentativité institutionnelle dans les hôpitaux : ils n’existent plus, bientôt inféodés au corps infirmier. Là encore aucune réaction. Plus ils sont niés plus ils s’absentent. Curieuse profession : potentiellement savante, de haut niveau de formation, issue d’un processus sélectif important, possédant à l’occasion une haute idée d’elle-même, elle se contente d’un salaire faible, accepte d’être maltraitée institutionnellement avec passivité, se voit dépouiller de ses techniques et pratiques sans broncher, laisse ses terrains d’exercice appropriés par d’autres sans réagir. Drôle de profession !
Le psychanalyste a été une figure identificatoire forte pour les psychologues, jusqu’à renier leurs origines indignes, un autre pôle a été la figure universitaire, détenteur sacré du savoir, en raison de la dépendance prolongé et entretenue sur les bancs de la faculté. Pris en tension entre deux modèles identificatoires : l’universitaire et le psychanalyste, surinvestis et surévalués, le praticien a souvent oublié que ces deux modèles n’étaient peut-être que des leurres qui occultaient son propre savoir et ses propres compétences, regardés avec condescendance ou mépris par ces deux figures tutélaires. Le psychologue a cru s’émanciper de la médecine en se mettant sous la tutelle de la psychanalyse, comme il croit aujourd’hui s’émanciper de la psychanalyse en se livrant à la psychologie universitaire cognitive. De la même manière il s’est trouvé pris en tenaille entre l’emprise médicale, voulant en faire son auxiliaire et l’emprise universitaire voulant en faire un ingénieur d’application. L’un et l’autre, et quelques autres d’ailleurs, le laissait en proie à des tentatives d’assujettissement, auxquelles il est vrai il ne sut guère résister, niant dans les faits une autonomie qu’il affirmait ou réclamait dans son discours.
Le psychologue est objectivé en son identité professionnelle, doublement aliéné d’avoir la certitude d’y être sujet.
Je défendrai certes l’existence de Service de psychologie avec la direction d’un(e) psychologue, de même que j’avance l’idée d’une Commission psychologique d’établissement. D’aucuns pousseront des cris d’orfraie, refusant l’idée d’une hiérarchie interne, tout en laissant leurs collègues mis à mal par des directions administratives ou médicales, tout en laissant l’exercice de la psychologie aux mains de toutes sortes de professionnels, tout en ne défendant pas la création de postes là où une intervention psychologique est attendue.
5. L’insanité de la fonction psychologique
L’inféodation des psychologues
L’on sait que la démarcation sociale de la profession est floue, ce qui, dans le contexte actuel, rend fragile la position, voire le devenir, de la psychologie. La prégnance des DSM, de la quantification, de l’évaluation statistique, de la démarche descriptive-comportementaliste, la montée des neurosciences, voient apparaître de nouvelles dynamiques. Le développement des entretiens structurés, des questionnaires et des pratiques conseillées, tend à une psychologie médicalisée utilitariste. Le renforcement de l’identité médicale, du moins sur certains aspects, s’accompagne d’une marginalisation et d’une inféodation des psychologues. On pourrait citer dans une liste non exhaustive :
a) Le rapport Cléry Mélin Kovess : des professionnels non psychologues faisant du « conseil psychologique »
b) La nomenclature des actes médicaux (DHOS (DIRECTION DE L’HOSPITALISATION ET DE L’ORGANISATION DES SOINS), CNAM (CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE MALADIE) : tests cognitifs, projectifs et autres inclus dans la rubrique tests neuropsychologiques.
c) La conférence de consensus sur la Crise suicidaire : approches psychologiques et bilans psychologiques recommandés, mais sans mention des psychologues.
d) Le rapport Piel et Roelandt : contestation des compétences réelles des psychologues, conception réductrice de leurs fonctions, technicisation de l’activité psychothérapique soumise à prescription.
e) Le rapport sur les troubles mentaux de l’enfance : dépendance du psychologue au médecin.
f) Le projet de santé mentale : emprise grandissante des infirmiers généraux, extension abusive des pratiques et entretiens infirmiers, logique d’accréditation et de rationalisation des soins et des coûts.
g) La suppression de la mention : tenant compte des aspects psychologiques, dans la loi HPST récente
Ainsi, le psychologue est convié à une certaine inexistence, fondu dans l’anonymat des professionnels de santé substituables. On savait la misère du statut de psychologue, déniée par la fétichisation théorique et identitaire, par l’évitement des réalités institutionnelles et de la réalité des enjeux de pouvoir. On décrivait sa difficulté à assumer la responsabilité de leur pratique, et son refus d’exercer la prise de décision et d’encadrer du personnel. On connaissait sa complaisance idéologique inavouée, son absence de pouvoir de décision. On avait noté la position d’expert excentré réalisant, de fait, la faillite éthique du psychologue. On avait décrit la résistance forcenée et paradoxale des cliniciens à prendre des responsabilités. On avait évoqué la place dérisoire du psychologue réduit à des fonctions d’application et en proie à l’illusion dans un rôle de psychanalyste, d’expert neuropsy, etc. On l’avait montré comme un des maillons les plus exposés, exerçant dans des conditions indignes d’exercice. On avait analysé des situations conflictuelles avec les hiérarchies, révélant des psychologues isolés dans des positions institutionnelles difficiles. On savait son alternance entre des attitudes de soumission équivoque et de revendication de partage de pouvoir. On avait stigmatisé l’inertie des psychologues à défendre leurs propres territoires, leur incapacité de se structurer dans les luttes professionnelles, et leur incertitude dans les procédures de légitimation. On se scandalisait de l’asservissement par le pouvoir médical, et l’on s’inquiétait de la marginalisation due à l’apparition d’un titre de psychothérapeute. Cette insécurité professionnelle, marquée par la vulnérabilité statutaire dans le rapport avec les hiérarchies, renvoie bien sûr à la multiplicité de statuts derrière un titre unique, à l’activité professionnelle non réglementée et au code déontologique non légalisé. Elle rend compte aussi d’une profession éclatée, diffractée, dont l’absence d’organisation unique (et donc de pouvoir politique) traduit la défaillance dans la capacité d’auto-organisation. On sait l’absence de pouvoir réel des collèges, et les conséquences de l’absence de service de psychologie dirigée par des psychologues. L’assujettissement les place en posture paradoxale quant à leurs revendications déontologiques : dame de service ou valet de pied, le psychologue devient technicien, agent de normalisation et de colonisation des esprits réfractaires. Point de souci, si aucune réaction des professionnels ne survient, tout est en place au plan formatif, statutaire, salarial, idéologique, pour que les psychologues (re)deviennent les psychotechniciens, les psychorééducateurs, les agents de normalisation de demain.
L’éradication de l’intersubjectivité
La psychologie clinique étant en voie d’éradication dans certaines universités, la psychologie prend une orientation conforme aux dominantes anglo-saxonnes. Le champ de la psychologie française tend à se structurer, largement soutenu et impulsé par la Fédération Française des Psychologues et de la Psychologie, autour d’un tryptique : neuropsychologie, cognitivo-comportementalisme, psychologie sociale de la santé. Le terme de clinique fait même l’objet d’un travail d’appropriation et de redéfinition afin d’en épurer le sens donné par Lagache et Favez-Boutonnier. Ce n’est pas un hasard si la FFPP a proposé un colloque sur le thème de la clinique et des cliniques : l’opération est d’abord idéologique. La clinique se médicalise et se technicise perdant progressivement son attache subjective. Le terme de clinique est galvaudé afin de promouvoir des cliniques psychologiques. Des nouvelles professionnalités se dessinent sous le joug du savoir universitaire. Elles trouvent appui sur deux axes principaux : un axe techniciste et rééducatif, un axe fonctionnaliste et gestionnaire. Le premier a pour parangon une neuropsychologie renouvelée, dans une justification tronquée aux neurosciences (E. Zarifian) et sert de fer de lance à un comportementalisme ragaillardi, lavé désormais des suspicions d’Orange mécanique. Le second construit son modèle dans une vision inféro-statistique, doublée d’une approche psychosociale. C’est une psychologie de la prévention, de l’orientation et de la manipulation (J.L. Beauvois). Elle substitue à un subjectivisme jugé perfide l’efficace d’une intervention raisonnée. Elle construit sa logique sur les résultats statistiques des études randomisées, affichés comme d’une validité solide, et débouche par exemple sur les rapports de l’Inserm dont on connaît l’efficace. La garantie de la scientificité n’est pas l’assurance d’une éthique sans faille. Jensen, Eysenck et bien d’autres livrent l’exemple d’une vision scientiste qui débouche sur des formes discriminatives ou racistes (Billig, 1981). Certains récents rapports de l’Inserm (2004, 2005) ne sont pas sans impulser à nouveau ces logiques discriminatives, statistiques à l’appui. Les troubles des conduites avaient démontré les logiques politiques sur lesquelles débouchait ce type d’approche. Elle ne suppose plus de préoccupations à propos du sujet, et encore moins des interrogations sur la position (contre-transférentielle) du clinicien. Celui-ci possède avant tout un savoir validé et des techniques opératoires. En ce sens, la nouvelle psychologie scientiste et techniciste évacue les interrogations surgies ses dernières années. Ce qui est en train de s’imposer est une modification du paradigme référentiel des praticiens qui demeurent passifs, si ce n’est collaborateurs de ce qui advient. Au fond, l’on en vient à former des auxiliaires médicaux, psychorééducateurs ou nouveaux psychothérapeutes, répondant aux préconisations de l’Ordre des médecins des années cinquante. Cette mutation des théories et pratiques psychologiques a pour opérateur institutionnel et idéologique une certaine Fédération, véritable allié objectif de cette conception. Le dispositif Europsy, dont l’initiateur principal en France semble être un rédacteur d’un pré-projet au décret sur le titre de psychothérapeute dont on sait le résultat, est l’instrument privilégié d’aliénation et d’asservissement volontaire. Le fait que par des manœuvres diverses ce projet Europsy soit en passe de s’inscrire dans le dispositif licence est une véritable atteinte à la profession de psychologue et à son devenir.
6. Un objet incohérent et insaisissable
On le rappelle, la psychologie clinique est une praxis se déployant en de multiples contextes, en de multiples figures qui se nourrit d’une diversité de théories : site unitaire des psychologies. Se présentant à la fois comme domaine d’intervention, comme démarche, comme méthode et comme domaine d’application, elle peine à se situer et soutenir un discours non réducteur qui puisse articuler des épistémologies régionales. Elle est une rencontre avec le réel, caractérisée par la centration sur le sujet, engendrant des dynamiques relationnelles dont l’objet épistémique est le psychisme. La formation ne peut être pensée que dans une co-construction avec le fait clinique ; elle suppose l’intersubjectivité comme condition méthodologique. Elle travaille à la congruence entre l’élaboration théorique et la perlaboration psychique au travers de dispositifs à symboliser. Elle implique une réelle expérience professionnelle des formateurs, un refus de la confiscation de la recherche par des universitaires, un refus de l’hégémonie d’un modèle expérimental en clinique. On trouve au cœur de la clinique, la psychopathologie comme science de la souffrance psychique. L’éradication de la psychopathologie comme processus et sens au profit d’une pathologie comme critères sémiologiques que promeut une psychologie comportementalo-cognitiviste participe de la disparition de la psychologie clinique au profit de rééducations, de cliniques psychologiques. La psychologie clinique est insécable d’une psychopathologie compréhensive qui inscrive le processuel dans l’histoire du sujet.
7. La valence dépressive ou la mélancolisation de la profession
La fragmentation de l’identité et de l’image du corps
En 2004, François Duparc s’attelle à spécifier l’influence de trois idéologies actuelles sur la psychiatrie. La première est l’idéologie de la libre communication, inspirée du libéralisme économique. Elle conduit, face à l’opacité du malade mental, à recourir à des symptômes montrables, des pathologies vitrines, des services d’urgence ou des cas extrêmes : exclusion, perversion sexuelle, victimologie. On voit ainsi le revers du culte de l’urgence et cet exhibitionnisme de la criminologie/victimologie, qui risquent d’attirer aussi de furieux carriéristes plus soucieux d’eux-mêmes que d’autrui. La deuxième est l’idéologie de la solitude ou de l’individualisme qui mène aussi au morcellement extrême de tous les groupes sociaux. Il s’en suit la perte des solidarités rendant impossible la réinsertion des malades mentaux. Elle entraîne une idéologie de l’exclusion des improductifs. La troisième idéologie est celle des technosciences cognitives et de la maîtrise informatisée du savoir. Il en résulte les filières de soins, les références médicales opposables et les traitements codifiés, l’obsession du dénombrement et de la mise en fiche, les psychothérapies efficaces, etc. « L’important est la maîtrise par le savoir, la codification dans les grilles du DSM 4, qui serviront ensuite à distribuer les crédits et les médicaments en fonction des lobbies du moment » (p. 214). Le DSM 4 présente les caractéristiques connues : caractère anhistorique et quasiment anti-évolutif, visée pharmacologique des descriptifs symptomatiques, idéologie individualiste, moralisme conventionnel et conformisme social.
