Contre vents et marées, savoir se maintenir.(1)

Par Martine Vial-Durand
Coordination Inter-Collèges des
Psychologues hospitaliers Ile de France
Septembre 2014


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 Contre vents et marées, savoir se maintenir.
 
 
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La récente rencontre de psychologues hospitaliers avec les instances du ministère de la santé restera sans nul doute dans la mémoire de chacun comme un douloureux voyage au pays glacial des certitudes managériales, de l’esprit dirigiste et technocratique teinté d’un cynisme décomplexé.
De « la psychiatrie est-elle là pour faire de la tarte aux pommes ? » au « colloque singulier c’est fini ! » en passant par « qu’avez-vous fait de vos malades mentaux ? », « vous devriez avoir des techniques de soin ! », les débordements sarcastiques n’auront pas manqué à ce temps de non-rencontre en dépit de la volonté de la coordination d’opter pour le principe de modération. 
Disons le tout net : ce n’est pas sans une certaine sidération que les professionnels du soin qui s’y sont risqués, ont tenté de contenir la charge d’hostilité d’un positivisme conquérant occupé à balayer les repères symboliques, théoriques, déontologiques et éthiques d’une clinique hospitalière fidèle à l’accueil d’un sujet crédité d’une histoire singulière, d’un inconscient, d’un projet.

Ce qui nous unit c’est ce qui nous sépare.

Depuis l’année 2007, l’élan de création et le cheminement historique de l’Inter-collèges s’est appliqué à trouver une voie possible vers l’expression d’une dynamique de réflexion susceptible d’éclairer ce qu’il advenait de la clinique sous le joug de la « modernisation des services publics hospitaliers ».
Il paraissait en effet urgent de favoriser le débat chez une profession peu coutumière du fait et de créer ainsi les conditions favorables à l’expression de vitalité d’une pensée riche d’expériences diversifiées affines aux complexités de la vie psychique.
Le chemin accompli a vu se rencontrer, s’entrecroiser bien des paysages contrastés, il a permis que puisse s’exprimer des différends parfois non-solubles tous animés par un seul engagement militant : l’intérêt et la prise en compte des mystères et complexités de la vie psychique dans l’hôpital.

Budgétés, observés, géo-localisés.

Cette aventure non institutionnalisée qui réunit à ce jour une quarantaine de collèges et suscite un mouvement de rencontres nationales a permis de mesurer tout au long de sept années de travail, la reprise en main, significative dans l’histoire de la clinique, d’une technocratie entièrement dévouée au mythe d’une rationalisation budgétaire sous emprise d’expertise, de planification, de contrôle et de conformité.
Depuis les années 80 ces orientations ont déjà fait l’objet d’analyses précises mais l’indécence des faits et l’arrogance du discours poursuivent implacablement leur chemin : 
Les choix priorisés et budgétisés iront à la standardisation des protocoles de soin, à l’éducation thérapeutique, à l’approche comportementale.
Il faut dit-on « une palette de soins utiles », la segmentation des pratiques y répondra :
Centre expert bipolaire ou schizophrénie, troubles alimentaires, faîtes votre choix !
On veut en haut lieu « une qualité de la santé publique, des pratiques efficaces, des techniques de soin évaluables et quantifiables » !
La singularité des parcours, autrement dit, l’approche d’orientation freudienne « qui n’a pas fait ses preuves » doit laisser place à des « réponses innovantes », la réflexion institutionnelle et le travail sur et à partir du collectif également.


Souvenons-nous.

La présence des psychologues à l’hôpital s’est inscrite de longue date dans une pluralité de cheminements, de domaines d’interventions mais aussi de références théoriques éloignées susceptibles de complémentarité.
L’habit identitaire, il est vrai, leur convient mal.
Le lien entre eux n’est pas à chercher ailleurs que dans une appartenance à un projet de service dont la responsabilité ne relève pas de leur initiative mais qu’ils ont pourtant cherché à nourrir d’une pensée éclairée par les sciences humaines, une pensée ayant valeur propulsive et respectueuse du sujet.
Mais c’est un autre lien, celui-ci organique, originel, qui unit une grande part de la profession à l’esprit clinique de la sectorisation et au mouvement de psychothérapie institutionnelle. C’est au cœur de celui-ci et du contrat social démocratique qui le caractérise que la profession de psychologue s’est attelée, elle aussi, à faire reculer le spectre des certitudes en soufflant à ceux que la psychose ne rebutait point : « il faut aller chercher l’autre là où il se trouve ».
Nous devons, et c’est le sens de notre engagement, nous souvenir qu’elle fut une pensée du courage en politique psychiatrique confrontant son acte créateur aux abîmes de la pulsion de mort qui contre toute idéologie du bien-être réclame sa part du vivant.

Un train peut en cacher un autre !

C’est donc peu de dire que la profession est historiquement liée à une théorie du sujet d’orientation freudienne et à ce titre une profession gênante pour la recherche d’un processus de normalisation des comportements.
Elle fait depuis quelque temps l’objet d’une attention pour le moins ambiguë de la part des tutelles. 
N’est-il pas remarquable, en effet, que succédant à des années de désintérêt pour la dégradation des conditions d’embauche et d’exercice de la profession cette attention aboutisse en 2010 à la rédaction d’une circulaire qui creusait un peu plus ce mouvement au lieu de le contrer ? 
Des négociations syndicales qui ont tenté de remédier à cette situation, une proposition d’organisation de la profession est sortie du chapeau apparaissant à certains comme une opportunité de protection.
Avec beaucoup d’honnêteté quelques uns se sont lancés dans son expérimentation quand d’autres plus dubitatifs, craignant qu’elle devienne l’instrument inféodé du pouvoir de coercition administratif, ont préféré s’en abstenir.
Mais voilà qu’aujourd’hui se dessine un tout autre paysage. Au nom du principe d’égalité des soins, c’est une organisation « new style » qui se profile. Les missions de l’hôpital seraient ainsi limitées au traitement technique de la crise et de l’aigu, tandis qu’il est fermement suggéré à l’acte thérapeutique issu des sciences humaines de « quitter le champ du soin pour passer au médico-social ». Psychologues organisez-vous et puis non ! Allez voir ailleurs.

Faire et refaire société.

Les tutelles qui s’autorisent aujourd’hui à régenter la conduite des gens de métier ne s’arrêteront en si bon chemin que si elles trouvent en face d’elles un fort maillage de résistances. 
De sa position encore décentrée et de la liberté qu’il lui reste la profession ne doit pas reculer devant cette forme d’obscurantisme qui est depuis toujours une maladie mortelle.
Il lui faut faire et refaire société (si ce n’est organisation) et se donner les moyens collectifs de veiller sur l’éthique du soin dont elle est dépositaire en refusant l’instrumentalisation des pratiques qui méconnaissent l’intelligibilité des phénomènes psychopathologiques et veulent forclore l’énigme du sujet.
Seules plusieurs digues d’opposition lui permettront de s’imposer comme interlocuteur des parlementaires sur les derniers mètres qu’il reste à parcourir avant la prochaine sortie de la loi santé.
Il nous faut agir ensemble en faisant le pari que là où la vie emmure, l’esprit peut encore percer une issue.

1.Poème de Goethe

2.Compte-rendu de la rencontre du 11 juillet 2014 avec DGOS DGS.

3. Le ciel sombre de la psychiatrie – revue Institutions n°49 de mars 2012.

4. Roger Gentis « Un psychiatre dans le siècle ».

 

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