Fragmentation et réification de l’humain
Une autre dimension de l’institutionnalisation de l’humain, avancée par P. Legendre, suppose un principe logique : « Fabriquer l’homme, c’est lui dire la limite. Fabriquer la limite, c’est mettre en scène l’idée du Père, adresser aux fils de l’un et l’autre sexe l’Interdit » (p. 22). L’entrée dans l’ère du bon plaisir induit la destitution des fils, la confusion de l’enfant et de l’adulte, de l’inceste et de l’amour. Elle s’accompagne d’une fragmentation de l’homme, dispersé en pièces et morceaux en raison de la prégnance des sciences et des techniques. « Il est assuré que les propagandes scientifiques portent une nouvelle barbarie et que la pensée des temps qui viennent exigera des héros ». C’est le triomphe de la science et du management. Ce dernier instaure une gestion qui promeut le monde du bonheur alors que la science soutient la séparation du somatique et du psychique. Elle induit une fragmentation de l’image du corps, découpé en pièces technologiquement réparables, remplaçables et améliorables. L’homme machine de La Mettrie fait un retour cinglant et rend possible le principe d’un bébé parfait, eugéniquement idéal. D’ailleurs la psychologie cognitive découpe le bébé et l’homme en compétences plus affinées de jour en jour (O. Houdé, S. Dehaene) sur fond d’un discours scientiste. Les mécanismes neuronaux deviennent la clé du fonctionnement psychique (J.P. Changeux) en manque que chaque pièce du corps devient potentiellement substituable. « Rien de nouveau là-dedans non plus depuis l’animal-machine de Descartes, l’homme-machine de La Mettrie, l’homme-chien de Pavlov, l’homme-rat de Watson : pourquoi ne voudriez-vous de l’homme-cerveau, doublé d’un robot-macaque, de Changeux et Dehaene ? » (E. Jalley ). D’ailleurs cette promulgation de l’homme comme animal, machine, chien, rat, cerveau, macaque n’est pas sans écho avec le champ du politique. En d’autres occasions, j’avais pu souligner qu’à la lecture des rapports de l’Inserm on percevait l’apparition de nouvelles catégories de psychologues, plus proches du primatologue que du psychiste . Mais son incidence peut aller plus avant : « Il faut reconnaître à Sarkozy une profonde connaissance de la subjectivité des rats. Il les attire avec virtuosité. (…) Le rat est celui qui a besoin de se précipiter dans la durée qu’on lui offre, sans être en état de construire une autre durée » (A. Badiou ). L’enfant est le lieu exemplaire de ce nouveau contrat social ou traitement de l’humain. Alors quel bébé ou enfant nous façonne-t-on sous le couvert d’un encensement ? Il est l’objet d’une normalisation intensive. On traque le déviant, le troublé psychique en herbe, pour le rééduquer et le médicaliser. La médicalisation de l’existence et de la souffrance psychique (R. Gori) au travers le dépistage systématique qui le précipite vers la rééducation psychosociale et cognitive conduit à une objectivation de l’enfant. Il est objet à valeur marchande et signes monétaires. La réification du bébé, qui est déni de l’altérité au profit supposé d’un bonheur lisse. Ceci implique un contrôle récurrent dans un monde décrit par M. Foucault de manière à construire cet individu autonome, ayant une bonne estime de lui et sachant s’affirmer, mais soumis à l’exigence libérale. Les parents quêtent cet enfant surdoué, aux compétences multiples, devenus le fétiche, la valeur même de l’enfance.
8. La conduite suicidaire
Dans le bulletin de la Fédération Française de psychiatrie de décembre 2000, il fait état de la Conférence de consensus sur « La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge » avec l’aide méthodologique de l’ANAES et le soutien de la Direction Générale de la Santé. Le premier chapitre définit la crise suicidaire comme « un moment d’échappement où la personne présente un état d’insuffisance de ses moyens de défense et de vulnérabilité, la mettant en situation de souffrance pas toujours apparente et de rupture » (p. 3). Elle est précisée comme « un état réversible temporaire, non classé nosographiquement, correspondant à une rupture d’équilibre relationnel du sujet avec lui-même et son environnement ». Face à cet état, il est proposé un « recours (…) systématique » au médecin. Après une description des aspects sémiologiques, il est précisé : « La recherche des facteurs de risque au cours du bilan psychologique d’un sujet en état de crise suicidaire peut apporter des informations de valeur, mais à condition qu’elle soit faite dans le cadre d’une appréciation globale de l’ensemble du contexte psychopathologique » (p. 5). Il est fait mention des divers facteurs de risque (primaires, secondaires, tertiaires, les idées suicidaires, l’impulsivité, les événements de vie), des modalités de repérage et d’évaluation de la crise. A propos des modes d’interventions associant intervention de crise, suivi au long cours, prise en charge individuel et implication de l’entourage familial et social, il est cité nombre de professionnels ou lieux institutionnels sans que les psychologues ne soient différenciés. Pour le milieu scolaire, la référence est faite à l’infirmière ou au médecin scolaire, voire aux médecins traitants, au dispositif d’urgence ou spécialisé en psychiatrie ; pour le milieu professionnel la référence est celle du médecin du travail et du médecin traitant. Les médecins généralistes sont au premier plan au titre du repérage et de la prise en charge en tant qu’ils sont le premier recours. Les paramédicaux, souvent en première ligne, se voient recommandés une orientation vers les professionnels de la santé mentale. Le psychiatre, quant à lui, « peut intervenir à toutes les phases de la crise suicidaire » (p. 11) : évaluer la psychopathologie et poser les diagnostic psychiatriques, établir une relation médecin/malade (la psychothérapie analytique est évoquée), proposer des dispositifs institutionnels, prescrire une médication. Dans les recommandations, il est fait mention du « recours à la psychothérapie dans tous les cas où cet abord est indiqué pour traiter les facteurs psychopathologiques de vulnérabilité ou diminuer les effets critiques » (p. 12). Des remarques finales portent sur la nécessité d’un suivi dans tous les cas, diverses modalités sont envisagées, précisant d’ailleurs que « le suivi ne sera pas systématiquement médicalisé » (p. 14). Dans ce long texte de la conférence de consensus à aucun moment il n’est fait mention des psychologues alors même que la thématique se déploie sur des troubles psychologiques, non systématiquement associés à des troubles psychiatriques. L’évocation d’un bilan psychologique (sans que soit précisé clairement le professionnel qui l’effectue) s’inscrit dans une distinction curieuse d’avec la psychopathologie, ravalant le bilan psychologique dans une forme de bilan paramédical. Cette absence, ce vide, voire ce déni de ce professionnel qu’est le psychologue dans un champ dans lequel il devrait avoir une place non négligeable pourrait signaler l’inexistence à laquelle est conviée le psychologue, fondu dans l’anonymat des professionnels de la santé, du réseau des travailleurs sociaux. Au fond, la psychologie n’est pas l’apanage des psychologues, la psychopathologie ne les concerne pas, quant à la psychothérapie …. N’est-ce pas ce que l’on risquerait d’entendre de ce propos des psychiatres de la FFP, avec le soutien de la Direction Générale de la Santé ?
Un autre exemple pris dans le champ des pratiques. L’on sait que depuis la publication du Décret de compétences des infirmiers le 16 mars 1993 s’est développé la notion d’entretien infirmier associé à la notion d’entretien d’aide, de soutien psychologique, d’entretien à visée psychothérapique. Les infirmiers généraux ont déployé de manière systématique la pratique de ces entretiens infirmiers en particulier dans le champ de la psychiatrie pour des motifs que je définirai comme stratégiques. Ceci a donné lieu en de nombreux endroits à la mise en place d’entretiens réguliers par exemple dans les CMP, dans les structures d’accueil et dans les structures d’hospitalisation plein temps. Ces entretiens réguliers se décrivent volontiers par certains soignants comme des entretiens psychologiques de soutien, de guidance, voire psychothérapique ; leur légitimité s’appuie sur la compétence légale à mener des entretiens dits infirmiers, formulation uniquement corporatiste. De la même manière, le développement des services « psy » d’urgence composés principalement d’infirmiers et secondairement de psychiatres confronte à des situations qui ne s’arrêtent pas au recueil de données et au travail d’orientation : entretiens psychologiques face à des situations de crise, accompagnement des familles confrontées à l’annonce d’un deuil brutal, entretien de soutien et d’évaluation après des TS, interventions auprès de personnes confrontées à des maladies somatiques graves, intervention avec le SAMU auprès de personnes impliquées dans un accident, etc. Tout un ensemble d’interventions psychologiques sont clairement affichées comme pouvant se passer de psychologues. Ne pourrait-on rappeler que la mise en place par L. Crocq de ces dispositifs d’urgence médico-psychologique, appelés ailleurs cellules d’urgence psychologique ? L’on perçoit dans certains propos, comme dans un récent article de la revue Forenczic (S. Bourcet,Y. Tyrode), qu’il s’agit de dispositifs dirigés, organisés par des psychiatres avec l’aide de « psychologues ou d’infirmiers » : il s’agit au travers de cet « ou » de faire équivalence entre infirmier et psychologue, ici confondus. Le choix français est médico-centré, et les psychologues rabattus dans des fonctions paramédicales, voire remplacés par des infirmiers, plutôt favorables à une telle substitution : une formation polyvalente d’infirmier vaut bien un DESS (ou Master) de psychologue ! Une cellule d’urgence psychologique est nécessairement dirigée par un psychiatre ! Encore, dans un autre champ, la souffrance des adolescents est un sujet d’actualité récurrent, la seule interlocutrice en collège ou lycée est l’infirmière, à laquelle quelque formation complémentaire suffira, parfois l’assistante sociale ; une autre modalité est l’ouverture de Point Jeune sans qu’un psychologue ne paraisse nécessaire. Médecin, infirmier, éducateur, assistante sociale, tout un chacun est substituable à un psychologue. Après tout pour répondre aux souffrances psychologiques, pour pratiquer des interventions psychologiques est-il nécessaire d’avoir recours à des psychologues ? Les institutions soignantes, éducatives laissent entendre que la réponse est négative. L’annonce, enfin, de la prise en considération et en charge des troubles d’apprentissage de type dyslexique/dysphasique par l’Education nationale dans un projet signé par Lang, Kouchner, Gillot évoque médecin, orthophoniste et enseignant sans que soient, apparemment, nommés les psychologues. Que penser de ce que signe là les Ministères de l’Education Nationale, de la Santé et le Secrétariat d’Etat aux handicapés ?
Nombre d’autres exemples pourraient illustrer le déni des professionnels que sont les psychologues. Du moins sont-ils enfermés dans des fonctions secondarisées d’expert ou de spécialistes, dans les quelles nombre d’entre nous semblent se complaire. Pourtant, en milieu hospitalier, les démarches d’évaluation et de rationalisation des soins et des temps de travail articulées au temps psychothérapique risquent de figer les psychologues dans des places bien secondaires, rapidement confondus avec les infirmiers qui ne seront pas sans avoir des salaires équivalents et des opportunités plus importantes de réaliser des entretiens psychologiques. Faudra-t-il un jour passer un diplôme d’infirmier, par exemple, pour exercer des fonctions de psychologues ?
Que font les psychologues face à de telles situations : manifestement peu de choses. L’indifférence, l’inertie, l’absence de conscience des enjeux caractérisent la position institutionnelle des psychologues. Or ce double déni, celui de la présence de psychologues pour effectuer un travail psychologique et celui d’une réelle autonomie d’exercice pour les psychologues, réalise une tendance lourde, activement menée par un courant de psychiatres souhaitant paramédicaliser les psychologues, activement concrétisée par les hiérarchies infirmières voulant inclure le travail psychologique dans l’exercice infirmier. Et l’éclatement des organisations professionnelles, les positions libérales et individualistes des psychologues, l’inexistence d’un corps professionnel, la rétraction sur des « avantages » acquis, la diffraction des titres, statuts et DESS, la crainte des pouvoirs institutionnels, l’absence de présence sur le champ médiatique, la carence des liens représentatifs auprès des institutions législatives et administratives, l’incapacité à mener des revendications sur un mode éventuellement offensif et collectif, etc. désignent cette corporation comme politiquement peu capable de pouvoir s’affirmer au plan statutaire et institutionnel, comme peu capable d’obtenir une reconnaissance réelle au plan sociale. Trop passive, cette profession s’expose, de son propre fait, à une certaine marginalisation. C’est probablement par la médiatisation et l’exercice de pressions politiques que des avancées pourront avoir lieu : il n’y pas de raisons de penser, dans un contexte polémique et de luttes territoriales, que d’autres donnent aux psychologues ce qu’ils sont incapables de s’approprier par eux-mêmes.
N’y aurait-il pas lieu de réclamer de manière véhémente que des psychologues soient recrutés là où une intervention psychologique est exercée ? Faut-il rappeler que le travail psychologique ne devrait pas relever d’infirmiers, d’éducateurs, de médecins, etc. ? Doit-on souligner aux psychologues certains paragraphes du Code de déontologie ?
Comment une corporation qui n’existe pas au sein des grands projets de santé publique peut-elle assurer aux professionnels que ce à quoi ils se sont formés garantisse une place dans les dispositifs mis en place ?
Nous ne sommes pas sans percevoir qu’il y a un manque structurel : une organisation nationale à même de positionner le corps professionnel, de peser sur les orientations publiques, de soutenir la mise en place de dispositifs, en particulier cliniques, de régler les modes et conditions d’exercice. La maladie infantile de la psychologie semble être de vouloir se maintenir dans un individualisme farouche en refusant la prise en compte des réalités politiques et institutionnelles. Elle pâtit de fait de cette position qui la conduit à sa propre négation.
L’initiative méritoire, dont on ne peut que les féliciter, des organisateurs des Etats Généraux en mars 2000 risque de se heurter à l’inertie du corps professionnel, à son goût pour une certaine victimisation, à son appétence à ces luttes internes fratricides et ses rivalités. Ils ont posé une excellente question aux professionnels et leur renvoient leur propre responsabilité. Le rapport de synthèse réalisé par J.F. Camus donne pourtant des indications précieuses sur les enjeux, et l’intervention du représentant anglais livre la mesure d’une profession qui ose clairement affirmer ses prérogatives. (On a vu hélas le délitement de cette dynamique, son rabattement sur un petit groupe qui a géré la dite Fédération avec les prises de pouvoir inhérentes. Cette Fédération ne représente au fond plus rien, si ce n’est un ramassis de multiples petites organisations, et tente de s’afficher comme représentante de la profession. Elle ne représente jamais qu’elle-même et ses membres auto-nommés dans une vision conservatrice de la profession).
9. Dépolitisation, perte de sens et idéalisation des figures de pouvoir
Nouvelle économie psychique de la désubjectivation
Selon certains travaux, une désinscription des liens sociaux, induisant des nouvelles maladies de l’âme (J. Kristeva) et suscitant une subjectivité désarrimée. Ce qui est cause est l’impact du politique qui suscite la désorientation induite par le néo-capitalisme mondial. Il engendre une peur conservatrice et crépusculaire qui suscite le désir d’avoir un maître qui vous protège (A. Badiou). Et un état légitimé par la peur se transforme en société de contrôle : « La vérité de la situation c’est la guerre ». Cette dynamique trouve appui sur la technique et la libre concurrence. Celle-ci est la libre circulation des produits et flux financiers. Il n’y a plus que des choses, les objets vendables et les signes monétaires (J. Baudrillard, B. Stiegler). Se réalisent la soumission la plus abjecte à la réalité et l’hégémonie sans réserve du service des biens (J. Lacan). Elle opère par une gestion bureaucratisé qui entraîne une ségrégation majeure. Devant la violence ressentie surgissent soit des formes réactionnaires soit des réactions émeutières qui conduisent à des formes répressives à la fois physiques et symboliques. Il leur est renvoyé de se tenir à leur place. Car ce qui ne circule plus ce sont les sujets humains. Les nouveaux totalitarismes prennent les oripeaux de la démocratie, les nouveaux discours racialistes s’habillent des vertus de l’histoire. De nouvelles exclusions apparaissent, lieu des violences guerrières. « Un mur qui sépare la jouissance des riches du désir des pauvres ». L’indétermination démocratique (C. Lefort) s’analyse comme une modalité de la désaffiliation sociale (R.Castel). Le sujet, ne trouvant plus d’étais sociaux symboliques pour s’inféoder à des appareillages sociopsychiques groupaux, tente de s’autofonder. Mais il ne trouve à se bâtir que sur une colonne absente (G. Michaud) ce qui l’expose aux risques d’une perte d’identité (A. Touraine), d’une désubjectivation. Face à cette indétermination, il ne lui reste que des réponses techniques, opératoires dont l’efficacité attendue viendrait effacer ce qui fait point de souffrance. C’est désormais le discours de la science qui organise le lien social ; cela rend problématique l’exercice d’une fonction symbolique, en tant que ce discours règle le monde par des énoncés et par l’élision de l’énonciation (J.P. Lebrun). On est à face à un processus de désymbolisation (M. Gauchet). Ce que nous avions évoqué dans un précédent ouvrage rappelle ce déclin des solidarités instituées et des cadres symboliques laissant place à un espace performatif sans passé. « Chacun désormais indubitablement confronté à l’incertain, doit s’appuyer sur lui-même pour inventer sa vie, lui donner un sens et s’engager dans l’action (…). L’indétermination est un mode d’existence de masse dont l’individu conquérant et l’individu souffrant dessinent les bornes et les inexorables tensions » (A. Ehrenberg ).
La circulation des signes et le vide interne
La désinstitutionnalisation de la famille (L. Roussel), à laquelle ne peut répondre que l’enlisement gestionnaire du droit (I. Théry), est lié au déclin de l’autorité et de la légitimité du père , souligné par de nombreux auteurs. Ce déclin a pour effet de désarrimer le sujet pris dans la confusion entre l’indépendance (liberté sans limite) et l’autonomie (capacité à se structurer selon des lois) : « c’est le sujet qui est seul à dire non, et si ce non se trouve désavoué par le social, cela l’amène à se sentir marginalisé et donc à se déresponsabiliser » (J.P. Lebrun). P. Legendre, dans La Fabrique de l’homme occidental, rappelle que derrière tous les miroirs et les emblèmes se tient un vide, le gouffre, l’Abîme de l’existence humaine : « C’est cette Abîme qu’il nous faut habiter. La raison de vivre commence là » (p. 12). L’Abîme trouve figure humaine au travers du naître et du mourir. Mais l’homme occidental apparaît dans le monde dans une mise en scène scientifique et rationnelle. Ce théâtre chirurgical met en question les mots, les images, les paroles et la raison de vivre pour que se façonne l’humanité. L’humanité est celle qui réside dans le vide. Mais « Occidentaux industrialistes, nous avons inventé le bruit incessant, les montagnes d’objets, la présence totalitaire du plein. Désertant le vide, nous oublions qu’il faut une scène à l’homme et que, sans les artifices qui permettent à l’homme d’habiter la séparation d’avec soi et les choses, le langage s’effondre, pour devenir consommation de signaux » (p. 16).
La vacillation dépressive du sens
Ce sont donc d’un côté une problématique de l’identité, fortement ancrée à la fonction narcissique de l’image de soi, et de l’autre une problématique de la symbolisation, fortement marquée par une vacillation dépressive potentielle du sens, qui trament les processus modernes de la subjectivation. « La mutation de notre organisation sociale, centrée désormais autour du discours de la science, a comme conséquence majeure une perte de référence (…) c’est ce dispositif qui a entraîné un ensemble de faits que nous qualifions aujourd’hui de société, et qui a induit l’apparition peut-être de nouvelles pathologies, en tout cas de nouvelles phénoménologies de comportements » (J.P. Lebrun ). On observe des personnalités en mal d’identité et d’identification, pauvres dans le registre de l’élaboration imaginaire, en difficulté en ce qui concernent les représentations psychiques, s’exprimant plus par des agirs. L’identité se soutient d’invariants et est référée à la différence. Elle est à la fois ce qui est différent du reste et ce qui ne devient pas différent. Elle est une création de soi-même (dilatation de l’identité) et défense acharnée de ce qui me différencie de l’autre. D’un côté elle est maintien du même dans se propre puissance différenciante ; de l’autre elle est défense du même contre sa corruption par l’autre. Il y a un jeu dialectique. Mais des logiques d’intégration, d’annulation et de rejet, défont le jeu des différences et provoquent au pire la fermeture communautaire. Mais plus subtilement, se profile un exil permanent lié à la nécessité d’une flexibilité permanente. La virtualité des identités ou le transcendantal des intensités identifiantes se dissout en chaque instant. Profondément insécures et peu capables d’établir des relations affectives durables, ainsi se décrivent ces personnalités de la modernité. Elles présentent une mouvance psychopathologique avec une prédominance de troubles touchant à l’expression sociale (polytoxicomanies, troubles des conduites alimentaires, actes suicidants, violences et délinquances, ruptures et passages à l’acte, actes pervers polymorphes, etc.). Cette mouvance pathologique se déroule, au gré des événements et rencontres, sur le fond d’un état dépressif subchronique, d’une mauvaise estime et image de soi, d’une dépendance recherchée et refusée à autrui, d’une défiance revendicative à autrui, d’un affaiblissement du sentiment de culpabilité, de sentiments de honte et de poussées phobiques . Ce sujet en état limite (J.J. Rassial) est un sujet en prise avec des groupes éphémères dont le seul liant peut être le discours idéologique. Ce sujet est exemplaire d’une société de désinhibition (A. Ehrenberg), un sujet postmoderne, livré à son propre étalon, à l’abandon d’un étayage social, virant d’un sentiment de toute-puissance triomphant à un profond sentiment d’échec et d’inutilité. Un sujet en faillite, en panne de désir, en faute ! Le masochisme moral prévaut. Ce qui vient en compensation est alors l’image d’un bébé, objet plein, narcissiquement comblé et comblant, foncièrement antidépresseur.
10. Le Collège absent ou le manque à être
L’absence d’une structuration organisationnelle et institutionnelle de la psychologie en France est une antienne. Peut-on suspecter l’échec de la FFPP, Fédération Française des Psychologues et de la Psychologie, à représenter la psychologie : manque de représentativité de son bureau, conflits inter-associatifs, multiplicité d’associations non représentatives, proximité trop grande avec les universitaires expérimentalistes, insuffisance de la présence de professionnels, création de regroupement et existence d’oppositions fortes (SIEURPP, Psyclihos, SNP, SFP). Il y a donc un échec donc du fédéralisme ; il est lié, a-t-on coutume de dire, à la prégnance de l’individualisme, à l’absence de conscience d’appartenance à un champ professionnel, à l’idéologie libérale prégnante. La FFPP est devenue une association parmi d’autres, vouées à une lutte territoriale d’appropriation et de reconnaissance. Elle avait pourtant débuté dans une certaine euphorie d’un regroupement inter-associatif sur les cendres d’une organisation unique. C’est sur les failles de ce refus que se fonde l’échec fédéraliste.
Il en résulte une difficulté à se constituer comme profession, la psychologie ne reste qu’une occupation.
La fédération ou l’instrumentalisation des praticiens
La psychologie clinique étant en voie d’éradication dans certaines universités, la psychologie prend une orientation conforme aux dominantes anglo-saxonnes. Cette mutation des théories et pratiques psychologiques a pour opérateur institutionnel et idéologique la Fédération Française de Psychologie et des Psychologues (car c’est ainsi qu’il faut l’entendre), véritable allié objectif de cette conception. Les cliniciens d’orientation psychodynamique qui pensent y obtenir une reconnaissance risquent d’éprouver quelques déceptions ultérieurement. Longtemps en proie à l’idéalisation de l’universitaire et du psychanalyste producteurs de sens, le psychologue se trouve dans une dépendance contrainte à l’universitaire scientiste, producteur de preuves. L’on trouvera en Rhône-Alpes une ou deux universités en poste avancé dans cette dynamique : l’enseignement psychanalytique n’est plus que du semblant, l’emprise cognitive est majeure, la référence technique est de l’ordre des rééducations comportementales. On en sort des réadaptateurs, agents sociaux de la gestion des populations, légitimés par les faux-semblants de la preuve dite scientifique sur le modèle de l’Evidence Based Medecine, porteurs d’un titre de psychologue. Ils deviennent avec les neuropsychologues l’avant-garde des nouvelles générations de psychologues. Il n’y a pas débat, et les refus des praticiens de les prendre en stage ne changent rien à l’obtention d’un diplôme dont la seule garantie ne peut être qu’universitaire dans le système actuel. Bien entendu ce qui est dénoncé c’est une idéologie scientiste, sensible dans l’ouvrage Le Livre noir de la psychanalyse, doublée d’une naïveté épistémologique et mise en œuvre dans des stratégies institutionnelles d’emprise et de discrimination, réalisées avec une certaine perversité. Ce n’est pas simplement la psychanalyse qui est mise à mal (elle possède des moyens de résistance institutionnels et universitaires), mais surtout la psychologie clinique instaurée par Lagache et Favez-Boutonnier. Celle-ci est en risque d’éradication n’ayant plus guère de défenseurs au sein même de l’université et ne pouvant compter sur la mobilisation des praticiens. Une pensée opératoire, impersonnelle et opérationnelle, tient d’espace théorique et la clinique se réduit à des substrats techniques dans lesquels la métonymie est prégnante : on traite l’obsessionnel par des rituels obsessionnels, l’abuseur sexuel par des techniques de masturbation, etc. Il y a déni de l’intime qui se redouble d’un déni de l’altérité. L’entretien clinique devient investigation, l’aveu supplante la confidence, la manipulation remplace l’accompagnement, l’agir verbal, perlocutoire, se substitue à la densité de la parole. L’entretien n’est plus un colloque singulier dans un lien intersubjectif mais une enquête voire un interrogatoire, affiné par les techniques psychosociales de la manipulation. Le questionnaire remplace l’entretien clinique. Il n’y a plus de transfert, et encore moins de contre-transfert, puisque l’un, déficitaire, n’aurait qu’à suivre les directives de l’autre. Une clinique sans épaisseur dans laquelle la psychopathologie est ramenée à une nosographie descriptive. L’exploration sémiologique n’est plus la recherche d’une signifiance inscrite au creux de la symptomatologie mais un questionnaire impersonnel validé statistiquement. La narrativité et l’histoire du sujet n’est plus qu’un recueil de signes dont le catalogue suffit à donner raison. Il n’y a plus de sujet mais un individu dans son rapport à la norme. Il n’y a plus de clinicien mais un évaluateur doublé d’un avide remédiateur, nouvelle figure du technicien, chien de garde de la norme édictée par une nouvelle technocratie, celle des universitaires. Une psychologie déshumanisante, coincée entre techniques de la torture et camps de rééducation d’un côté, l’aliénation persuasive d’un marketing séducteur et les certitudes paranoïaques de la science de l’autre. Une pratique sans éthique se drapant dans une déontologie d’apparat qu’on veut imposer comme une norme. Une psychologie sans ordre mais fédérée sous le diktat de nouveaux mandarins auto-proclamés.
De ce point, retenons la nécessité de l’existence d’enseignants chercheurs maîtrisant les théories psychanalytiques, systémiques et groupales, soutenant la conception de la psychologie clinique issue des orientations de Lagache et Favez-Boutonnier. La formation devrait mettre au travail la question de la subjectivité et de la subjectivation ; elle devrait ouvrir à un travail d’interrogation du clinicien sur sa propre subjectivité, sur ce qu’il engage de lui-même dans sa praxis. Elle implique a minima une analyse de pratique d’orientation psychodynamique, une sensibilisation aux pratiques groupales (psychodrame, photolangage, relaxation, etc.) par une expérimentation réelle. Elle nécessite une formation à l’entretien par une triple entrée : des jeux de rôle facilitant la confrontation à une expérience, la construction de repères formels par apports théoriques et analyse de situations, l’exercice supervisé dans le cadre des stages. Ceci est valide pour l’ensemble des modalités d’intervention dont se soutient le psychologue. Elle entraîne l’appropriation d’une réelle psychopathologie dont la transmission ne soit pas le fait du médical.
Une mise au pas ?
Non content de ces critiques, je reprends mon interrogation dans la revue Pratiques psychologiques (12, 2006) en particulier à propos des psychothérapies pour décrire la position paradoxale des psychologues et les conséquences dramatiques de l’émergence d’une profession de psychothérapeute. En particulier j’écris : « Au fond, les psychologues ne peuvent s’avancer au titre de la profession, ce qui se voit renforcer par l’absence d’unité fédérative ou organisationnelle, représentative du corps professionnel (Dumarque, 2001) » (p. 493, opus cité). Je reviens là sur quelques unes des pistes que j’avais proposées. Je proposais un doctorat d’exercice, un pouvoir de décision des professionnels et maîtres de stage dans la délivrance du diplôme. J’invitais à la création de service de psychologie avec un responsable psychologue. A l’exemple de R. Samacher j’avais soutenu l’idée d’enseignants praticiens, à l’exemple d’E. Jalley j’ai marqué ma préférence sur une dissociation au niveau du CNU entre cognitivistes/objectivistes et cliniciens. J’avais invité à une réaction vive et à une opposition marquée des professionnels et des organisations syndicales aux dispositifs universitaires. Suivant E. Jalley, je suis pour des manifestations, des revendications, des protestations, des pressions politiques contre l’orientation universitaire actuelle.
Enfin je défendais le principe d’une organisation unitaire forte capable de défendre l’exercice professionnel des psychologues. Cette option s’étayait tout d’abord sur un principe politique. Une représentation légitime au sein et auprès des instances décisionnaires, gouvernementales et administratives, apparaît la seule condition d’une défense professionnelle dans un contexte de mutation et de lutte. Elle définirait une politique de défense des intérêts de la profession et viserait à en contrôler l’effectivité. Elle pourrait peser sur la limitation de l’utilisation des instruments et techniques psychologiques par les non psychologues. L’incapacité des psychologues à se regrouper invitait à définir un principe d’obligation. L’adhésion systématique de tout professionnel à une organisation unitaire pour obtenir le droit d’exercice en est le pendant. Ce principe en impliquait surtout un autre : la multiplicité des organisations fait qu’aucune n’a de légitimité, elles ne représentent qu’elles-mêmes.
La dernière en date, la Fédération, montre combien elle résulte de volontés qui ont fini par s’approprier à titre individuel la légitimité de la profession. Née pourtant d’une dynamique collective elle a fini par échouer sur une personnalisation et la constitution d’un conseil dont on quête la validité. Le principe d’une organisation unique réintroduirait la notion d’élection, dont le principe est un peu plus démocratique que l’auto-nomination. Certes elle ne lèverait pas la question des jeux d’influence, des manipulations, des cooptations incestueuses dont est friand le milieu. Elle laisserait cependant la possibilité de voir des discours hétérogènes se déployer, elle renverrait chaque psychologue à la responsabilité des choix effectués. Elle pourrait permettre la mise en place d’une politique professionnelle plus lisible que les options défendues par chaque association. Cette organisation unique serait d’abord et uniquement professionnelle. Ne pourrait y adhérer que des professionnels. On voit combien l’introduction du terme Psychologie dans l’intitulé de la dernière Fédération est une perversion. Elle permet l’entrisme de non psychologues, en particulier universitaires, dont les intérêts sont hétérogènes à celui des professionnels. Elle aurait pu être un accueil. L’organisation unique serait aussi une modalité concrète pour peser sur les orientations universitaires : l’organisation des professionnels définirait les attendus d’une formation réelle à la profession de psychologue. La validation du droit d’exercice devrait relever de la compétence de cette organisation unique.
11. Fédérer, organiser, ordonner ?
R. Lécuyer, président de la Fédération Française des psychologues et de psychologie, avance une position dans le Journal des Psychologues de février 2007 qui reste uniquement centrée sur la question du Code de déontologie. Il découvre tardivement l’ouvrage de Y. Durmarque (2001) qui lui sert d’appui. On notera aussi qu’il effectue une lecture à contre-sens du propos de Durmarque. R. Lécuyer repère quelques difficultés récurrentes dans l’approche de la question. Il y a tout d’abord l’existence d’une conception de la profession de psychologue qu’il nomme curieusement « d’anarchiste », selon une connotation qui renvoie à sa propre position politique. Disons que la question est plus complexe : cette position est référée plutôt au libéralisme inspiré par la culture psychanalytique, rationalisée à partir de la culture anti-autoritaire et anti-étatique du courant post-soixante-huitard. Elle est alimentée par le contexte historique d’instauration de la psychologie dans la crainte de l’emprise médicale et défiante quant à la position de l’Etat et de son administration. Cette conception serait celle du refus de l’évaluation et de la sanction en cas de non-respect du code de déontologie. Il s’agit là aussi d’une version caricaturale de cette conception dont l’enjeu est argumentaire. Il associe évaluation et sanction de manière abusive. En particulier le refus de l’évaluation s’inscrit dans une vision idéologique de la fonction de la psychologie dans nos sociétés en opposition aux normalisations demandées. R. Lecuyer s’oppose fermement à cette position considérant la nécessité de condamner les manquements au code pour des motifs liés à la protection du public et à la réputation de la profession. L’argument est moraliste et insinue perversement que ces opposants seraient cause de la mauvaise réputation de la profession et peu soucieux du public. Que l’on soit conscient des nécessités évoqués, que l’on considère que l’évolution sociale fasse obligation d’être plus vigilant à ce titre, bien sûr, que l’on gomme les enjeux des réticences reprochées est beaucoup plus problématique.
La seconde difficulté est la référence faite aux expériences d’autres pays ou à d’autres professions. Mais la référence faite à ces expériences qu’elle soit positive ou négative nécessiterait une analyse précise du contexte d’émergence. Sinon argumentaire ou contre-argumentaire n’ont d’autres validités que rhétoriques. La troisième tient à la représentation de la structure ordinale attachée au régime de Vichy. Il rappelle le travail de Durmarque pour dissocier les deux termes : ordre et régime de Vichy. Il s’attaque à l’argument « prestige et ordre », soulignant que l’un et l’autre ne sont pas dépendants. Ceci lui permet de discuter du principe du rassemblement au sein de la profession, mettant en cause l’échec initial de la Société Française de Psychologie. Il critique l’idée que la constitution obligatoire d’un ordre puisse permettre un rassemblement dans la mesure où le rassemblement est la condition de l’ordre. Il reviendra à ce point à plusieurs reprises en tant qu’il est le point organisateur de son propos. De plus l’état des rapports entre les lobbies théorico-pratiques et entre les associations ferait de cet ordre une instance de règlements de comptes. Cependant l’instance ordinale ferait du rassemblement un institué, l’élection ferait du bureau un instituant dont l’enjeu sera de réguler les points conflictuels.
On retrouve cette même remarque sur l’instance de règlements de compte sous la plume d’A. Létuvé (Fédérer, 22). Cet argument qui n’est pas dépourvu de réalisme désigne aussi un enjeu crucial. Le fonctionnement associatif s’appuie sur des phénomènes de cooptation et pratique l’exclusion du contestataire. Il n’a pas précisément à rendre compte du conflictuel. Tenue par une ou plusieurs personnalités, appuyées par quelques serviles exécutants, agrégeant les indécis une association maintient une certaine homogénéité en situant le conflit le plus souvent à l’extérieur. Quand le conflit surgit à l’intérieur, il en résulte prise de pouvoir ou implosion. Une organisation dont les titulaires sont élus court effectivement plus de risques de voir surgir le conflit à l’intérieur de son dispositif au risque de la paralyser. Cependant nous pouvons lui accorder un avantage démocratique. Mais le point le plus important tient aux luttes actuelles entre les associations. En effet, nouvellement arrivée dans le champ, portée par un mouvement collectif, la Fédération est aussi engagée dans la lutte de représentativité à l’encontre d’autres associations, sociétés ou syndicats. Par le leurre qu’elle agite, elle tend à une croissance inévitable. Elle attire par sa visibilité, par l’intitulé, les psychologues désorientés et finalement peu informés. Elle ne peut qu’espérer atteindre un volume suffisant pour se positionner favorablement auprès des autorités. De cette place elle pourrait alors réclamer une légitimité dans la représentation des psychologues. Mais ce qu’elle tait alors ce sont les désaccords d’autres associations, la rupture avec le SNP qui fut pourtant le principal fondateur de cette fédération, les luttes interpersonnelles existant dans le champ professionnel. Elle fait oublier que ces animateurs n’expriment que des choix personnels et une gestion groupale particulière. Ceci ne dénie en rien la qualité des travaux, apports et négociations effectués. Mais je souligne juste que la Fédération n’est qu’une association, parmi d’autres, détenue par un groupe de personnes, engagée dans des rapports interassociatifs, qui vise à conquérir le pouvoir dans le champ de la psychologie. Je lui suppose aussi une forte collaboration avec les universitaires objectivistes et de servir de vecteur de légitimation du courant cognitivo-comportementaliste. Qu’on le comprenne comme une tentative de construction d’un espace consensuel entre des courants divergents et l’on ne peut que s’en réjouir, qu’on le voit comme participant au travail d’emprise du monde universitaire sur le monde professionnel, et l’on ne peut que s’en défier. Le refus d’une instance ordinale peut se lire comme une manœuvre visant à conquérir une force d’influence pour manipuler le devenir de la profession de manière non démocratique.
En d’autres termes, la position du président de la Fédération contre une organisation unitaire constituée d’un bureau élue répond d’une stratégie de conquête du pouvoir par son association. La création d’un ordre ou d’une organisation unique contrecarrerait la montée en puissance de la Fédération et de son bureau. R. Lécuyer conteste la possibilité pour l’Etat de régler les problèmes de la profession. Contrairement à Y . Durmarque pour lequel l’ordre serait la seule solution possible, il rappelle l’opposition, la résistance opposée par les psychologues. C’est bien pourtant en regard de cet état de fait que la régulation par un tiers devient nécessaire. Il insiste sur le point que bien des pays n’ont pas choisi d’adopter cette seule solution, soulignant l’existence d’une structure disciplinaire prenant des sanctions. Il rappelle qu’en France l’éviction d’une association n’a aucun effet sur l’exercice professionnel. Il souligne que la différence entre un ordre et une organisation tient à la nature de la dépendance à l’Etat. Une « association professionnelle forte » peut s’opposer, alors qu’un ordre a une marge de manœuvre plus étroite. Il glisse habilement une allusion au régime autoritaire de Vichy pour insister sur le fait que la notion d’ordre importe un moyen de contrôle de l’Etat sur la profession. Il y voit un danger en raison de l’existence d’un pouvoir médical ayant largement infiltrer les structures de l’Etat. L’ordre des psychologues ne serait au mieux qu’une courroie de transmission de la volonté de l’Etat. A son sens rigidifier une profession dans un ordre relève d’un archaïsme. Archaïsme de l’ordre ou infantilisme du désordre, les psychologues restent bien impuissants à se structurer. Quant à l’influence du pouvoir médical, notre collègue tend à oublier qu’il est encore plus efficient en l’absence d’ordre que face à un ordre suffisamment structuré. Les infirmiers en ont récemment compris tout l’intérêt malgré des conflits internes. De plus Y. Durmarque insiste bien sur le fait que c’est justement l’existence d’une instance ordinale qui permet de s’opposer aux pouvoirs publics.
Mais pour R. Lécuyer ceci induirait l’absence de séparation des pouvoirs conduisant à l’impossibilité d’exprimer des opinions divergentes ou des théories non-conformes. Pourrait-on objecter qu’à la vigilance nécessaire qu’il a raison de noter, on peut limiter le champ d’exercice de cet ordre. Il revient ensuite sur la question de l’élection des membres de l’ordre pour mettre en garde contre le déferlement de conflits entre les associations que cela produirait. De plus se retrouverait en présence les divers courants théoriques faisant de l’ordre un lieu de clivage exacerbé de la profession. Ne nous leurrons le clivage, les clivages sont déjà particulièrement présents et produisent leurs effets depuis longtemps. Ils sont simplement plus insidieux, plus pervers. Certes il n’y a aucun angélisme à avoir. La structuration d’un ordre va ramener le possible des conflits, certains groupes vont manœuvrer avec toute la perversité souhaitable pour faire élire leurs représentants, les personnalités pathologiques diverses qui hantent les institutions vont sortir du bois. Mais ils auront aussi à rendre compte. R. Lécuyer insiste. Que ce soit sous forme d’un scrutin de liste ou sois forme uninominale, la conflictualité serait présente faisant dépendre les orientations des majorités présentes. Il ne dénie pas l’existence des mêmes conflits dans une organisation unitaire, mais ceux-ci seraient moins entravant car la gestion des conflits feraient parties du contrat liant les membres. Dans un ordre aucun contrat ne lierait ses membres. Il donne à titre d’exemple ce qui se passe au CNU, Conseil National des Universités. Aussi le cadre associatif lui paraît-il plus convivial. Il l’est quand on appartient à ce cadre associatif, sinon il s’avère beaucoup moins agréable. Et les conflits avec ses évictions, ses règlements de compte existent tout autant dans le monde associatif. Alors cet argumentaire ne vise-t-il pas à éviter une représentation effective de la profession par un comité élu ?
En conclusion, R. Lecuyer part de l’hypothèse peu réaliste de la résolution de la question du rassemblement et de l’éviction de l’idée d’un ordre pour discuter des solutions envisageables. Il propose ce qu’il nomme une solution mixte : la légalisation du code portant sur le respect du code de déontologie défini par les organisations représentatives. Il note cependant que la difficulté est de définir qui est représentatif ce qui nécessiterait une démarche unitaire. On a alors le sentiment du serpent qui se mord la queue. La légalisation permet de maintenir une évolution du code et surtout le dépôt de plainte auprès du tribunal en cas de manquements. Cette dernière démarche assure à l’Etat de jouer son rôle. Il invite par ailleurs la profession à mettre sur pied une commission de déontologie pour exercer diverses fonctions : conciliation entre collègues, assistance d’un psychologue, soutien à l’usager. Selon R. Lecuyer un tel système satisferait chacun : l’usager, la profession et l’Etat. Cependant pris dans le paradoxe que l’unité est nécessaire pour construire des actions concrètes, et que les actions concrètes participent de l’unité de la profession, il peine à justifier son propos. Le code de déontologie n’est probablement pas le point central sur lequel appuyé la fonction d’une organisation unique. Il en désigne pourtant le risque soit le pouvoir d’exclusion détenue par un groupe majoritaire de légaliser l’attitude conforme. A ce titre il y a lieu de soutenir l’appel à la vigilance que demande R. Lécuyer : toute institution est normative et discriminative.
Mais la seule légalisation du code ne répondrait pas à quelques uns des problèmes évoqués en début de texte :
La dissociation entre la psychologie comme savoir, la psychologie comme exercice et la psychologie comme métier et profession ;
Les dissociations entres les psychologies cognitive et clinique, entre la psychologie clinique et la psychanalyse, entre les modèles théoriques et les pratiques cliniques ;
Les dissociations entre la nomination et le titre, entre le statut et les responsabilités, entre l’autonomie professionnelle et la soumission hiérarchique ;
Les dissociations entre professionnalisation et formation universitaire, entre formation clinique et responsabilités cliniques ;
Les dissociations entre transmission de savoir et transmission d’une identité professionnelle, entre le profil des enseignants recrutés et les nécessités d’une formation professionnalisante.
La fonction d’une organisation unique ou d’un ordre est de traiter dans la réalité ces questions, de lui donner des réponses en pesant effectivement sur les dispositifs existants. Une instance ordinale suppose le principe de l’obligation d’adhésion et le principe de l’obligation de cotisation. Elle implique la constitution d’une structure disciplinaire qui seule serait apte à faire respecter les principes contenus dans le code de déontologie. Elle réalise une défense de la profession et permet la préservation de la qualité du service rendu par les représentants de la profession. Elle est préservation des intérêts et des droits des membres de la profession et respect par eux des devoirs inhérents à l’exercice de l’activité. Cette défense est aussi une garantie contre les pouvoirs publics, contre les dérives commerciales, contre les appropriations indues d’autres professions. Elle construit le capital de confiance que les usagers peuvent élaborer à l’égard de la profession et des professionnels. Des limites sont aussi présentes par le cadre juridique et administratif général. L’instance ordinale réalise de fait une mission d’intérêt général. Elle assure le respect des devoirs et en cela ne se confond pas avec l’activité des syndicats, centrée sur la défense des droits et de la profession. Mais la mission de l’instance ordinale vient utilement étayer ce projet syndical. L’instance ordinale offre une visibilité de la profession auprès des pouvoirs publics (on voit combien la lutte délétère de représentativité des actuelles associations est particulièrement contre-productive). On sait, et je le répète, qu’aucune association ou fédération n’a actuellement de légitimité, elles ne représentent qu’un groupe de personnes et ne manifestent que la perversion des jeux d’influence. Que ce soit face aux pouvoirs publics ou devant des instances internationales, il n’y a pas aujourd’hui d’instance représentative légitime. « Une structure ordinale, basée sur un mécanisme électif avec obligation d’adhésion résoudrait manifestement ce problème en présentant aux instances européennes un partenaire unique et légitiment reconnu » (Durmarque, 2001, p. 262). Cette instance ordinale ne peut se contenter d’être un Conseil supérieur des psychologues qui n’aurait pas le poids institutionnel suffisant. Il n’y aucun angélisme à attendre d’un fonctionnement institutionnel, il n’y a aucune illusion à attendre des membres de la profession. Il y a juste une urgence à laquelle il faut se confronter pour se donner les moyens de ne pas voir disparaître la psychologie, et plus particulièrement la psychologie clinique. Cette urgence pour cette dernière catégorie est pressante car leur mort est déjà programmée par certains de leurs confrères.
Une stratégie persuasive de prise de pouvoir ?
Le refus de l’organisation unique ou de l’ordre, pour reprendre la terminologie actuelle, masque difficilement la sauvegarde de prérogatives ou de potentats associatifs, d’un côté, et, de l’autre, une stratégie subtile de prise de pouvoir. Car comment peut-on, d’une part, vouloir refuser une organisation unique qui se structurerait sur le principe du vote et, de l’autre, s’affilier à une association sous laquelle chacun viendrait se regrouper pour constituer une unité du corps professionnel ? Comment croire que le regroupement fédératif ne vise pas la mise en place d’une organisation unique, qui concentrerait tous les pouvoirs de décision, les pouvoirs d’orientation et les pouvoirs de contrôle de la profession ? Comment croire qu’en voulant s’instituer l’interlocuteur représentatif de la profession auprès des organismes de tutelle et des instances politiques, il ne concentre pas la fonction d’une organisation unique ? Comment croire qu’en instaurant des conférences de consensus sur les aspects de la pratique psychologique, l’on ne débouche pas sur la détermination des bonnes pratiques auxquelles chaque professionnel devrait se soumettre ? Comment croire qu’en instituant un diplôme européen délivré par une seule association selon les critères de la Fédération européenne des associations de psychologues (EFPA), sous le modèle de l’Europsy, l’on n’obtienne pas un contrôle des professionnels et l’instauration d’un droit d’exercice ? Comment croire que la recherche de légalisation du code de déontologie ne constitue pas un instrument légal de contrôle ? Comment ne pas s’interroger sur le poids des universitaires dans la présidence de la Fédération, fut-elle parfois partagée avec une praticienne ? Comment ne pas penser que cette influence risque d’assurer un contrôle, par ce biais, des professionnels et une limitation de leur autonomisation ? Comment croire que le coût d’adhésion, soumis à une progressivité élevée dans une logique libérale, ne deviendrait pas obligatoire à partir du moment où l’obtention d’un label de qualité Europsy constituerait une condition d’exercice professionnel ? L’on s’aperçoit alors que se met en place, au moyen d’une rhétorique perverse, ce que l’on viendrait reprocher à une organisation unique. Ce que je veux pointer ici, c’est que le projet fédératif vise à la réalisation d’une prise de pouvoir sur le mode d’une organisation unique, mais selon les modalités d’un travail de persuasion et de séduction qui relève d’une tromperie idéologique. Il n’y a aucune différence de finalité entre le projet fédératif et le principe d’une organisation unique. Simplement, le manque de transparence quant à la finalité et aux objectifs s’inscrit comme un leurre qui stimule la servitude volontaire que des psychologues désorientés viendraient d’eux-mêmes solliciter. Il n’y aurait guère de contrôle sur les nominations aux responsabilités, pas de réelles élections de l’ensemble des professionnels, puisque, au mieux, ne pourraient voter que ceux qui seraient adhérents et donc admis. Car si vous êtes contestataire, vous serez exclu, et il n’y aura pas de contestation interne. La contestation externe sera de fait invalidée. Ne pourrons être intégrés, et donc se voir reconnaître un droit d’exercice, que ceux qui se montreront suffisamment complaisants au pouvoir en place. Au fond, le projet fédératif est une procédure discriminative d’instauration d’une dominance.
12. Europsy : où est l’embrouille ?
Le projet Europsy est-il l’expression d’un libéralisme européen s’inscrivant en continuité avec les lois d’orientation actuelles des universités ? G. Fourcher . souligne l’uniformisation des formations et des diplômes en vue d’une libre prestation de service promulguée par la directive 2005/36/CE du parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Il se livre par la suite à une analyse critique du projet de certification européen de psychologie (groupe Europsy) soutenu par l’EFPA. Ce projet Europsy est alors celui d’établir des plates-formes communes, des critères de qualification professionnelle que l’EFPA définirait et que, d’une certaine manière, elle imposerait à l’ensemble des praticiens. Celle-ci s’arroge une responsabilité dans ce projet d’uniformisation sans que l’on sache sur quelle légitimité elle assoit un tel mandat. G. Fourcher rejoint ainsi une remarque que le Séminaire interuniversitaire européen d’enseignement et de recherche en psychopathologie et psychanalyse (SIUERPP) avait déjà formulé, contestant une quelconque légitimité à l’EFPA à s’instituer comme représentante pouvant proposer un projet Europsy. D’ailleurs, à propos de la représentation nationale en France, R. Lécuyer en convient : « La [Fédération française des psychologues et de psychologie] FFPP n’est donc pas une organisation représentative de la profession en France » . G. Fourcher constate aussi que l’argumentaire avancé, d’être une association habilitant les qualifications obtenues dans les États membres, est caduque. Il stipule même : « Le projet Europsy ne correspond plus en rien à l’article 15 de la directive finalement adoptée. » Il se demande donc ce qui pousse cette Fédération à poursuivre ce projet. Il met en avant que le projet Europsy, dont la caducité est tue, répond d’une ambition politique dont l’enjeu est d’imposer une vision instrumentale de la psychologie. Ce projet propose une substitution des formations existantes par un modèle EFPA. Ce modèle est un ensemble de normes supérieures garantissant une reconnaissance européenne, une certification européenne. Ainsi, il devient une incitation à adopter la nouvelle norme par les universités de formation. Les dispositions européennes ayant force de loi, les centres de formation n’auraient pas d’autres choix que d’adopter ces normes. Avancer l’argument que tel pays a adopté la base législative Europsy est d’une inconsistance rare : dois-je me jeter par la fenêtre au motif que mon voisin s’est récemment défenestré ? Le procédé du fait accompli est renforcé par le fait que ceux qui ne posséderaient pas la qualification Europsy se verraient restreindre les lieux d’exercice, les niveaux et les tâches exercés. Le lancement d’un projet pilote de certification dans plusieurs pays vise à créer un état de fait qui puisse faire pression sur les pouvoirs publics étatiques et européens. L’EFPA institue une carte de label de qualité dont la possession vaudrait autorisation d’exercice. La création du Comité français de délivrance de la certification (CoFraDec) réalise un passage à l’acte qui consiste à mettre devant le fait accompli. Y participeraient nécessairement les personnes et associations de bonne volonté, mais pas obligatoirement de bonne foi. Et venir reprocher à certains de ne pas y participer devient un argument douteux sur le plan éthique : pourrait-on me reprocher de ne pas participer à un Comité français de délivrance d’exercice aux personnes de couleur mate ? Ainsi, ce qui se trame, c’est avant tout un monopole européen en psychologie par une organisation privée, libre d’accepter qui elle veut. D’ailleurs, il relève en plusieurs aspects la concentration des pouvoirs et la mainmise exercée par l’EFPA sur les professionnels. Sur le plan des contenus, ce qui est promu, c’est une parcellisation des compétences avec une démarche par apprentissage par la résolution de problèmes. Les compétences s’inscrivent sur des théories technologiques. Quand on vient soutenir qu’un programme de formation (basé sur des référentiels de compétences) n’implique aucune référence à un cadre théorique, on vient nous dire à nouveau ce qui a soutenu la mise en place des nosographies de type DSM. Il n’y a pas de théorie, que des faits ! Mensonge épistémologique qui justifie un pragmatisme dont les enjeux idéologiques sont souvent suspects. Sans que l’on en détaille les registres, il s’agit d’une vision pragmatique et utilitariste de la psychologie, supposant des bonnes pratiques définies préalablement et qu’un évaluateur contrôlera. G. Fourcher se demande si l’on ne s’oriente pas vers une ingénierie de l’âme avec des aspects opératoires et opérationnels. Nous serions dans une technologie psychosociale de l’adaptation. En d’autres termes, l’on pourrait comprendre que le projet Europsy est avant tout un moyen politique d’instituer un pouvoir de contrôle sur l’orientation de la psychologie dans l’espace européen en la rendant conforme aux modèles anglo-saxons pragmatiques, dont le cognitivo-comportementalisme est le fer de lance. G. Fourcher revient dans un autre article sur ce point Ce projet est aussi conforme au principe de libéralisation économique dans le cadre d’un libéralisme politique. Donc, si l’on doit penser la question européenne, ce n’est probablement pas en acceptant l’élimination de l’orientation clinique et psychodynamique qui est inscrite dans le projet Europsy actuel. Il suppose que la représentativité nationale ne soit pas appropriée par une association qui s’auto-institue. Il y a à s’opposer fermement à cette opération de prise de pouvoir dont Europsy en est l’un des instruments. Cela repose la question d’un ordre qui permettrait un vote des professionnels : s’opposent un libéralisme fédératif et une démocratie représentative ordonnée. Il n’y a pas d’idéal, mais un choix politique. G. Fourcher, d’ailleurs, en précise la teneur. L’ordre professionnel deviendrait, dans ce contexte, un acte de résistance à une entreprise internationale. Il assurerait une pluralité institutionnelle qui aurait une légitimité nationale réelle. Les questions sont toujours un peu les mêmes : qualité de la formation, exercice professionnel, problèmes déontologiques, régulation des flux, supervision et formation continue, etc. Ce sont les réponses qui divergent du tout au tout, ainsi que le cadre proposé.
II – L’INNOMABLE ET L’INSU. Critique déraisonné du projet EUROPSY
Au risque de déplaire et de ne pas entonner les chants d’une bienséance normative, de ne pas maîtriser la langue de bois, je me permettrais de revenir sur quelques présupposés et attendus du projet Europsy. Il est fort probable que le ton parfois polémique, la réticence à accepter les évidences, que l’on veut bien nous asséner, rendent pour mon propos inaudible pour certains, et mon nom illisible. Il est certain que l’esprit critique est nommé diffamation, stratégie bien utile pour annuler le propos. Rendre l’interlocuteur non valide et innommable efface la teneur même de l’énoncé. Mais pourra-t-on avoir encore la place pour un discours critique, pour une vue désabusée, pour une perspective éthique en psychologie ? A une période où certains s’inquiètent du devenir de la clinique ou lancent un Appel des appels pour sensibiliser aux orientations politiques actuelles en particulier dans le champ du soin, l’on peut s’interroger sur la place et la signification que vient prendre ce projet Europsy, seriné avec insistance dans les médias spécialisés depuis quelques mois. Car c’est une véritable campagne qui est menée, incluse dans une démarche digne d’un réel marketing, qui tend à rendre naturel et allant de soi cette proposition. Portée par la Fédération Française des Psychologues et de la psychologie, ce projet participe d’une volonté de recomposition du champ professionnel. Cette Fédération a su montrer une véritable capacité à s’adapter aux différents courants, lançant des opérations visant à rassembler et à convertir des franges importantes de la profession. Elle cherche à s’imposer à la fois sur le plan scientifique, corporatiste, professionnel et médiatique. Elle sollicite la collaboration, dans tous les sens entendus du terme, dans cette dynamique de conquête et de colonisation des professionnels et des universitaires. Elle tend à faire oublier la césure dont elle se fonde avec le monde professionnel et syndical, et avec une partie du monde universitaire. Après avoir assuré une mainmise de certains courants universitaires, après avoir promu des plates-formes regroupant des chercheurs, toujours avides de scènes, après avoir créé des antennes assurant un recrutement prosélyte des professionnels, après avoir envahi les médias professionnels et en créant son propre support de promotion, après avoir cherché à se présenter comme un défenseur principal de la profession, elle se lance dans des opérations permettant la définition des normes de la professionnalité. La déontologie est agitée comme un hochet qui garantirait la moralité de l’opération masquant les objectifs latents. Le projet de consensus, à l’image de ce qu’avait opéré la psychiatrie, sur le bilan ou autre thème ne peut que déboucher sur des pratiques conseillées dont le risque est de devenir des normes obligatoires. Alors que l’idée de projet sur une question clinique est d’intérêt, la notion de consensus induit un projet politique. Le projet Europsy participe de cette dynamique car il risque fort de déboucher sur une évaluation normative, répondant à la demande sociale et politique actuelle. L’instance Cofradec va permettre de recruter ces nouveaux « commissaires politiques » qui valideront la compétence Europsy. Et on trouvera nombre de volontaires pour cette nouvelle tâche. Ceci ouvrira un marché important de la formation, les institutions validées seront à un moment celles qui trouveront l’aval des instances de pouvoir. Ces remarques ne sont pas en soi une critique d’une dynamique de prise de pouvoir avec des modalités dignes du monde entrepeneurial. Elles sont simplement un rappel que les enjeux ne sont pas aussi idylliques que l’on veut bien nous l’affirmer et que des lectures multiples sont possibles. L’indigène que je suis reste toujours sceptique quand on lui affirme que c’est pour son bien que l’on définit une nouvelle gouvernabilité. Ces enjeux sont à situer dans une dynamique sociale et politique à laquelle Foucault a pu nous initier et sur laquelle R. Gori émet quelques propositions. G. Fourcher et F.R Dupont Muzart ont exprimé des critiques raisonnées de ce projet Europsy pour en souligner les limites et conduisant à formuler une opposition à ce projet. Cependant, je reviendrai sur la conclusion du récent article de R. Lécuyer (« Au sujet de l’application d’Europsy en France », JDP, 272, 9-11), exercice de promotion et de valorisation du projet Europsy. Je ne reprendrai pas le corps du texte qui est un argument promo domo ignorant ou tentant d’invalider des critiques argumentées formulées par d’autres. L’auteur balaye avec légèreté des critiques fondamentales mettant cela sur le compte d’inquiétudes vagues, d’approximations et de contre-vérités. Voilà ainsi invalidés toutes critiques formulées par des auteurs désignés comme incompétents et pathologiquement anxieux. Au pire, si quelques critiques pouvaient se révéler pertinentes, l’évolution viendra gommer les imperfections. Il n’y aurait ainsi que des critiques de forme et aucune contestation du fond. Ainsi, cette entrée rhétorique clôt tout débat, conforte les partisans et ouvre à une clarification qui se veut juste et pertinente. Elle pose le projet acquis et affirme qu’il n’y a plus que des problèmes d’applications. On en est réduit à une vision utilitariste et pragmatique. Cet article n’apparaît pas comme une réelle discussion mais semble avoir une fonction promotionnelle. Après avoir situé le contexte, il argumente l’incompatibilité entre néolibéralisme et le projet de l’EFPA. Mais il dénie que la libre circulation ne vaut que comme modalité dérégulée de l’exercice de domination au travers d’une logique de marché par le biais de multinationales. Il dénie que les pratiques promues relèvent d’une uniformisation des procédures. De fait la question mérite d’être véritablement posée à propos de l’EFPA ainsi que celle des implications dans le contexte socio-politique actuel. Qu’elle soit balayée avec autant de négligence par l’auteur ne peut que renforcer l’interrogation. Dans un second point il porte insistance sur le fait que la certification n’est pas autorisation d’exercice qui ne peut être donné que par la loi. L’argument, on y reviendra, se veut une ruse rhétorique qui opère une dénégation de la finalité. Il rappelle le principe d’accréditation des cursus et de certification des personnes qui assurent de l’inscription sur un registre européen. A propos de la mise sur pied de CoFraDeC Europsy, il souligne sa fonction de demander aux responsables des cursus universitaires d’assurer la compatibilité du programme de formation avec le programme de référence Europsy. Sur ce point, cela semble induire l’idée d’une normalisation nécessaire des programmes universitaires sur un programme européen les subsumant. La subtilité argumentaire consiste à dire que l’habilitation relève de l’AERES alors que la certification est d’un autre registre. Mais ne pas posséder l’aval européen EFPA entraîne l’impossibilité de la certification. Quel choix peuvent avoir alors les universitaires ? Il rappelle la mise en place de praticien référent Europsy (au lieu de superviseur) dont il sera assuré la formation par le même organisme. Si j’ai suivi c’est donc la Fédération qui assurera la direction de ces référents, du moins la formation qui est toujours idéologisation. S’il ne s’agit pas d’une main-mise, de quoi est-il question ? Ensuite il annonce que la certification sera effective rapidement avec une clause du grand-père jusqu’en 2013. Ne soignons pas trop naïf. Un exemple récent a montré qu’un groupe de psychiatres et chercheurs issus des universités de Washington, Saint Louis et Columbia a constitué une sorte de collège invisible comme le note S. Kirk et H. Kutchins qui a pris le pouvoir de l’American Psychiatric Association. Ils ont pu alors imposer au plan international de nouvelles classifications (DSM), des conceptions néokrapelinienes et des pratiques néo-médicales. On comprend que la maîtrise des institutions pour orienter les politiques, les pratiques et les formations est un enjeu fondamental. L’hypothèse est explicite : elle suppose que le projet Europsy participe d’une prise de pouvoir par des courants néo-conservateurs aux fins d’imposer une vision proche des options nord-américaines. Reconnaissons une grande capacité à opérer par des techniques à la fois de séduction et de corruption (au sens psychosocial), par une rhétorique confusionnante, par une adaptatibilité qui vise à éviter les confrontations. Je ne parle pas nécessairement d’intentionnalité mais d’une démarche comme celle qui a conduit à l’éradication progressive de divers courants théoriques de la psychologie dans l’université. On sait que le courant psychodynamique a été particulièrement visé ces dernières années, lui-même pouvant souffrir d’une pathologie de la Reproduction (au sens de P. Bourdieu) qui a fini par le desservir.. C’est pourquoi les dénégations farouches de l’auteur de l’article concerné, affirmant comme des « réactions fantasmatiques » les inquiétudes ou analyses relatives à l’élimination de la psychanalyse dans le projet Europsy, prête à sourire. Du moins peut-on les percevoir comme un argument rhétorique, tactique de temporisation, pour étouffer les réticences possibles de bien des praticiens. La fin du texte réalise une partie fractale des enjeux inhérents au projet Europsy. Il est dit clairement en conclusion que « Pour les bénéfices à tirer de la certification, il est clair que ses exigences supérieures à celles du titre français de psychologue, en particulier la nécessité de renouveler la certification au bout de cinq ans et de prouver une activité régulière de formation continue, sont susceptible d’influencer favorablement un employeur ». Qui pourrait en douter : le psychologue certifié Norme européenne (nouvelle norme ISO ?) est un produit plus vendable sur le marché. Il introduit la notion d’un produit qualité qui induit une différenciation dans la valeur du diplôme et défait l’unité du diplôme. Il oblige tout professionnel à devoir passer par ce filtre. L’ambition est bien de créer un dispositif de validation professionnel qui supplanterait le diplôme universitaire. A ce premier argument, que nous dirons commercial mais dont l’implication est plus large, s’ajoute un autre, plus opportuniste : « Notons, au passage, que l’obligation de formation continue est une justification évidente du temps FIR, ici ou là remis en cause ». Après cette incise, qui tend à laisser penser à une justification légitime et à une défense d’ordre syndicale, vient une forme de dénégation : « Cela étant dit, Europsy n’est pas, comme on le lit parfois, une condition d’exercice de la profession ». Voilà bien une ambiguïté : cela serait un moyen d’influencer l’employeur mais aucunement une condition d’exercice de la profession. La subtilité tient bien entendu à un changement de registre, qui revient à une tactique dilatoire voire une formulation perverse : « Europsy n’a pas changé la loi ». Ce qui peut s’entendre, avec le mauvais esprit qui est le mien, comme la formulation d’un désir ou la révélation d’un objectif de peser sur une modification de la loi. Et où la touche finale vient, avec une certaine perversité : « Chacun est donc libre de demander ou non la certification ». Le message est pourtant explicite : il est attendu que la certification Europsy vaille plus qu’un pauvre diplôme universitaire et favorise l’embauche mais on vous laisse libre de ne pas la prendre ! Doit-on prendre des vessies pour des lanternes ?
13. L’appétence à l’aliénation ou le masochisme incarnée
Une formation inadéquate
Quelle place occupe le clinicien en milieu universitaire ? Nombreux sont les auteurs qui ont souligné la césure profonde existant entre universitaires et praticiens : deux mondes hétérogènes s’ignorant volontiers. Plusieurs problèmes sont évoqués :
La confusion entre l’apprentissage de la recherche et la compétentialisation professionnelle : la prévalence de l’activité de savoir et de recherche s’avère s’exercer au détriment d’une insertion professionnelle. Ce sont des logiques pédagogiques hétéronomes qui sont sollicitées.
Les conflits interdisciplinaires en psychologie donnant lieu à des luttes parfois sordides (perversion, humiliation, instrumentalisation, manipulation, etc.), accentués par la surreprésentation des expérimentalistes en milieu universitaire, inverse à celle notée sur le terrain (1000 à 2000 expérimentalistes, cognitivistes ou autres, cantonnés en milieu universitaire qu’ils gèrent et contrôlent, 25 000 praticiens cliniciens au moins n’ayant aucun contrôle sur le lieu de formation)
Les stratégies d’appropriation et de recouvrement à partir de brouillage, de confusion, de désinformation à l’exemple de cette inflation de psychologie cognitive clinique, de neuropsychologie clinique, de psychologie de la santé, etc. nous seulement scinde le champ de la psychologie mais ravale encore plus les praticiens dans des positions de techniciens rééducateurs
La prédominance des universitaires non cliniciens gestionnaires du cursus : des enseignants n’ayant jamais exercé sur le terrain détermine les cursus nécessaires à une formation professionnelle, voire enseignent ce que doit être la profession. Situation certes hallucinante qui n’a que rarement provoquée l’ire des praticiens, souvent fasciné et soumis à des figures universitaires qui ont été des maîtres idéalisés
Les procédures de recrutement, voire de reproduction, dans un contexte de rareté favorisant les effets de cooptation, selon des critères qu’E. Jalley critique, en parlant de « la réalité irréelle de la notion de revues à comité de lecture », ou que B. Brusset, dénonce, en parlant des critères contraires à ceux relevant de la psychologie clinique. Ne parlons pas des discriminations en œuvre si votre réputation est celle d’un esprit critique ou d’un sujet rétif aux servilités attendues. Ces procédures privilégient le même, or ce n’est pas sans poser question quand sont recrutés sur des postes de psychologie clinique et pathologique de jeunes doctorants, sans expérience clinique : que peuvent-ils donc enseigner ? Comment transmettre une identité professionnelle, une pratique professionnelle, des enjeux professionnels, une insertion institutionnelle, une position subjective, etc. ?
Le peu de professionnels praticiens recrutés en tant que tels, certes parfois présents y sont réduits à la portion congrue, volontiers instrumentalisés comme chargés de cours, ainsi que le soulignent S. Bouyer, M.C. Mietkiewswitcz. Peu de psychologues praticiens ont trouvé une place dans le domaine de l’enseignement nous rappelle R. Samacher. L’expérience professionnelle ne vaut pas grand chose pour former des psychologues !
La prévalence de la recherche sur l’enseignement conduit à un désintérêt pour les questions pédagogiques et une forte distance à l’égard de la professionnalisation, parfois considérée avec un certain mépris. S’y adjoint la logique universitaire qui accentue la problématique narcissique des enseignants : préoccupation pour les recherches et publications, besoin de reconnaissance, souci de carrière, relation de dépendance des étudiants, représentation sociale fortement sollicitée. Il y a le risque d’infatuation accentuée par le décalage avec le faible pouvoir social réel des universitaires.
Le lien avec les maîtres de stage est fréquemment perçu comme insuffisant : absence de contact entre université et lieu de stage, absence d’un projet commun, absence d’un projet de stage avec critères d’évaluation, manque de pré-requis lors des stages ou méconnaissance foncière des préoccupations professionnelles, savoirs inadéquats pour l’exercice, sentiment d’être pris avec condescendance par les universitaires, etc. Je vous renvoie aux travaux de la Commission université du SNP avec F. Caron, P. Le Malefan, R. Samacher, Y. Gerin, etc.
La non-prise en compte des effets de groupe, du fonctionnement institutionnel tout autant que le désaveu de la souffrance psychique par les universitaires, ou de l’articulation entre réalité psychique et réalité sociale est de même avancée par certains auteurs. Le cursus est fondé, de plus en souvent, sur des savoirs académiques sans rapport avec les réalités de terrain. On forme alors des psychologues inadaptés.
Un déni des responsabilités institutionnelles possibles des psychologues est instillé avec un renforcement des positions de dépendance et de soumission, d’aucun souligne que la place de techniciens, exécutants des demandes hiérarchiques et institutionnelles, est alors posé, tel autre montre que la position de psychothérapeute ou de régulateur institutionnel n’est qu’un leurre, n’échappant pas à la dépendance. La position d’extra-territorialité revendiquée d’ailleurs par certains psychologues constitue un déni idéologique de la fonction sociale et institutionnelle des psychologues.
Ne peut-on penser que la psychologie est dans la situation paradoxale, si ce n’est folle, de s’assurer que les plus incompétents professionnellement sont ceux qui prétendent former à une professionnalité, que l’expérience professionnelle est le lieu d’un certain mépris en milieu universitaire, que les cliniciens sont engagés dans une impasse en les détournant de ce qui est attendu d’eux dans la vie professionnelle, comme l’avance B. Brusset. Jalley met en exergue la contradiction entre l’organisation universitaire traditionnelle de la discipline avec les structures réelles de son implantation professionnelle. Nombre de leaders de la discipline n’ont jamais été des cliniciens et tendent à maintenir un véritable verrou institutionnel. J.L. Beauvois dans un autre registre parlera d’une nomenklatura avec une gestion contractuelle entre les scientifiques expérimentalistes/cognitivistes assurant une légitimité universitaire et les travailleurs sociaux, soit les cliniciens, apportant la masse. Les derniers séduisent, les autres gèrent ! Manifestement quelque chose fait question. Nombre d’auteurs ont proposés soit la participation des professionnels dans la formation (G. Pithon), soit des fonctions d’enseignants/chercheurs/praticiens (C. Chiland) ou un statut hospitalo-universitaire (R. Samacher, P. Le Maléfan), soit une articulation réfléchie avec le terrain clinique (F. Caron, R. Roussillon).
Les enseignants chercheurs praticiens
Il y a un paradoxe entre l’exigence de professionnalisation et l’obligation de répondre à des normes scientifiques désubjectivantes pour avoir l’aval ministériel. La stratégie universitaire ne peut, alors, que recruter le plus formaté des laborantins et le moins professionnalisé d’entre eux. Ce sont donc eux qui seront conduit à former les professionnels de demain : nouveau paradoxe. Le mode de recrutement fait question. L’obtention de cette charge dépend souvent du bon vouloir du maître des lieux, obligeant les candidats à se faire adouber en multipliant les signes de leur servitude. Et les nouveaux dispositifs universitaires risquent fort de renforcer ces vassalisations et la création de petits potentats. Le verrouillage institutionnel d’enseignants en proie à la reproduction du même et à des logiques du pouvoir interroge sur la qualité professionnalisante des contenus transmis. L’inquiétude demeure quant au profil actuel des enseignants chercheurs. On posera l’hypothèse que la caractéristique dominante est qu’ils sont de purs produits universitaires de la psychologie scientiste. Par ailleurs recrutés assez jeunes, ils tiendront l’espace universitaire pendant une trentaine d’années, invalidant toute possibilité de changement. Cette dynamique générale impose un remaniement des contenus formatifs déterminés de plus en plus par le courant cognitiviste universitaire, non praticien. Elle entraîne à sa suite une aliénation idéologique des jeunes diplômés, inféodés à ce paradigme, souvent méconnaissant complètement les références psychanalytiques, et se faisant les agents de propagande. Cette orientation universitaire a été caractérisé par Emile Jalley qui parle du collier de vices pesant sur l’universitas technologica dénonçant, parmi d’autres, l’hyperspécialisation, la persistance du féodalisme, le conformisme scientiste, le corporatisme, les critères quantitatifs dans la gestion des carrières, avec une forte dose de coups tordus et d’attitudes serviles, la concurrence des stratégies individuelles, les enjeux de pouvoir, la promotion de chef de file à des responsabilités gestionnaires supérieures (…). Dans un ouvrage issu de sa thèse, à demi mots et non sans ambivalence, L. Viry évoque les ambiguïtés, les arrangements, les modes de sélection qui peuvent exister dans le système universitaire. Elle y montre, avec nuance, les enjeux personnels qui s’y nouent.
La valse des modèles théoriques
La psychologie clinique a trouvé son développement dans une inféodation, ou encore une dépendance anaclitique, à la psychanalyse. Pour autant Freud loge la psychanalyse au sein de la psychologie, Assoun parle d’ailleurs d’appartenance de la psychanalyse à la psychologie. Cependant une opposition idéologique s’est creusée en France en psychologie et psychanalyse sous l’influence du courant lacanien, entre un modèle structuraliste pure et le modèle de la psychologie clinique de Lagache. Une autre fracture trame cette opposition : celle entre des institutions psychanalytiques tendant à réserver l’exercice de la psychanalyse aux médecins, à l’image de la SPP et une conception laïque de la psychanalyse. Cette opposition enveloppera l’atmosphère intellectuelle du champ de la clinique mettant en porte-à-faux bien des psychologues, contraints par soumission idéologique à renier leur statut de psychologue, renvoyé à une image de technicien sans ampleur. La psychologie clinique va construire une relation paradoxale, complexe avec la psychanalyse, qui, seule, lui permet d’approcher à la fois la relation intersubjective et la question de la souffrance psychique. La psychologie clinique a eu pour visée de maintenir l’irréductibilité de l’incidence subjective, neutralisée par le discours scientifique. Ce rapport à la psychanalyse engendre quatre orientations principales :
• La disjonction entre psychologie clinique et psychanalyse, tout en ménageant au sein de la psychologie une aire où se love la question du sujet, une aire sans psychologie. On retrouve cette option chez J.M. Sauret, voire chez M.C. Lambotte ;
• Une psychologie clinique devenue une praxis ou une psychothérapie d’inspiration psychanalytique, conceptuellement cohérente avec le corpus psychanalytique, option défendue par exemple par l’école lyonnaise ;
• La référence au corpus psychanalytique au titre d’une psychopathologie clinique sans impliquer de dépendance théorique, option volontiers présente chez J.L. Pédinielli ;
• L’abandon de toute référence à la psychanalyse en regard de l’appui effectué sur d’autres paradigmes considérés comme validés, à l’exemple de la psychologie sociale de la santé, de la psychologie cognitive.
C’est dans ce cadre que l’hégémonie du cognitivisme et le retour du comportementalisme, dans un contexte de suprématie des sciences et techniques, vient promouvoir une a-subjectivité rassurante, une rationalité intellectualisante coupée du registre affectif. L’opposition radicale avec survalorisation de la quantification, voire le déni du qualitatif, favorise la désubjectivation et la désymbolisation. Elle prend le risque de promouvoir une pratique sans éthique de techniciens irresponsables, voire pervers, étayée par le savoir d’universitaires soutenant le déni d’altérité. C’est dans ce cadre que l’on observe une dépréciation de la psychologie clinique avec des stratégies d’élimination des cliniciens et leur substitution par des chercheurs pratiquant des disciplines de type expérimental. Cette substitution peut être disciplinaire quand elle promeut une psychologie de la santé d’ordre scientifique, réactivant le débat psychologie médicale et psychologie clinique, oubliant que Lagache déjà affirmait que la psychologie médicale devait être incluse dans la psychologie clinique. Penser que le développement des recherches quantitatives peut suffire seul à répondre aux nécessités du terrain peut s’avérer dangereux : pour les personnes concernées, pour les professionnels qui de toute manière en viendront à se lancer dans un mode d’approche clinique mais sans formation initiale. Ce sont donc encore les personnes concernées qui en pâtiront. De plus cette fracturation, cette balkanisation des diplômes disqualifie la représentation socioprofessionnelle des psychologues. La réduction cognitiviste de la praxis psychologique réalise un réel déni de la souffrance psychique, de la réalité psychique. Le réductionnisme effectue, en toute jouissance, un viol psychique. La responsabilité déontologique des enseignants se trouve dès lors engagée.
Comment penser l’hétérogénéité de ces régionalités épistémologiques sans radicaliser les oppositions ? La psychologie clinique a à penser la paradoxalité des liens entre clinique et psychanalyse, entre clinique et cognitivisme, entre clinique et autres paradigmes. La clinique s’avère le site unitaire des psychologies, et l’enseignement de la clinique s’étaye sur la transmission d’une pratique de l’écoute.
Si l’objet épistémique de la psychologie clinique est le psychisme, et ses corrélats dont la corporéité, si ses dispositifs sont des dispositifs à symboliser (voir aussi les propositions de S. Blondeau), si la formation relève d’une co-construction avec le fait clinique dans une intersubjectivité, la psychologie clinique se croise avec la problématique de la psychopathologie. Là encore plusieurs positions s’affirment :
• L’une réduit la psychopathologie à une spécialité médicale, à laquelle la psychologie peut ponctuellement s’intéresser
• L’autre limite la psychologie clinique à une psychopathologie des troubles mineurs, à des situations de moindre souffrance
• La troisième disjoint la psychopathologie comme domaine de la psychologie clinique comme démarche
• Une quatrième précise la psychopathologie comme une psychologie clinique.
Au fond psychologie clinique et psychopathologie sont insécables, s’auto-fondant mutuellement, prises dans les mêmes conflits épistémologiques. La psychopathologie s’informe de modèles psychologiques, et la clinique pour se déployer s’étaye sur les questions psychopathologiques. Cependant la clinique se figure comme réponse à la psychopathologie. Le psychologue clinicien est un psychopathologue ce qui entraîne un positionnement institutionnel et statutaire qui devrait être autre. De plus on devrait cesser de voir dans les universités les enseignements de psychopathologie confiés de manière systématique à des psychiatres. D’une part pour affirmer que la psychopathologie est effectivement une spécialité psychologique d’autre part pour ne pas construire une inféodation au psychiatre.
Au-delà, la mise en place des Masters vient obscurcir ces problématiques générales. Ce projet Licence, Master, Doctorat tend apparemment à créer des pôles de références spécialisées à dimension locale et vient remettre en cause l’idée d’un diplôme généraliste délivrant des connaissances et un niveau de compétences supposés équivalents nationalement. Il inscrit les universités sur des pôles concurrentiels entre lesquels les étudiants déboussolés, ou carriéristes, préférentiellement argentés, tenteront de trouver place. L’orientation concurrentielle implique le renforcement des spécialisations avec des différenciations fortes. Il favorise le retour d’un mandarinat universitaire qu’on croyait dépasser. Plus encore la construction des Masters est restée une affaire universitaire dont les professionnels, largement majoritaires dans le monde de la psychologie, ont été grandement exclus. Or les universitaires sont majoritairement cognitivistes ou quantitativistes, c’est une minorité institutionnelle qui décide au mépris des réalités socioprofessionnelles, au mépris d’une position déontologique. Disons-le clairement je considère les apports des expérimentalistes, des courants neuropsychologiques, cognitivistes, comportementalistes, psychologues sociaux tout à fait d’intérêt, ce que je critique c’est l’emprise de ces courants sur la formation professionnalisante. De même l’existence de fondamentalistes travaillant en laboratoire n’est pas à contester à condition de leur laisser leur juste place : on ne forme pas des médecins, et encore moins des psychologues, uniquement avec des cours théoriques de fondamentalistes. La critique porte sur l’impossibilité de professionnaliser sur ces seuls apports. Ceci laisse supposer une éradication de la psychologie clinique d’orientation psychanalytique. Non seulement la clinique se trouve éliminée, mais on voit se dessiner une tentative de recomposition du champ professionnel, en injectant une masse de jeunes diplômés d’orientation comportementalo-cognitifs, des rééducateurs, au moment où les départs en retraite vont conduire à un renouvellement massif des professionnels. N’en doutons pas Lagache est assassiné, Favez Boutonnier agressée, Piéron est de retour ! Nous ne sommes pas dans une logique de l’intégration et du dépassement mais dans la logique archaïque du tout ou rien, du moi au l’autre : une logique du meurtre !
L’université, prescriptive de normes
Faut-il changer l’université ? Des critiques ont été faites sur la balkanisation des diplômes, sur la fragmentation des masters, sur l’hyperspécialisation précoce : chacun du haut de son petit potentat créait sa spécialisation. Le projet LMD avec la tripartition clinique, enfance/adolescence et travail, n’a pas clairement assaini les choses. La mainmise des objectivistes, l’exclusion des cliniciens de l’université et la substitution progressive sur le terrain des cliniciens par des cognitivo-comportementalistes ont conduit à un remodelage comportementaliste des cursus avec le démantèlement de la psychologie clinique. L’emprise cognitiviste ayant saccagé les domaines de la psychologie, il y a une désertification dans l’environnement disciplinaire. L’idéologie scientiste avec, pour projet, la rationalisation des méthodes de traitement et de contrôle des populations tend à l’injection sur le terrain de rééducateurs, selon une logique de l’ingénieur d’application, légitimée par le monde universitaire. L’université reste prescriptive de normes ainsi que lieu d’aliénation et de conformisation des étudiants. L’universitaire est en position d’idéalité, de complétude narcissique, soit par appareillage de croyances supportant mal le doute soit par fermeture sur la certitude scientiste. Une première proposition serait donc de construire un corps professionnel consistant par le biais d’une organisation unique donnant droit d’exercice. D’une part, cela suppose l’inscription de tout psychologue à cette organisation pour pouvoir exercer. D’autre part, cela suppose des modalités électives pour la désignation de ses représentants avec des sections régionales. Enfin, il serait l’organisme qui validerait l’accès à l’exercice professionnel en regard d’un niveau universitaire acquis. Le titre universitaire ne pourrait être la seule condition d’accès à l’exercice professionnel. Cela permettrait d’infléchir certains aspects de la formation universitaire en regard des réalités professionnelles. Il assurerait la présence effective des professionnels dans le cursus, au sens d’un projet professionnalisant participant à la constitution d’une identité professionnelle. Une organisation unique suppose l’inscription légale du code de déontologie inscrit dans le code de santé, par exemple, avec l’absence de dépendance au médical. Elle défendrait une protection des techniques, méthodes psychologiques avec suppression des DU de spécialité ouvert à des personnes n’ayant pas le titre. Elle pourrait impulser une revalorisation salariale avec, au minimum, un alignement sur la convention 1966 dans tous les services publics. Elle appuierait les syndicats sur la question des modalités de recrutement en supprimant, d’une part, la précarité, d’autre part, en évitant la cooptation.
Au titre de la formation universitaire, l’idée de la création d’une Commission nationale universitaire en psychologie clinique, différenciée d’une Commission en psychologie objective ou cognitive, éviterait bien des jeux dans les processus de nomination et permettrait de répondre aux critères spécifiques attendus dans chaque domaine. En psychologie clinique, on pourrait obtenir le recrutement pour les postes universitaires de psychologie clinique de personnes qualifiées ayant eu une réelle expérience professionnelle d’au moins dix ans à temps plein. On initierait aussi la création de poste hospitalo-universitaire ou l’obligation pour un enseignant d’exercer cliniquement. J’avais déjà avancé la proposition de plusieurs profils d’enseignants (2001). Cela soutiendrait une réelle implication des professionnels dans le cursus de formation et surtout dans ses orientations. Des fonctions précises des maîtres de stage avec des objectifs clairs, communs, définissant les attendus et les modalités d’évaluation, seraient élaborées et surtout généralisées. On pourrait penser, au plan de la formation clinique, la mise en place d’un doctorat d’exercice avec un stage rémunéré en responsabilité d’au moins deux ans. Cela constituerait une formation intégrée aux prérequis nécessaires à l’exercice des psychothérapies, conjointe à celle de la déontologie. La psychothérapie deviendrait un cursus complémentaire, au même titre que les spécialisations, d’un titre unique de psychologue généraliste. Cela ouvrirait l’accès à des responsabilités institutionnelles de direction clinique d’unités fonctionnelles. Celles-ci seraient pensées dans le cadre de la mise en place, en milieux hospitaliers, de services de psychologie, attachés à la Direction de l’établissement, dirigés par un psychologue chef de service. La conception des pôles pourrait être discutée en regard de cette orientation. L’existence de services de psychologie faciliterait le développement de travaux d’orientations diverses sur l’exercice professionnel des psychologues, sur leurs fonctions, statuts, méthodes, sur leurs insertions, sur les domaines possibles d’exercice. Ces quelques idées, parmi d’autres, auraient quelque intérêt à se constituer en plate-forme de manière à avoir des débats contradictoires sur les objectifs à atteindre pour la profession de psychologue.
Le leurre épistémologique
On ne peut réduire la question de la psychologie à un débat sur l’opposition scientificité/non scientificité ce qui s’avérerait idéologiquement pervers. On ne peut penser la psychologie que dans son inscription historique et ses enjeux sociaux d’une part. D’autre part on ne peut penser un objet de la psychologie que dans une réflexion sur les diversités des modes d’approche qui l’ont caractérisé et l’éclairage singulier que chacun dessine. Ceci invite à conserver cette tension et ce travail de dialectisation inévitable entre des approches différenciées. Un département qui ne se soutiendrait que d’une seule démarche énoncée comme modalité de la vérité, d’une part fonctionnerait comme un univers totalitaire invitant au meurtre de l’autre, d’autre part ne sortirait de ses rangs que des diplômés porteurs d’une forme particulière d’handicap intellectuel.
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